Al-Maqam, de Youssef Limoud.
(Photo : Bassam Al-Zoghby)
L’événement se proclame d’emblée différent, rien que par son titre, il se veut provocateur en réclamant de voir Autre Chose ou Something Else en anglais. Ainsi, l’exposition, principale activité de cet événement artistique pluridisciplinaire, laquelle se tient jusqu’à fin décembre à l’espace Darb 1718 dans le Vieux-Caire, regroupe les oeuvres de 110 artistes, venus de 34 pays, qui font tous appel au changement. Et ce, à travers leurs photographies, installations, performances, vidéos et autres oeuvres dominées pour la plupart par l’actualité sociopolitique et par un humour noir.
Il s’agit, en effet, de la première édition de cet événement qui se présente comme le Off de la Biennale du Caire 2015, avec la tenue de plusieurs expositions, concerts, projections et autres, organisés par des acteurs culturels, des acteurs associatifs et des entreprises (voir encadré). Ces activités Off visent à donner une plus grande place à l’expérimentation, allant bien au-delà de la programmation officielle. Elles crient haut et fort le désir de voir Autre Chose, comme le révèlent bien les oeuvres exposées actuellement au Darb 1718.
Moataz Nasr y participe avec une installation représentant un large panneau de signalisation routière. A l’aide de plusieurs flèches, l’artiste indique que la liberté d’expression est à 3 000 km, dans cette direction. Puis, les flèches vont droit dans le mur. On va vraiment dans une direction sans issue, semble-t-il dire.
Bassem Yousri a recours, comme d’habitude, au dessin caricatural et à la bande dessinée. Il dresse tout un mur en noir et dessine en blanc une petite figurine humaine laquelle s’interroge : « Pourquoi » ? La question demeure sans réponse.
Puis, « La ville se colore avec du pop art » dans l’oeuvre de Hoda Lotfi, qui évoque le centre-ville cairote en chaos. Lotfi se sert de photos des immeubles du fameux down-town, en manipulant ses divers styles architecturaux. Elle peuple son centre-ville de femmes aux visages masqués, marchant sur une corde raide.
Youssef Limoud, Alaa Abdel-Hamid et Sandrine Pelletier montrent dans leurs installations ce qui reste des villes et des villages en voie de disparition. Dans Al-Maqam (mausolée d’un saint), Limoud emploie des ustensiles de cuisine, des morceaux de bois et du sable pour recréer une ville sans vie. Tout y ressemble à des pierres tombales. « La symphonie du Caire » de Alaa Abdel-Hamid fait référence à la construction informelle sur les terrains agricoles sévissant partout à la périphérie de la capitale égyptienne. Le vert, signe de la vie et de la prospérité, est en train de disparaître, comme l’exprime Limoud, mais aussi l’artiste suisse Sandrine Pelletier, avec son installation Lieu déserté. Elle y associe le bois et le verre, afin de monter un endroit en ruine : le bois brûlé laisse entrevoir quelques petits morceaux de verre déformés sous l’effet du feu.
Le thème de la colonisation est fortement présent dans la série de vidéos Un Atlas dé colonial. Celle-ci projette des vidéos tournées entre 2010 et 2015 par dix artistes de Chili, de Colombie, du Guatemala, du Mexique et des Etats-Unis. Cet atlas audiovisuel n’est pas en fait sans rappeler les frustrations individuelles, les attentats, les bombardements, etc. Les artistes dénoncent la colonisation, les arrestations péremptoires et le terrorisme. Bref, plein d’images faisant allusion au quotidien et au contexte politique.
L’idée du changement et de la transition revient également chez d’autres artistes. Les deux performances de l’Italienne Romina de Novellis en témoignent d’ailleurs. A Darb 1718, elle a présenté La pecora (le mouton) et le lendemain, à l’entrée du cinéma Radio, elle a donné NacIO (l’hypochlorite de sodium). Dans les deux performances, elle développe le thème de la transition d’un état à l’autre, à travers le lavage de la laine du mouton et celui de la lessive, à l’aide de détergents et de produits chimiques de blanchiment.
Par l’intermédiaire de disciplines différentes, les artistes rejettent la réalité, la soumission et la passivité. Ils lancent un appel à l’espoir, malgré le contexte dissuasif .
Jusqu’à fin décembre, tous les jours à Darb 1718, de 12h à 21h (sauf le vendredi), rue Qasr Al-Chamea, Fostat. Projections vidéo, au centre-ville, tous les soirs de 18h à 21h. Au 16 et 42, rue Abdel-Khaleq Sarwat. Expo de photos et vidéos à l’entrée du cinéma Radio, tous les soirs de 18h à 21h (sauf le mardi). Rue Talaat Harb, centre-ville
Le Off de la Biennale du Caire
OFF Biennale du Caire (OBC) est une association à but non lucratif, fondée par Moataz Nasr, avec d’autres acteurs culturels. Elle vise à promouvoir l’art contemporain en Egypte et dans le monde arabe, en invitant notamment des artistes locaux et internationaux à participer à des projets annuels : résidences, ateliers, tables rondes, expositions, ou autres, afin de rompre avec l’état de la stagnation actuelle et attirer l’attention vers les arts égyptiens.
L’OBC devait tenir son premier événement artistique en marge de la Biennale du Caire de 2015. Pourtant, l’association a pu organiser la manifestation pluridisciplinaire Something Else (autre chose), même si la Biennale du Caire n’a pas eu lieu au mois de novembre comme prévu. « En temps normaux, nous allons proposer un Off de la Biennale du Caire, à l’instar de ce qui se passe en Europe. Celui-ci ne doit pas être considéré comme une manifestation alternative, mais comme des activités multiples qui se déroulent en marge de l’événement officiel », indique Simone Njami, l’un des commissaires de Something Else dans le communiqué de presse de l’exposition. Les activités Off sont donc censées entrer en dialogue avec la Biennale, la soutenir et en donner une autre dimension.
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