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Syrie : Un nouveau saut vers ... l’inconnu

Abir Taleb avec agences, Mercredi, 16 décembre 2015

Plusieurs réunions sur la Syrie ont eu lieu ces dernières semaines avec pour objectif de préparer la rencontre internationale de New York, dont l'issue reste des plus incertaines.

Syrie : Un nouveau saut vers ... l’inconnu

En Syrie, les choses bougent, c’est certain. Dans quelle direction ? on le sait moins. Depuis plusieurs jours en effet, les rencontres et les réunions se multiplient. Celle de l’opposition syrienne la semaine dernière à Riyad (voir page 5) ; celle de vendredi dernier à Genève regroupant la Russie, les Etats-Unis et l’Onu ; ou encore celle de lundi dernier à Paris regroupant les puissances mondiales et régionales du Groupe de soutien international à la Syrie (ISSG), qui intègre la coalition des pays hostiles au président syrien, Bachar Al-Assad, mais aussi la Russie et, c’est une première, l’Iran ; et enfin et surtout le tête-à-tête de ce mardi à Moscou entre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, c’est-à-dire entre les véritables décideurs.

Le tout en prévision d’une conférence internationale qui devrait avoir lieu le 18 décembre à New York, sous les auspices de l’Onu, avec l’objectif de faire avancer la perspective d’un cessez-le-feu négocié, et pourquoi pas jeter les bases d’un règlement politique.

Même si la date du 18 décembre n’a pas encore été confirmée, nous assistons, depuis le 30 octobre dernier — date de la première réunion de Vienne qui a été suivie par une deuxième le 14 novembre —, à l’amorce d’un véritable processus politique. Objectif : esquisser l’ébauche d’une démarche de négociations politiques qui incluent des représentants du régime, d’une opposition « unifiée » qui tienne la route face au régime syrien. Outre bien sûr les principales parties internationales et régionales ayant un certain poids dans l’équation syrienne, étant donné que — ce n’est un secret pour personne —, les parties internes sont directement liées à des parties externes. D’où la régionalisation, voire l’internationalisation du conflit syrien.

Or, pour évaluer ces efforts diplomatiques, et surtout pronostiquer leurs éventuels résultats, il convient d’abord d’analyser les raisons de cette soudaine attention portée par la communauté internationale à la crise syrienne, alors qu’elle a été laissée traîner et s’aggraver pendant plus de quatre ans. « C’est un cocktail de plusieurs facteurs », répond Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. « D’abord, c’est l’intervention militaire russe en Syrie. Cela a changé la donne et surtout l’équilibre des forces. Ensuite, il y a la crise des réfugiés qui affluent en Europe. Débordés, les Européens ont commencé à pousser vers un règlement pour que cette crise soit résolue à la source. Il y a eu aussi les attentats du 13 novembre en France et la campagne européenne anti-Daech qui s’ensuivit. Enfin, la situation sur le terrain présente de gros dangers. Avec tous ces pays qui frappent en même temps et qui ont des objectifs et des cibles différents, les incidents militaires sont possibles et risqués. On l’a vu récemment avec l’affaire de l’avion russe abattu par la Turquie », estime Dr Hicham Ahmed.

Or, comme le dit l’analyste, les objectifs des uns et des autres sont différents. Comment donc parvenir à un terrain d’entente ? Lors des réunions de Vienne (30 octobre et 14 novembre derniers), l’ISSG, qui intègre la coalition des pays hostiles au président syrien, Bachar Al-Assad, mais aussi la Russie et l’Iran, alliés de Damas, s’était entendu sur une feuille de route prévoyant notamment la réunion des représentants du gouvernement et de l’opposition syriens pour des négociations officielles sous les auspices des Nations-Unies, avec le 1er janvier comme date butoir, un gouvernement de transition dans les six mois, et des élections dans les 18 mois.

Mais à part ces points généraux sur lesquels on s’était mis d’accord, les divergences, les vraies, les plus profondes persistent.

