(Photo : Mostafa Abdel-Aty)
Patrick Deville est un exemple d’ouverture sur l’autre. Que ce soit dans son oeuvre, dans son parcours d’écrivain voyageur ou dans le poste qu’il occupe avec passion à Saint Nazaire où il dirige la Maison des Ecrivains Etrangers et Traducteurs (MEET). Il voyage beaucoup en Amérique centrale, en Afrique équatoriale, et en Asie du sud-est, pour nourrir ses romans basés sur des faits et des personnages réels. Sinon, il accueille les écrivains venant des quatre coins du monde dans sa maison des écrivains étrangers et traducteurs.
Né en 1957, devenu à 23 ans attaché culturel dans le Golfe persique après des études de littérature française et de philosophie, Patrick Deville a séjourné longuement en Algérie, au Nigeria, au Maroc et à La Havane à Cuba. Il est l’un des écrivains attendus de la rentrée littéraire en France, et a été souvent récompensé (meilleur roman français Lire 2011 pour Kampuchéa, prix Femina, roman Fnac et Prix du roman français en 2012 pour Peste et choléra). A ses débuts, il a écrit des romans expérimentaux pour la maison d’édition Minuit, puis s’est lancé dans son projet de 12 livres « Romans sans fiction » comme il insiste à le rappeler. Il affirme que les moments, lieux, dates et personnages de ses romans sont « réels et vérifiables ». Lors d’une rencontre cette année au Salon du livre, Deville a toutefois rejeté l’étiquette d’écrivain voyageur ou d’auteur de récits de voyages, expliquant tout simplement qu’il aimait s’installer dans le lieu où se déroule l’action de ses romans.
Le point de départ de « son univers romanesque » est l’année 1860. Tous ses livres commencent à cette date. L’écrivain construit un pont entre ce moment du XIXe siècle et le moment présent. « La fin du premier livre de Romans sans fiction Pura Vida, qui est un récit d’un siècle et demi de l’Amérique centrale se termine en 2002, et le dernier Viva paru en 2015, qui est un siècle et demi de l’histoire mexicaine, se termine en 2014 ». Ces livres peuvent être lus dans le désordre. « Mon projet consiste à rassembler dans ces 12 livres deux fois le tour du monde. J’ai terminé un tour de l’ouest à l’est de l’Amérique équatoriale puis le Mexique avec des histoires et des personnages de la vie réelle », explique-t-il.
Rien ne naît de rien
Mais pourquoi de cette date précise, 1860, le retour constant au XIXe siècle et l’insertion de personnages réels dans son oeuvre ? Deville explicite sa vision. Ce qu’il cherche dans l’histoire c’est « le présent dans lequel nous vivons, la réalité politique, économique et scientifique. Montrer comment une chose mise en place au milieu du XIXe siècle a fait que peu à peu on est arrivé à la situation dans laquelle nous vivons aujourd’hui ». Patrick Deville donne l’exemple de son roman Peste et choléra, actuellement traduit en Egypte par le Centre national de la traduction, qui raconte sur un siècle et demi l’apparition de la microbiologie autour d’un groupe de jeunes hommes qui sont les premiers créateurs de l’Institut Pasteur. Au cours de cette année, 1860, Pasteur escalade la mer de glace dans les Alpes pour y faire des prélèvements et montrer que rien ne naît de rien. C’est le début de la microbiologie. Pasteur a été le premier à mettre en place des vaccins antirabiques.
L’écrivain choisit comme personnage principal de son roman Alexandre Yersin (1863-1943), qui a découvert le bacille de la peste, et qui fait partie d’un groupe de jeunes qui partent dans le monde pour détecter les épidémies et essayer d’identifier les bacilles et créer les vaccins. « Il y avait une grande concurrence entre l’Institut Pasteur à Paris et l’Institut Robert Kogh à Berlin. On peut lire à travers cette concurrence scientifique toute l’histoire géopolitique de la planète sur un siècle et demi », avance-t-il. Et d’ajouter : « Puisque la peste est la victoire de Yersin, donc de l’Institut Pasteur, donc de Paris, donc de la France, et le choléra est la victoire de Robert Kokh, donc de Berlin, donc de l’Allemagne. Ainsi, on peut lire l’histoire des guerres 1870, 1914 et 1940 ». « Lorsque Yersin à Hong Kong travaille sur le bacille de la peste, il est en concurrence avec les Japonais en 1890, et les Japonais travaillent avec les Allemands parce qu’ils ont étudié la microbiologie à Berlin. On voit donc se mettre en place une géopolitique qui devient scientifique puis militaire », affirme l’écrivain. Mis à part le monde de la microbiologie, il s’attarde sur des personnages réels très significatifs comme William Walker, dans Pura Vida (2004), qui est un aventurier américain voulant devenir le président du Nicaragua et du Costa Rica. Dans Equatoria (2009), il s’agit de l’explorateur du fleuve du Congo. Quant à son dernier roman Viva, on y rencontre le personnage de Léon Trotski, le militant marxiste russe qui a fui le despotisme de Staline dans le Mexique des années 1930. Marqué par l’histoire de la révolution française, Patrick Deville s’est longuement attardé sur les moments révolutionnaires dans les pays dont il raconte l’histoire.
Dans son premier roman, il donne l’exemple de révolutions qui aspirent à changer le monde comme au Nicaragua avec les sandinistes. Dans Kampuchéa, il aborde une révolution « négative ». Les jeunes révolutionnaires, les Khmers rouges, ont pu se débarrasser du pouvoir, mais lorsqu’ils accèdent au pouvoir, ils commettent un génocide contre le peuple cambodgien. Un tiers de la population cambodgienne disparaît en l’espace de 4 ans. Dans son dernier livre, il s’agit des révolutions mexicaine et russe, le rêve révolutionnaire de Trotski et la Révolution d’octobre 1917 en Russie, balayée par Staline.
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