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L’Iran, future superpuissance Régionale

Maha Al-Cherbini avec agences, Dimanche, 24 janvier 2016

L'émergence de l'Iran en tant que superpuissance régionale semble une évidence indéniable avec la levée des sanctions internationales et le retour de son allié russe au Moyen-Orient. Pourtant, les tensions avec Riyad peuvent menacer cette ambition.

L’Iran, future superpuissance régionale
La visite du président chinois à Téhéran confirme la sortie de l'isolement économique imposé à l'Iran pour de longues années (Photo:AP)

Après treize ans de tension avec la communauté internationale, Téhéran a ouvert une nouvelle page après l’entrée en vigueur de l’accord nucléaire signé en juillet dernier avec les Six. Une évolution historique qui impose la question suivante : l’Iran retrouvera-t-il, ces jours à venir, son rôle de superpuissance régionale ? Pour l’heure, toutes les données renforcent cette hypothèse, surtout avec la levée des sanctions internationales qui permettraient à l’Iran d’empocher plus de 55 milliards de dollars. Sans perdre de temps, le régime des mollahs a commencé à ouvrir de nouveaux marchés économiques avec divers continents. Soucieux de casser l’isolement de son pays, le président iranien, Hassan Rohani, s’est rendu cette semaine pour la première fois en Italie et en France, afin de renforcer la coopération économique et stratégique avec l’Europe. Cette semaine aussi, le président chinois, Xi Jinping, s’est rendu à Téhéran — première visite d’un président chinois en Iran depuis 14 ans — afin de renforcer les relations économiques et stratégiques bilatérales.

Cette relance économique aura son impact sur la politique étrangère de Téhéran. « Dès que l’Iran aura regagné sa puissance économique, il étendra son hégémonie politique sur la région. Téhéran va jouer un rôle de poids dans les crises régionales les jours à venir. Déjà, il est le principal soutien régional des gouvernements syrien et iraqien. Il soutient aussi les Houthis au Yémen, le Hezbollah et certains groupes djihadistes en Palestine. Il va désormais utiliser son poids et son argent pour résoudre les crises de la région, mais dans le sens qui sert ses intérêts. Par exemple, il peut oeuvrer à intégrer les Houthis dans le gouvernement au Yémen et il va accroître son soutien au gouvernement iraqien et syrien », prévoit Dr Ahmed El-Beheri, expert du dossier iranien au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et d’ajouter : « L’Iran va tenter aussi d’étendre son influence en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est et en Amérique latine », poursuit Dr Beheri. Autre facteur qui aidera Téhéran à renforcer son rôle régional, c’est l’implication de la Russie — alliée de l’Iran — dans les crises du Moyen-Orient. Selon les analystes, le renforcement du rôle russe impliquera forcément celui du rôle de l’Iran.

L’apaisement avec Riyad
Ce vent d’optimisme ne signifie pas que la voie de l’Iran est sans embûches. Car un facteur important pourrait compliquer ses ambitions, à savoir l’affrontement ouvert avec l’Arabie saoudite qui a abouti à une rupture des relations diplomatiques en janvier, à la suite d’une attaque contre l’ambassade de Riyad par des Iraniens en colère après l’exécution par l’Arabie saoudite d’un dignitaire chiite saoudien. Depuis le début de la crise, plusieurs pays ont tenté d’apaiser les tensions entre ces deux puissances régionales, mais la crise s’envenime. Haussant le ton contre son rival chiite, l’Arabie saoudite a accusé l’Iran d’avoir causé « discorde, troubles et chaos » au Moyen-Orient, rajoutant qu’il est « le principal soutien au terrorisme » régional. Grandes rivales régionales, l’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran s’affrontent déjà sur les conflits en Syrie, en Iraq et au Yémen.

Alors que Téhéran adoptait une politique agressive depuis le début de la crise, les leaders iraniens ont préféré cette semaine jouer l’apaisement. Faisant volte-face, le président iranien, Hassan Rohani, a déclaré que son pays ne voulait pas de « tensions » dans le monde musulman. « L’Arabie saoudite doit comprendre qu’il n’est dans l’intérêt de personne de voir une confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite », a déclaré le ministre iranien des Affaires étrangères, Javad Zarif. Jouant toujours l’apaisement, le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, a condamné pour la première fois l’attaque menée contre l’ambassade saoudienne à Téhéran le 2 janvier. « Ce changement de ton est motivé par la volonté du régime iranien de se disculper devant le monde. Les leaders iraniens tentent de prouver leur bonne volonté à régler la crise avec Riyad, car ils ont réalisé que cette crise pourrait constituer une pierre d’achoppement qui menacerait le futur rôle régional de l’Iran et déformer son image sur la scène internationale. Téhéran ne veut pas paraître comme fauteur de troubles et ne veut plus entrer dans une guerre froide avec Riyad. Notons que l’Arabie saoudite est une puissance à ne pas négliger dans la région, et elle peut tout faire pour contrer l’hégémonie iranienne, surtout après la signature d’un accord qui l’a tellement inquiétée. Téhéran craint que son rival sunnite ne mobilise un grand nombre de pays et ne forme un front contre lui », analyse Dr Norhane El-Sayed, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Une analyse sensée, puisque plusieurs Etats se sont rangés aux côtés de Riyad depuis le début de la crise et ont fustigé le comportement déstabilisateur de Téhéran, avec entre autres le président américain, Barack Obama, et l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI) qui a condamné cette semaine les attaques contre les missions diplomatiques de l’Arabie saoudite en Iran, « l’ingérence de Téhéran dans les affaires régionales et son soutien au terrorisme », selon un communiqué de l’OCI.

Seconde menace susceptible de menacer le rêve iranien : c’est l’éventualité d’une domination du courant conservateur — opposé à toute ouverture au monde — sur le prochain parlement iranien suite aux législatives du 26 février. Provoquant la fureur des modérés, le Conseil des Gardiens de la Constitution — dominé par les faucons — a rejeté cette semaine 99 % des candidats du camp réformateur, alors que Hassan Rohani a promis d’« utiliser ses pouvoirs » pour faire changer la position du Conseil des Gardiens avant la publication de la liste définitive des candidats le 4 février. Les législatives du 26 février sont très importantes pour M. Rohani, qui espère obtenir une majorité plus conciliante — l’actuel parlement étant dominé par les conservateurs — pour s’ouvrir au monde et réintégrer la communauté internationale après des années d’isolement. Il semble que le rêve iranien ne sera pas facilement réalisé : des obstacles restent encore à vaincre .

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