Alors que le processus de réconciliation nationale en Libye, parrainé par les Nations-Unies, semble piétiner, l’Etat Islamique (EI) profite de la poursuite du chaos sécuritaire et du vide politique dans ce pays du Nord de l’Afrique pour renforcer ses positions, non sans rencontrer de résistance.
Bien qu’il soit difficile de les chiffrer avec exactitude, les combattants de Daech (de son acronyme en arabe) en Libye se situent aujourd’hui à quelque 5 000 individus, selon diverses estimations. Plusieurs d’entre eux avaient reçu une formation militaire en Iraq et en Syrie, où ils ont participé aux combats dans les deux pays. Ces djihadistes libyens, des anciens rebelles, ayant participé au renversement de Muammar Qadhafi fin 2011, avaient rejoint les rangs de l’Armée syrienne libre et le Front Al-Nosra en Syrie, avant de former en 2012 la brigade de Battar, qui a prêté allégeance à l’EI en Iraq et au Levant.
A leur retour en Libye à partir du printemps 2014, ils ont formé le Conseil de choura de la jeunesse islamique dans la petite ville côtière de Derna (est), avant d’annoncer solennellement leur adhésion à l’EI fin octobre 2014. Dans cette ville de 150 000 habitants, l’EI a recruté parmi les combattants d’autres milices islamistes, notamment Ansar Al-Charia. Mais le contrôle de Derna, un fief historique d’islamistes, par l’EI n’était que de courte durée. Taxant les militants de l’EI de « tyrans et criminels », une coalition de groupes islamistes armés, proche d’Al-Qaëda, le Conseil de choura de Derna, a lancé une attaque contre les positions de Daech dans la ville en juin dernier et réussi à l’en déloger. Cet épisode de confrontation armée entre factions et milices islamistes libyennes traduit le fait que l’EI est en réalité à couteaux tirés avec les autres groupes islamistes, dont Ansar Al-Charia et Al-Qaëda.
Après la perte de Derna, Daech a jeté son dévolu sur la ville côtière de Syrte (centre), à mi-chemin entre la capitale, Tripoli, et Benghazi, la deuxième ville du pays, chef-lieu de la Cyrénaïque (est). Les militants de l’EI sont entrés en force dans la ville en février et mars derniers et en ont fait, depuis, leur « capitale » en Libye. Le choix de Syrte n’était pas fortuit. Ville natale de Qadhafi, l’EI y jouait sur le mécontentement des loyaux restés fidèles à l’ancien dirigeant libyen, né de leur marginalisation après sa chute, pour recruter et prendre pied dans cette ville et ses environs, connus sous le nom du « croissant du pétrole », en raison de la présence des installations pétrolières du centre du pays. La branche libyenne de l’EI use ainsi de la même tactique suivie par le groupe-mère en Iraq qui recrute parmi les sunnites, marginalisés par la majorité chiite, aujourd’hui à la tête du pays.
Les lignes de fracture politique dans les deux pays ne sont cependant pas les mêmes. Alors que les divisions entre Iraqiens sont d’ordre sectaire (chiites/sunnites) et ethnique (Arabes/Kurdes) et suivent, de surcroît, des frontières physiques plutôt claires : chiites au sud, sunnites au centre et Kurdes au nord, celles entre Libyens sont beaucoup plus complexes. Elles sont davantage d’ordre tribal et régional, sans fractures sectaires. Le morcellement, mais aussi l’enchevêtrement, des diverses forces et milices qui occupent l’espace public rend davantage difficile la tâche de Daech en Libye, qui y rencontre bien plus de résistance qu’en Iraq ou même en Syrie, où la brutalité du régime, tenu par la minorité alaouite au détriment de la majorité sunnite, a facilité la tâche des combattants de l’EI.
Mais ces derniers se trouvent aujourd’hui menacés par l’action conjointe de la Russie et de l’Iran en faveur du régime de Damas. Cette double pression a poussé, selon des sources concordantes, plusieurs militants de Daech en Syrie à quitter le pays en direction de la Libye, où la situation est bien moins menaçante. Le groupe-mère en Iraq aurait commencé à envoyer des renforts à la branche libyenne depuis deux mois, avant même le début des frappes aériennes russes, dans le but d’élargir les régions sous son contrôle, notamment en direction des zones recelant les richesses pétrolières .
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