Quel impact auraient les attentats de Paris sur la politique européenne des migrants ? C’est l’une des questions qui, outre la lutte antiterroriste, préoccupent le plus depuis la tragédie qui a eu lieu à Paris la semaine dernière. Selon un récent rapport de l’Onu, plus de 800 000 réfugiés sont arrivés en Europe par la mer depuis le début de l’année, en majorité en provenance de la Syrie. «
Ce qui inquiète l’Europe, c’est d’un côté le fait qu’il s’agit de la pire crise migratoire depuis 1945, et de l’autre, que des terroristes peuvent s’infiltrer parmi les migrants.
Depuis le début du drame des réfugiés syriens en 2011, de grands pays, comme l’Allemagne et la France, craignaient la propagation de l’islam radical sur leur sol ; et leurs craintes se sont concrétisées avec la tragédie de Paris. Cette tendance est encore plus forte chez les pays les plus petits, comme la Pologne, la Norvège ou la Hongrie qui veulent arrêter ce flux migratoire », explique Mohamad Abdel-Salam, du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. En effet, la Hongrie et la Pologne ont affiché cette semaine leur refus des quotas de répartition de réfugiés entre Etats membres de l’UE. Alors que les clivages s’accentuent entre la droite et la gauche, notamment en Allemagne et en France. Pour la droite européenne – partisane d’une politique anti-migratoire —, ce qui s’est passé à Paris n’était qu’une conséquence de l’afflux des réfugiés provenant du Moyen-Orient, surtout de la Syrie. En France, la chef de l’extrême droite, Marine Le Pen, a prôné la fermeture des frontières et l’arrêt immédiat de l’accueil des migrants, estimant que les craintes de voir des terroristes se mêler aux migrants étaient « une réalité concrétisée ».
Pourtant, le président François Hollande s’est contenté, lors d’une réunion des ministres européens de l’Intérieur et de la Justice vendredi dernier, d’appeler à « la mise en place des contrôles coordonnés et systématiques aux frontières de l’espace Schengen ». Mêmes divisions en Allemagne où des manifestations de droite ont éclaté dans les rues de Berlin, arborant des banderoles : « Hier à Paris, Demain en Allemagne » et « Merkel doit partir ». La chancelière allemande, Angela Merkel, fait face à une contestation croissante de sa politique d’ouverture aux migrants. « Il ne faut pas faire d’amalgame entre réfugiés innocents et terroristes », se défend-elle. « Ce qui se passe en Europe n’est qu’un bras de fer entre la droite, notamment l’extrême droite, et la gauche. Chaque camp utilise la carte des migrants pour servir ses propres intérêts, que ce soit à l’approche d’élections ou simplement pour marquer des points aux dépens de son adversaire », note Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire. « Personnellement, je pense que c’est la gauche qui triomphera à la fin et que la droite ne réussira pas à faire fermer les frontières.
L’Europe ne pourra jamais bafouer les principes des droits de l’homme. Et puis, la plupart des gouvernements européens sont issus de la gauche comme le cas de la France et de l’Allemagne », estime le professeur Kazziha, pour lequel la politique européenne des migrants ne va pas trop changer : « Le contrôle renforcé des frontières serait l’unique mesure à attendre ». Analyse justifiée par les propos du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui a affirmé à l’issue du sommet du G20 la semaine dernière : « Notre politique envers les migrants n’a pas besoin d’être révisée. Fermer les frontières n’est pas une solution. Ceux qui ont perpétré les attentats de Paris sont exactement ceux que les réfugiés fuient ».
La Turquie sollicitée
Face au dilemme migratoire, l’UE tente de trouver son salut auprès de partenaires comme la Turquie, devenue la porte d’entrée des réfugiés syriens vers l’Europe. L’UE réalise qu’une solution au problème migratoire doit passer par Ankara, une solution que l’on cherchera à trouver lors du sommet Europe-Turquie prévu fin novembre. Selon le chercheur du CEPS, Mohamad Abdel-Salam, « la tâche du Club européen ne sera pas facile car Ankara pourrait bien pêcher dans les eaux troubles. La Turquie ne va pas rater une occasion pour imposer ses conditions à l’Europe ». L’UE demandera certainement à la Turquie, qui accueille déjà 2,2 millions de réfugiés, principalement syriens, de freiner le départ de ces derniers vers l’Europe en leur assurant — grâce à un financement européen — des perspectives de travail et d’éducation. Pour l’heure, Ankara demande 3 milliards d’euros. Un chiffre qui doit encore être négocié, des diplomates européens émettant des doutes sur la possibilité de mobiliser un tel montant. « L’Europe veut que la Turquie suive l’exemple de la Jordanie qui accueille un million et demi de migrants en contrepartie d’aides internationales. La Turquie pourrait faire de même si elle reçoit des fonds importants de l’UE. Je crois que l’UE n’aura pas d’autre choix », prévoit Abdel-Salam.
Les migrants africains, une autre source d’inquiétude pour l’Europe
Outre les réfugiés politiques qui transitent en Turquie, l’UE tente de freiner l’afflux des migrants venant d’Afrique, fuyant la pauvreté et le chômage. Depuis 4 ans, le flux des migrants africains vers l’Europe a pris de l’ampleur à cause du chaos qui sévit en Libye, devenue porte d’entrée des migrants africains vers l’Europe. « L’ex-président libyen Muammar Kadhafi encourageait la migration des Africains vers son pays, notamment depuis les années 1990. Or, le chaos qui règne en Libye depuis la chute de son régime en 2011 a aggravé la situation de ces migrants, de quoi provoquer leur exode vers l’Europe », explique le professeur de sciences politiques, Walid Kazziha. Dans une tentative de s’attaquer aux racines du mal, les Européens se sont engagés, lors de leur sommet à Malte, mi-novembre, à aider financièrement le continent noir afin de contrer les causes des migrations. Une aide financière de 1,8 milliard d’euros serait donnée à des pays africains en contrepartie d’efforts destinés à freiner les arrivées de migrants en Europe.
Malgré la signature de l’accord de Malte, rien ne garantit la contribution des dirigeants africains à la résolution de la tragédie migratoire. Les leaders africains ne cachent pas déjà leur agacement. « On ne peut pas insister à réadmettre les Africains chez eux pendant qu’on parle d’accueillir des milliers de Syriens. C’est discriminatoire », s’indigne le président sénégalais, Macky Sall, alors que son homologue nigérien, Mahamadou Issoufou, déplore « l’insuffisance » des fonds octroyés par l’Europe. Selon les experts, une sorte de chantage se cache derrière cet agacement. « Comme la Turquie, l’Afrique ne va jamais rater cette chance sans en tirer le maximum de profits. Il semble que l’Europe ne va trouver son salut ni chez la Turquie ni chez l’Afrique », prévoit le professeur Kazziha.
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