Al-Ahram Hebdo : Depuis la révolution, l’Egypte a connu deux gouvernances. L’une sous l’égide du Conseil militaire, et l'autre sous la présidence de Mohamad Morsi. Comment évaluez-vous la première ? Et peut-on déjà juger la seconde ?
Mahmoud Hussein : Nous avons bien sûr des remarques à faire sur la première période durant laquelle l’armée a protégé la révolution et les manifestants, et a contraint Moubarak à quitter le pouvoir. Le Conseil militaire, qui a géré ensuite le pays, a organisé les premières élections législatives intègres dans l’histoire du pays. Il a réussi à transférer le pouvoir à un président civil, une première ! Pourtant, cette période a été entachée de quelques erreurs qui sont à mettre sur le compte du manque d’expérience des militaires en matière de politique, ainsi qu’à la complexité de la situation.
Depuis l’investiture du président Morsi, nous avons vécu maintes tentatives destinées à le faire échouer, lui et le pouvoir qu’il incarne. Certains ont essayé de renverser le Parlement, de dissoudre le Conseil consultatif et l’assemblée constituante et, par conséquent, de créer un vide constitutionnel et institutionnel. Ce qui aurait signifié l’échec du nouveau régime !
Il existe des personnes qui, à titre individuel, menaient une véritable opposition qu’on peut qualifier de pacifique et civilisée. Mais d’autres ont enfreint les règles de la démocratie en recourant à la violence. Au final, il serait précoce de porter un jugement sur la « période Morsi » qui ne dure que depuis 6 mois à peine. Le gouvernement essaie de gérer un pays en faillite, ce qui rend encore plus difficile l’évaluation de la performance présidentielle ou gouvernementale.
— Comment évaluez-vous l’administration Morsi ? Espériez-vous une démarche politique différente pour ces premiers 6 mois ?
— Oui, sans doute. Mais il faut savoir que les responsabilités ne sont pas toutes à mettre sur le dos du président. Dans tous les cas, nous, les Frères musulmans, avons l’habitude, quand nous voyons des erreurs, de donner des conseils en secret, parce que nous voulons que la roue avance. Nous avions donné des conseils au Conseil suprême des forces armées. Nous préférons la voie secrète. Nous n’annonçons ouvertement nos positions qu’à l’instant où le parti avance sur une mauvaise voie. A ce moment-là, on se trouve obligé à s’adresser à la nation et d’annoncer publiquement notre position.
Nous faisons de même avec M. Morsi. Nous nous permettons d’intervenir quand nous avons des remarques en ce qui concerne la prise de certaines décisions ou lorsqu’il cède à certaines pressions. C’était par exemple le cas avec les forces politiques qui n’ont pas réussi à remporter des sièges au Conseil consultatif et qui insistaient à ce qu’aucun des 90 membres nommés au Conseil consultatif ne fasse parti de la confrérie, bien que ses membres aient obtenu 80 % des voix, ce qui est injuste.
Là, l’opposition a commis de grandes erreurs en ayant recours à des méthodes non démocratiques et non pacifiques, comme les tentatives de pénétrer le palais présidentiel ou de brûler les locaux du Parti Liberté et justice. J’espérais plutôt voir une opposition réelle et forte qui aurait proposé des solutions. Par exemple, nous avons entendu beaucoup de déclarations à propos de la Constitution, mais nous n’avons pas entendu parler d’alternatives pour pouvoir discuter des articles qui posaient problème.
— Le Front du salut national a annoncé qu’il lutterait pour l’abolition de cette Constitution ...
— Parler de l’abolition de la Constitution est une chose sanctionnée par la loi. Comment un politicien peut-il parler ouvertement de la volonté d’abolir une Constitution autour de laquelle a été organisé un référendum ? S’agit-il d’un politicien ou d’un baltagui ?
— Mais ces paroles ont été prononcées dans le contexte des irrégularités commises pendant le référendum ...
— C’est une autre histoire. Toutes les chaînes satellites ont transmis en direct le processus du scrutin, toutes les organisations de la société civile l’ont observé. Comment dire alors que le scrutin a été falsifié ? La Haute commission électorale a tranché l’affaire.
— Comment jugez-vous la position du Front du salut national hors de l’épisode du référendum ? N’est-il pas indispensable de posséder une forte opposition ?
— Si le Front du salut national avait constitué une opposition véritablement forte, cela aurait enrichi la vie politique. Une opposition forte signifie qu’on établit des alternatives et qu’on les présente au peuple pour qu’elles soient adoptées par le plus grand nombre de personnes. Le but étant que ces alternatives soient ensuite acceptées par la majorité. Mais l’opposition a eu recours à des procédés non démocratiques et non politiques. Je pense qu’elle a beaucoup perdu : son crédit dans la rue diminue jour après jour, car elle a recours aux mensonges et les gens ne sont pas dupes.
— Mais la popularité du président s’est-elle aussi effondrée ?
— Non, bien au contraire. La popularité du président est beaucoup plus grande qu’avant. La preuve est le résultat du référendum malgré la campagne menée par l’opposition. Dans de nombreux gouvernorats, le pourcentage de « oui » était plus important que le pourcentage de Morsi à la présidentielle. Ceci prouve que la popularité du président est écrasante.
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