D’abord sur la composition des représentants de l’opposition syrienne (voir page 5). Depuis le début de la crise syrienne en effet, la polémique sur « quelle opposition ? » n’a jamais cessé. Washington et Moscou ayant à cet effet des vues bien différentes. Le premier protestant que les bombardements russes visent des forces de l’opposition et non les djihadistes de l’Etat Islamique (EI). Le second appelant les Etats-Unis à revoir leur politique consistant à « séparer les bons des mauvais terroristes ».

Subtilité russe

Aussi, à ce sujet, une récente déclaration russe attire particulièrement l’attention, Moscou ayant affirmé qu’il soutenait les rebelles de l’Armée Syrienne Libre (ASL), en lutte dans l’ouest de la Syrie contre le régime de Bachar, ce qui a été démenti par l’ASL. Une déclaration loin d’être anodine, surtout lorsque l’on sait que Moscou est le principal allié de Bachar Al-Assad. Serait-elle un prélude à la présentation de l’ASL (par Moscou) comme la seule opposition avec qui l’on peut discuter ?

S’il est encore trop tôt pour y répondre, il est toutefois clair que Moscou veut imposer ses vues, qu’il s’agisse de l’opposition ou des autres points de divergences, principalement le sort de Bachar Al-Assad. Et sur ce point justement, Moscou semble en passe de gagner la partie, même si on ne cesse de dire que le sort du président syrien divise toujours.

« Côté européen, on témoigne de plus en plus de flexibilité à ce sujet », explique Dr Hicham Ahmed. Selon l’analyste, « les Européens vont dans le sens d’accepter que Bachar reste pendant la transition. Les Américains, eux, sont moins flexibles. Ils se disent contre, mais en fait, ils commencent à changer de ton ». En effet, les Américains se disent toujours pour un départ de Bachar, mais les termes utilisés ne sont plus tout à fait les mêmes. Alors que l’accent était mis sur son départ comme une condition préalable à tout règlement, on sous-entend aujourd’hui que le président syrien peut rester pendant la transition. Ainsi, lundi dernier, à la veille du départ de John Kerry pour Moscou, un haut responsable du département d’Etat, parlait de « réduire les divergences entre Washington et la Russie sur la crise syrienne, et en particulier sur le rôle du président Bachar Al-Assad dans un processus de transition ».

Tout porte donc à croire que le président syrien n’est pas près de partir, grâce à un jeu d’équilibriste subtile joué par Moscou. Or, un tel scénario présente aussi des risques.

« La crise est complexe, et ne peut pas être résolue aussi facilement que cela. Ce n’est plus du tout un conflit entre un régime tyrannique et un peuple opprimé, comme ça avait commencé. Il y a de nombreuses parties en jeu et des enjeux très différents, parfois opposés. C’est pour cela que toute solution doit impérativement passer d’un côté par un accord régional entre l’Arabie saoudite et l’Iran, et de l’autre par un accord international, entre les Etats-Unis et la Russie », explique Dr Hassan Nafea, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire et chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et d’ajouter : « Or, ceci est très difficile, en même temps, et tel est le dilemme, aucune solution militaire n’est possible, tout le monde en est conscient ».

Et c’est justement parce que tout le monde en est conscient que les choses ont commencé à bouger. C’est déjà ça, estiment les analystes. De là à espérer que la prochaine réunion de New York aboutisse à quelque chose, non. « Si les Américains et les Russes parviennent à s’entendre sur le principe, ils opteront ensuite pour la politique des petits pas, en avançant étape par étape. D’ici là, les tractations seront difficiles et longues », prévoit Dr Hicham Ahmed. Plus pessimiste, Dr Hassan Nafea, estime : « Ce sera une réunion comme les autres, avec peut-être quelques avancées minimes. Car à l’heure qu’il est, aucune solution définitive n’est applicable ». Et de conclure : « Il ne faut pas oublier que la crise syrienne n’est que le reflet de la complexité de situation au Proche-Orient et des changements géostratégiques et géopolitiques à venir ».

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