Maghawri Chéhata, conseiller du ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques égyptien.
Al-Ahram Hebdo : Où sont bloquées les dernières négociations sur le barrage de la Renaissance ?
Maghawri Chéhata : Les dernières réunions qui ont eu lieu les 11 et 12 décembre n’ont donné lieu à rien de nouveau et c’est pourquoi on s’est mis d’accord pour les reprendre les 27 et 28 décembre prochain. L’ajournement des négociations peut être une indication que, dans les coulisses, il existe comme une tricherie de la part éthiopienne. C’est ainsi que, pour l’Egypte, la prochaine réunion sera la dernière pour cette crise plutôt politique que technique. L’Egypte est convaincue que des différentes politiques perturbent les négociations.
— Pensez-vous qu’il s’agisse de manoeuvres contre l’Egypte ?
— Effectivement, ce sont des manoeuvres dirigées par Israël, les Etats-Unis et certains pays européens. C’est une guerre indirecte contre l’Egypte. Il est clair pour tout le monde qu’il existe, dans certains pays africains, des démarches israéliennes, voire des mouvements contre les intérêts égyptiens. Même la société qui va gérer le barrage est, en fait, israélienne.
— Quel sera donc l’agenda de l’Egypte pour la prochaine réunion ?
— L’Egypte a mis quelques points principaux à son agenda pour régler la majorité des questions suspendues, afin de faire passer l’occasion à l’Ethiopie de perdre plus de temps. L’objectif principal du Caire sera d’exiger la suspension des travaux de construction momentanément pour pouvoir effectuer les études hydrauliques, économiques et environnementales et les influences de la construction du barrage sur les deux pays de l’aval : le Soudan et l’Egypte.
— Comment évaluez-vous la situation de l’Ethiopie dans les négociations ?
— La situation éthiopienne n’est pas rassurante du tout. Addis-Abeba ne reconnaît pas les droits historiques du quota de l’Egypte sur les eaux du Nil. Il essaye d’ajourner les négociations pour gagner le temps et achever la construction du barrage qui devrait être opérationnel en 2016. La situation éthiopienne a toujours été agressive envers ses voisins du bassin du Nil. Elle cherche toujours ses intérêts aux dépens des autres et rejette la coopération avec l’Egypte dans le domaine des eaux du Nil. Néanmoins, Addis-Abeba tient à entretenir de bonnes relations avec les autres pays du bassin du Nil, notamment le Soudan.
— Qu’en est-il de la situation du Soudan ?
— Khartoum cherche aussi à réaliser des gains. Il soutient l’Ethiopie parce qu’ils ont des intérêts communs notamment dans le domaine de l’agriculture à l’est du Soudan. Le projet du barrage diminue, en fait, les périls de l’inondation des territoires soudanais de la crue et donne une chance de réhabiliter des sols. Le Soudan obtiendra également l’électricité pour combler son déficit en ressources énergiques. Toutefois, la situation du Soudan n’est pas 100 % claire, surtout après les déclarations du président soudanais, Omar Al-Bachir, sur ses craintes de la démolition du barrage, parce que son pays sera le premier à endurer des pertes catastrophiques.
— Cette position du Soudan nuit-elle à la situation égyptienne dans les négociations ?
— Oui bien sûr, parce que l’Egypte et le Soudan doivent avoir une position stratégique unifiée. Mais la situation du Soudan semble beaucoup changer à cause de litiges sur Halayeb et Chalatine. Je demande au Soudan et à l’Ethiopie d’être plus clairs en ce qui concerne les fins de la construction d’un tel barrage, parce que l’Egypte n’acceptera pas la perte d’une goutte d’eau de son quota historique de 55,5 milliards de mètres cube. Les accords historiques n’étaient pas injustes. C’est le droit historique de l’Egypte. L’Ethiopie possède d’autres ressources hydrauliques, mais l’Egypte a un déficit de 30 milliards de m3.
— L’arbitrage international pourra-t-il être une des solutions proposées pour régler la crise ?
— L’arbitrage international nécessite que les parties au litige (l’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan) soient toutes d’accord sur le règlement de litiges par des juges de leur choix et sur la base de respect du droit. Certainement, l’Ethiopie n’acceptera pas ce scénario parce qu’elle voit que le droit international et le monde ne sont pas à son rang. En plus, le recours à l’arbitrage international et à la Cour internationale de la justice ne garantit à l’Egypte ni le règlement de la crise ni l’obtention de ses droits hydrauliques. De même, le processus de l’arbitrage international requiert au moins deux ou trois ans durant lesquels la construction du barrage sera, sûrement, accomplie. Et ainsi nous serons en face d’un fait réel. Personne ne pourra démolir un barrage après sa construction. L’Ethiopie a déjà réalisé 50 % des travaux.
— La solution militaire peut-elle être proposée ?
— Il faut demander cela au Conseil de défense nationale. En réalité, le monde refuse catégoriquement la solution militaire pour régler de tels genres de litiges. Et puis, la communauté internationale soutiendra l’Ethiopie en tant qu’un pays pauvre ayant besoin de projets de développement. Par la construction du barrage, les grandes puissances veulent donner à l’Ethiopie une position importante et un rôle régional, stratégique et économique dans le continent noir.
(Photo : Reuters)
— Quelle est, donc, à votre avis, la meilleure solution pour régler cette crise ?
— Le barrage de la Renaissance est devenu un fait réel. Et il n’y a pas d’alternatives aux négociations. Jusqu’à présent, on ne peut pas dire que les négociations ont échoué. Tous les organismes gouvernementaux doivent joindre leurs forces pour réussir. Et les négociations seront en vertu de l’accord-cadre du barrage de la Renaissance.
— Les efforts déployés par les gouvernements égyptiens pour régler l’affaire ont-ils été notables ?
— Depuis les années 1990, les gouvernements égyptiens en général et les ministres de l’Irrigation, en particulier, ont négligé le dossier du bassin du Nil. Ils sont les principaux responsables de la perte des droits hydrauliques de l’Egypte et en conséquence de la construction du barrage de la Renaissance. Aujourd’hui, le gouvernement ne peut prendre de position décisive que selon les données éthiopiennes.
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