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Condamnée à la prison pour « atteinte à la religion »

May Atta, Mardi, 02 février 2016

L’écrivaine Fatima Naoot a été condamnée à trois ans de prison pour une phrase publiée sur Facebook, critiquant l’abattage des moutons lors du Grand Baïram. La décision est dénoncée par de nombreux intellectuels.

L’écrivaine Fatima Naoot
L’écrivaine Fatima Naoot

« L’abattage des moutons est le plus grand massacre commis par les êtres humains ». Cette petite phrase postée en octobre dernier sur Facebook à l’occasion de la fête sacrificielle de l’Aïd Al-Adha (grand Baïram) a conduit l’écrivaine et journaliste Fatima Naoot derrière les barreaux. Pendant son procès, Naoot s’est défendue en disant qu’elle respectait la justice et qu’elle regrettait que « ses propos aient été mal compris ». Elle a par ailleurs nié toute volonté d’insulter l’islam par cette phrase qui visait, selon elle, à critiquer les moyens utilisés dans l’abattage des moutons. « Je refuse toute grâce présidentielle parce que je ne suis pas coupable, mais je demande que soit annulé l’article dans la loi relatif à l’atteinte à la religion utilisé pour limiter la liberté d’expression. Je déplore que les intellectuels n’aient pas pu créer un front fort qui défende notre liberté d’expression ». Elle a conclu que si l’Etat combat les terroristes, il ne combat pas le terrorisme, affirmant que son arrestation est une forme de terrorisme.

Naoot est la deuxième personnalité publique à être condamnée à une peine de prison en moins d’un mois pour des faits liés au blasphème. L’animateur de télévision Islam Al-Béheiri avait également été condamné en décembre dernier pour « atteinte à la religion ». Al-Béheiri s’en était pris à certains écrits de 4 imams de l’islam, et mis en doute certains hadiths du prophète Mohamad au cours de son programme de télévision sur la chaîne Al-Qahira Wa Al-Nas. Il avait déclaré que les ouvrages de hadiths (paroles du prophète) de Boukhari et Muslim « ne sont pas sacrés » et « peuvent comporter des erreurs ».

Les procès de Fatima et d’Al-Béheiri relancent le débat public sur la liberté d’expression. 13 ONG, 4 partis et 84 personnalités publiques dont des intellectuels, des journalistes, et des avocats ont publié un communiqué exprimant leur refus des procès pour atteinte à la religion et ont demandé l’annulation de l’article 98 du code pénal. Selon l’article en question, toute personne, qui dénigre l’une des religions monothéistes (islam, christianisme et judaïsme, ndlr) ou l’unité nationale, encourt entre 6 mois et 5 années de prison. Les signataires du communiqué considèrent que cet article est contraire à l’article 65 de la Constitution qui garantit la liberté d’expression. L’écrivain Mahmoud Al-Wardani explique : « Ce genre de procès montre que la nouvelle Constitution n’est pas appliquée et que la liberté d’expression n’est pas respectée. Dans les années 1930, le scientifique et écrivain, Ismaïl Adham, avait publié un éditorial sous le titre : Pourquoi je suis irreligieux, personne n’avait pu faire de procès contre Adham pour atteinte à la religion. Un autre écrivain Mohamad Farid Wagdi avait simplement répondu dans un éditorial : Pourquoi je suis croyant. De nos jours, la religion est utilisée pour limiter toute liberté de pensée. Ce genre de procès a deux raisons : limiter la liberté d’expression dans tous les domaines et détourner l’attention de la population des problèmes quotidiens ».

Le ministre de la Culture, Helmi Al-Namnam, a lui aussi réagi au verdict à l’encontre de Fatima Naoot : « Je crois que les articles sur les atteintes à la religion sont utilisés à des fins politiques », a affirmé le ministre.

Pour autant, ces condamnations ne font pas l’unanimité. Abdel-Moneim Fouad, doyen de la faculté des études islamiques à Al-Azhar, estime que toute personne doit respecter les décisions de la justice : « Pourquoi discuter une décision de justice ? Al-Azhar respecte la justice et ce, même si la cour n’avait pas condamné Fatima Naoot. Mais je crois qu’il ne faut pas non plus donner la possibilité à n’importe qui pour exprimer des doutes envers la religion ». Au cours des dernières années, plusieurs procès pour atteinte à la religion ont eu lieu. Selon un rapport de l’Initiative égyptienne pour les droits civiques, les tribunaux ont condamné pas moins de 63 citoyens pour insulte à la religion entre 2011 et fin 2012.

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