Sur la tombe des martyrs, l’enquête reprend. (Photo: Bassam Al-Zoghby)
Les plus innocents sont les meilleurs coupables : il est facile de les manipuler et de les contrôler. Leur abstinence à participer au crime et à la révolte ne sauvera pas leur peau.
Sur les planches de la salle Zaki Tolaymat, au théâtre Al-Taliaa, la pièce Al-Abryaa (les innocents) écrite par Akram Moustapha, (d’après l’oeuvre de l’Allemand Siegfried Lenz, Le Temps des innocents) et montée par Ahmad Ibrahim, met en scène 12 personnes arrêtées par la police. Elles sont emprisonnées afin d’achever une mission diabolique prévue par l’inspecteur qui conduit l’enquête.
Ce dernier, après avoir torturé un jeune, parmi ceux qui ont appelé aux manifestations du 25 janvier 2011, ne réussit pas à obtenir les noms des autres instigateurs. Il emprisonne alors des innocents pour ne les libérer qu’après leur avoir décroché des aveux. Le jeune militant torturé, après une série de confrontations avec les autres innocents, est étranglé. Mission presque accomplie : on s’est débarrassé d’un révolutionnaire.
L’oeuvre originale de Lenz, datant de 1961, décrit l’Allemagne nazie et souligne l’idée de la résistance, de l’engagement de l’individu et de la responsabilité collective. Le dramaturge Akram Moustapha en fait ici une adaptation actuelle propre à l’Egypte. Il brode autour des événements qui précèdent et suivent la révolution. Akram Moustapha va encore plus loin et anticipe les 4 ans à venir sous des régimes islamistes. Les innocents, libérés après la mort du révolutionnaire, sont de nouveau convoqués par le conseil des révolutionnaires. Devant les tombeaux des martyrs, une enquête est menée. Qui est le vrai criminel ? Qui a tué le militant en question ?
Engagé et direct
Le metteur en scène, Ahmad Ibrahim, opte pour un théâtre politique engagé et direct. Il situe son premier acte dans une cellule de prison, le second dans un cimetière. Le décor et le jeu d’éclairage rougeâtre servent à créer une scénographie très significative conçue par Amr Abdallah.
La cellule est souterraine, les barreaux, au-dessus de l’espace scénique. Deux mondes sont en place : celui du gouverneur (enquêteur, police) et du gouverné (les prisonniers manipulés et torturés).
Après la mort du militant, les innocents sont libérés et la révolution se déclenche à nouveau. On passe à une projection vidéo, assez longue, montrant des séquences d’archives ou présentant une revue de presse pour résumer les incidents des deux dernières années. De quoi engendrer une certaine monotonie ...
Le deuxième acte se déroule quelques années plus tard. Sur les pierres tombales qui envahissent l’espace scénique sont inscrits les noms des martyrs. Les masques des innocents tombent. Ils dévoilent leurs péchés, leurs débauches, sans jamais avouer le meurtre, s’accusant les uns les autres. On se retrouve par excellence dans un cercle vicieux.
L’énigme n’est jamais résolue. Personne n’est coupable, ni innocent. Des comédiens lancent un discours moralisant pour plaindre le sort du pays et appeler à une prise de conscience. Mais ici, message est un peu trop direct.
Tous les soirs à 20h (relâche le mardi) au théâtre Al-Taliaa, Place Ataba. Tél. : 2593 7948
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