Après une première confirmation d’accueillir le Sommet arabe en avril prochain à Marrakech, après avoir demandé son report, le Maroc a provoqué la surprise en cédant son droit de l’organiser étant «
entièrement convaincu de l’inutilité de ce sommet ». La 27e session ordinaire du Sommet arabe attend désormais une confirmation de la Mauritanie, qui suit alphabétiquement le Maroc. A défaut, le sommet aura peut-être lieu au Caire, siège de la Ligue arabe. Ainsi, la rencontre annuelle se tiendra probablement après juillet.
« La charte de la Ligue arabe stipule que le sommet doit se tenir dans le pays abritant le siège de l’organisation, c’est-à-dire l’Egypte, à moins qu’un autre Etat en fasse la demande. Et puis, la Mauritanie n’est pas apte à accueillir le sommet. C’est un petit pays et il ne possède ni les moyens logistiques ni l’emplacement pour organiser un tel événement », croit l’ambassadeur Saïd Kamal, ex-secrétaire général adjoint de la Ligue arabe. Pourtant, selon Moetaz Salama, chef du département des études arabes et régionales au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le choix de tenir le prochain sommet en Mauritanie est approprié. « La tenue du prochain sommet dans l’une des capitales centrales comme Le Caire, Riyad ou Rabat aggraverait la tension politique entre les pays arabes. Il faut le tenir en dehors de ces pays même si le niveau de représentation de cette session sera bas », estime Salama.
Absence d'unité
C’est en raison de l’absence d’unité entre les pays membres que Rabat a dû annuler la tenue du sommet. « Face aux défis qu’affronte le monde arabe aujourd’hui, le Sommet arabe ne peut être une fin en soi ou devenir une simple réunion de circonstance. Les conditions objectives pour garantir le succès d’un sommet arabe, et prendre des décisions à la hauteur de la situation et des aspirations des peuples arabes, ne sont pas réunies », indique un communiqué rendant publique la décision marocaine. Des propos qui donnent, à l’opinion publique arabe, l’impression qu’une atmosphère marquée de discorde règne, encore aujourd’hui, entre les Etats arabes. Et dans ce contexte, plusieurs tentatives sont faites pour créer des axes, des coalitions ou des zones de polarisation loin de l’Organisation panarabe, surtout pour accaparer le leadership du monde arabe.
« Malheureusement, les justifications de Rabat sont logiques. Les réunions de la Ligue arabe mettent en avant les chefs des pays, leurs intérêts, leurs points de vue, mais aussi leurs discordes, et relèguent au second plan les vrais problèmes des peuples arabes », estime Hani Khallaf, ancien ministre-adjoint des Affaires étrangères et ancien délégué de l’Egypte auprès de la Ligue arabe. « Le monde arabe passe actuellement par une situation affligeante qui a atteint un stade de dégradation sans précédent de son histoire », dit l’ancien responsable, en faisant allusion, notamment, à la guerre en Syrie et au Yémen, mais aussi à la situation en Iraq et en Libye. En Syrie, la guerre du régime contre ses opposants, déclenchée en 2011, implique de plus en plus d’acteurs régionaux et internationaux, surtout les grandes puissances, alors que la Syrie est absente, depuis, des sommets arabes. Au Yémen, la guerre menée par la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite contre les rebelles houthis chiites soutenus par l’Iran a fait, déjà, plus de 6 100 morts. L’Iraq et la Libye témoignent de la montée en puissance du groupe Daech et de l’avènement du chaos, avec dans chacun de ces pays, deux pouvoirs rivaux qui se disputent le pouvoir : les sunnites et les chiites en Iraq, et en Libye les partisans de l’ancien régime de Kadhafi et les révolutionnaires. Les autres pays arabes ne sont pas non plus loin de ces conflits. « Face à ces conflits, la Ligue arabe jouait toujours le rôle d’observateur, voire du spectateur. Ses réactions, ses communiqués et ses condamnations montrent la faiblesse, mais aussi la fragilité de cette organisation régionale », reprend Khallaf.
La décision de Rabat, qui semble être montée dans les coulisses en coordination avec d’autres pays, met dans l’embarras l’Egypte qui assurait la présidence depuis le dernier sommet, d’autant plus que cela dévoile clairement que le sommet n’est « qu’une simple rencontre de circonstance » qui fournit « un diagnostic amer de l’état de divergences et de divisions, sans fournir des réponses collectives décisives et fermes susceptibles de faire face à cette situation ».
Des raisons cachées
Telles étaient les explications présentées par le Maroc pour se justifier, alors que tout était prêt pour l’accueil du sommet, qui aurait été le premier du genre sous le règne de Mohamad VI. En plus, les dates du sommet prévu le 28 et 29 mars ont été repoussées au 7 et 8 avril en coordination avec les responsables marocains, sans montrer l’intention d’annuler ce grand rendez-vous politique panarabe. C’est l’agenda international et les engagements antérieurs de certains dirigeants qui sont à l’origine de ce report, avait expliqué à l’époque le secrétaire général adjoint de la Ligue, Ahmad Benhelli. Cependant, ce dernier, contacté par l’Hebdo, s’est abstenu de commenter la récente décision marocaine. Ali Garouchi, directeur du département des relations arabes au sein de l’organisation, s’est aussi abstenu de toute déclaration.
Un communiqué publié par la Ligue arabe explique que le chef de la diplomatie marocaine a informé le secrétaire général, Nabil Al-Arabi, par téléphone, de la décision. Une décision que certains qualifient d’« inédite » et de « courageuse » et trouvent que Rabat a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Pour d’autres, les raisons du report du sommet ne sont pas celles déclarées dans les communiqués officiels. Selon eux, il existe des « raisons cachées » qui ont poussé Rabat à prendre une telle décision. La décision marocaine serait liée aux relations de Rabat avec certains pays. Ayman Chabana, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, commente : « Le Maroc ne veut pas être un terrain de discorde entre les pays arabes. Un pays, comme l’Arabie saoudite, se verra dénoncer par certains pays arabes, notamment Iraq et le Liban qui sont proches de l’Iran, contre sa guerre au Yémen et son projet controversé de guerre terrestre en Syrie ». Riyad a récemment suspendu son aide militaire, de 3 milliards de dollars, au Liban, à cause des « positions libanaises hostiles qui résultent de la mainmise du Hezbollah sur l’Etat », selon un communiqué de l’agence de presse saoudienne SPA. D’autres analystes vont plus loin en affirmant que la Russie est à l’origine de la décision du Maroc. Ils disent que le Maroc ne cherche qu’à séduire la Russie (avec laquelle il renforce sa coopération stratégique) en annulant un sommet arabe dont les débats principaux tourneront, sans doute, autour de la Syrie et les raids russes et sur une possible intervention saoudienne. Les conditions de réussite de ce sommet ne sont donc pas réunies. Ayman Chabana estime que c’est la Charte de la Ligue arabe qui entrave le travail de ses Etats membres. « Les décisions sont prises à l’unanimité, et ne sont pas obligatoires pour tous les membres. La Ligue arabe est devenue un lieu de réunion pour échanger les points de vue sans prendre des résolutions concrètes », conclut-il.
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