On se rappellera l’année 2015 comme étant celle qui a marqué l’achèvement de la feuille de route, mise en place en juillet 2013, après la destitution de l’ancien président islamiste, Mohamad Morsi. Les élections législatives d’octobre et de novembre 2015 ont permis en effet d’élire un nouveau Conseil des députés et de mettre fin à l’état de vide législatif qui régnait depuis 3 ans. La feuille de route comprenait en effet trois échéances principales, en l’occurrence, l’adoption par référendum d’une nouvelle Constitution, l’organisation d’une élection présidentielle et la tenue d’élections législatives.
La liste Fi Hob Misr (pour l’amour de l’Egypte), une coalition de 17 partis et formations politiques comprenant notamment le parti des Egyptiens libres, L’Avenir d’une patrie et le Néo-Wafd ainsi que des personnalités publiques, rafle la totalité des 120 sièges du scrutin de liste.
Au sein de cette coalition, c’est le parti des Egyptiens libres qui arrive en tête avec 65 sièges, suivi par le parti Mostaqbal Watan (l’avenir d’une patrie) avec 50 sièges, le Néo-Wafd (45 sièges), Homat Al-Watan (les gardiens de la patrie) avec 17 sièges, le Peuple républicain (13), le parti salafiste Al-Nour (12) et le parti du Congrès (12). Grâce au système de quotas, le nouveau parlement comptera 70 femmes et 36 coptes.
Contrairement au parlement de 2012 où les Frères musulmans détenaient 40 % des sièges et les salafistes 25 %, les islamistes sont quasiment absents de ce parlement. La gauche, elle, ne récolte qu’un seul siège remporté par le parti du Rassemblement. Quant aux partis pro-25 janvier, leur présence est extrêmement faible (un député pour le parti Al-Dostour et 9 pour le parti Al-Masry Al-Dimocrati (l’Egyptien démocrate). L’entrée au parlement d’une cinquantaine d’anciens militaires et officiers de police est une autre caractéristique de ce nouveau parlement.
Les élections législatives ont été marquées par un taux de participation très faible, le plus faible depuis la révolution de 2011 (28,3 %), ce qui compromet la crédibilité du nouveau parlement. D’énormes défis se posent d’emblée à celui-ci. Il doit notamment ratifier quelque 400 projets de lois, émis durant la période transitoire sous les présidents Abdel-Fattah Al-Sissi et son prédécesseur, Adli Mansour. « Ce nouveau parlement a un lourd fardeau. Il doit examiner toutes les lois émises après le 30 juin, comme le stipule l’article 156 de la Constitution, dans un délai de 15 jours. On parle d’un total de 416 lois dont 115 ont été émises sous l’ancien président Adli Mansour et 301 sous le président Abdel-Fattah Al-Sissi. Certaines lois s’imposeront en priorité, comme notamment celle sur les manifestations, la loi antiterroriste ou encore celle sur la fonction publique qui avait suscité un grand débat dans la rue égyptienne. Revoir ces lois sera l’une des missions les plus importantes du nouveau parlement », précise Rami Mohsen, directeur du Centre national des recherches et des consultations parlementaires.
Mais outre les lois de la période transitoire, la vraie mission de ce parlement sera de transformer les clauses de la Constitution de 2014 en textes législatifs, selon Amr Hachem Rabie, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Le parlement va devoir transformer en lois les clauses de la Constitution de 2014 ayant trait aux libertés, à la justice sociale et aux droits des ouvriers. C’est une tâche difficile », commente Rabie.
En effet, le nouveau parlement doit transformer 42 clauses de la Constitution en lois, comme la clause sur la construction des églises et des lieux de culte, celle sur la lutte contre la discrimination à l’égard des femmes, et celle sur la justice transitionnelle.
Le nouveau parlement sera aussi chargé de nommer un nouveau gouvernement. Selon l’article 146 de la Constitution, le président Sissi doit nommer un premier ministre qui, à son tour, présentera son programme au parlement et ce dernier peut l’accepter ou non. En cas de refus, le parti ou la coalition majoritaire présente au président un candidat pour former un gouvernement.
L’autre grand défi qui attend le nouveau parlement est l’éventuelle réforme de la Constitution. Certaines voix se sont élevées récemment appelant à un amendement de la Constitution approuvée à 98,1 % en janvier 2014 pour « prolonger la durée du mandat présidentiel » et « élargir les pouvoirs du président ». Sameh Seif Al-Yazal, coordinateur de la liste Fi Hob Misr, avait déclaré, en octobre dernier, que la Constitution donnait « trop de pouvoirs au Parlement ».
Un parlement fort ?
Face à tous ces défis peut-on s’attendre à un parlement fort ? « Nous avons un parlement monochrome dominé en grande majorité par les partisans du président Abdel-Fattah Al-Sissi. Dans ce contexte, il est peu probable que nous ayons des débats très animés, et il y a de très faibles chances que ce parlement s’oppose à l’action du gouvernement ou exerce un contrôle réel sur celui-ci », explique Yousri Al-Azabawi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
En effet, le nouveau Conseil des députés est marqué par une absence quasi totale de l’opposition. Il est aussi marqué par une grande présence des députés indépendants d’où le caractère effrité de ce parlement. « Dans un tel contexte et sans clivages politiques réels, on peut s’attendre à une session parlementaire assez faible s’il n’y a pas de volonté politique », lance Amr Hachem Rabie. « Ce parlement est formé d’une majorité d’hommes d’affaires, et ceux-ci chercheront à servir leurs intérêts et l’intérêt du secteur économique qui contrôle leurs business », fait remarquer Al-Azabawi. Et de conclure : « Même si dans le fond ce parlement ressemble à celui de l’ère Moubarak, celui-ci, à la différence de ceux qui l’ont précédé, cherchera à ne pas provoquer les médias et l’opinion publique par ses décisions ».
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