Faut-il fêter la révolution ? Cette question, chaque Egyptien devrait se la poser d’ici le 25 janvier. Derrière sa simplicité apparente, elle illustre les courants opposés en Egypte.
Trois dominent la scène idéologique. Il y a ceux qui pensent que la révolution a bien eu lieu, mettant en avant le régime de Mohamad Morsi. D’autres, plus suspicieux, pensent que la révolution est incomplète, certains changements devant être appliqués pour la parfaire.
A l’opposé, une dernière catégorie nie l’existence d’une révolution, arguant que la politique actuelle n’est pas différente de celle de Moubarak. Pour eux, la révolution reste à faire.
La « révolution » des Frères
Sans l’ombre d’un doute les Frères musulmans sont les grands vainqueurs de la révolution de janvier 2011. En l’espace de quarante-huit mois, ils ont gagné un poids considérable en comparaison aux autres acteurs ayant participé aux révoltes, tels les libéraux.
Un fait d’autant plus étrange que les Frères musulmans n’étaient pas à l’initiative du soulèvement. Le 25 janvier 2011, ils n’avaient même pas appelé à descendre dans la rue, prenant le train de la contestation avec plusieurs jours de retard.
Très vite, pourtant, ils ont réussi à s’imposer sur la scène politique pour s’emparer complètement du pouvoir en juin 2012. Aujourd’hui, la confrérie des Frères musulmans et le président Mohamad Morsi occupent la quasi-totalité des institutions du pays.
Selon les spécialistes, l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans est logique. Personne ne peut le nier, la confrérie a toujours été un outil dans les mains de l’ancien régime. A des fins différentes, Moubarak l’a utilisée tour à tour comme épouvantail et seule opposition valable dans le pays. En la maintenant dans cet état-là, il maintenait son pouvoir en Egypte.
Selon Amani Al-Tawil, du Centre des Etudes Politiques et Stratégies (CEPS) d’Al-Ahram, « les Frères musulmans ont toujours eu la sympathie populaire notamment car ils ont été torturés lors de l’ancien régime ». Leur caractère religieux leur a aussi permis de s’élever grâce à une base populaire.
En deux ans, les Frères musulmans sont donc passés du camp de l’opposition au camp du régime en place. Si l’on considère la chute de Moubarak et l’arrivée au pouvoir d’un nouveau parti politique, la révolution, par définition un changement brusque dans l’ordre politique et social, a bien eu lieu !
La révolution contestée
Pourtant, en vingt-quatre mois, le régime de Mohamad Morsi semble avoir autant de défenseurs que de détracteurs. Le politologue Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, fait partie de ces derniers.
« Avant la révolution, nous imaginions que les Frères constituaient un groupe et une force politique bien organisée vu leurs activités sociales dans les différents gouvernorats. Ajoutez à cela leur popularité et leur compétence de mobilisation : c’est alors naturel qu’ils aient accédé au pouvoir », estime-t-il. Mais « une fois au pouvoir, nous avons découvert qu’ils ne travaillaient que pour leur propre intérêt », ajoute-t-il.
La confrérie n’a en effet eu de cesse de réaliser ses ambitions politiques en Egypte depuis la révolution. Elle a créé son propre parti politique, le Parti Liberté et justice. Pour les élections, les Frères se sont alliés à onze partis au sein de l’Alliance démocratique, afin d’étendre leur pouvoir et de maximiser leur influence politique dans la future Assemblée.
Ils semblent désormais vouloir accroître leur influence par tous les moyens possibles. « Ils ont utilisé la religion pour augmenter leur popularité, mais ce qui nous a le plus choqué, c’est que malgré tous les cadres et personnalités compétents qui se trouvent au sein de la confrérie, ils semblent incapables de gérer le pays. On pensait qu’ils allaient être beaucoup plus compétents », conclut Moustapha Kamel Al-Sayed.
Pour lui, Morsi n’a tenu aucune de ses promesses depuis son accession officielle au pouvoir le 30 juin dernier. Il promettait, par exemple, de lutter contre la corruption, de rendre les rues propres, de relancer l’emploi, d’augmenter les prestations sociales … Il suffit de sortir dans la rue, voir les embouteillages et renifler l’odeur des ordures pour se rendre compte des promesses non tenues. Pire encore, l’inflation est reine et la sécurité n’est pas au rendez-vous (voir p.4).
Pour une large catégorie de personnes, la révolution a bien eu lieu, mais elle n’a pas donné les fruits tant espérés. Si la politique a connu un nouveau souffle, avec l’arrivée des Frères musulmans, le quotidien des citoyens ne s’est pas amélioré. Or, c’est la difficulté de vivre le quotidien qui avait poussé un million de personnes à se rendre place Tahrir.
La révolution couve
De ces germes naît la dernière catégorie de personnes, celles qui pensent qu’aucune révolution n’a eu lieu. Ce sont ces gens qui alimentent depuis vingt-quatre mois les sit-in place Tahrir ou devant le palais présidentiel.
Pour eux, au-delà de ne pas améliorer la vie en Egypte, Mohamad Morsi mène un jeu politique égal à celui de Moubarak. Dès ses premières décisions, le président élu démocratiquement a essayé de briguer les pleins pouvoirs.
Citons par exemple la décision ayant conduit à la retraite le maréchal Hussein Tantawi et le général Sami Anane, chef d’état-major des armées. Ou encore la promulgation d’un décret renforçant son pouvoir personnel, la destitution de l’ancien procureur général, la promulgation d’une déclaration constitutionnelle jugée dictatoriale ou la formation d’une nouvelle assemblée constituante acquise aux Frères musulmans.
Toutes ces décisions, qui vont dans l’intérêt de la confrérie, ont divisé en profondeur la scène politique égyptienne. Selon le politologue Ammar Ali Hassan, « la manière et la rapidité avec lesquelles Mohamad Morsi gouverne montrent que les membres de la confrérie ont hâte de mettre un terme à la situation de contestation quasi permanente qui règne aujourd’hui en Egypte ».
Face aux pro-Morsi, souvent islamistes, se tient maintenant une opposition en perpétuelle consolidation. Pour cette dernière, l’anniversaire du 25 janvier est davantage l’occasion de faire la révolution que de fêter la révolution.
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