Le couple Stockmann subit la colère d’une foule furieuse et aveugle. (Photo: Bassam Al-Zoghby)
Qui est le vrai ennemi du peuple ? Comment peut-on le décrire ? Le dénoncer ouvertement ? S’agit-il d’un traître qui cherche son propre intérêt contre le bien de la patrie ? La pièce de théâtre Un Ennemi du peuple de Henrik Ibsen, présentée par la compagnie du théâtre indépendant, La Musica, ne donne de réponses ni évidentes, ni définitives à ces questions.
Au contraire, cette mise en scène de Nora Amin dévoile dans la petite salle du théâtre Al-Hosapeare une image paradoxale de l’ennemi du peuple. Cet ennemi serait plutôt un type honnête qui défend la vérité face à une majorité aveugle et ignorante, manipulée par les autorités et les hommes du pouvoir.
Thomas Stockmann, un docteur qui travaille dans une station thermale, découvre que les eaux destinées aux curistes sont polluées. Le devoir le pousse à prévenir les citoyens de la ville et à chercher à résoudre le problème. Son frère, le maire, veut éviter des travaux dispendieux nécessaires à la purification de l’eau et tente de faire taire Thomas, ayant à ses côtés la presse, les investisseurs et propriétaires des stations thermales.
Tous manipulent l’opinion publique, présentant Thomas Stockmann comme un « ennemi du peuple » qui défend des idées fausses. Thomas organise alors une réunion publique pour présenter son rapport scientifique aux citoyens. Mais en présence des responsables locaux, la situation s’inverse.
Thomas, qui s’attend à une reconnaissance du peuple, est fortement attaqué. Il découvre l’enjeu politique dont il est victime, dénonce la corruption, les convoitises des hommes au pouvoir et la manipulation du peuple.
Le texte, écrit par Ibsen en 1881, est une oeuvre intemporelle. Il touche fortement à l’actualité égyptienne, comme à d’autres. Mais la mise en scène de Nora Amin met en évidence les similitudes entre le texte et la société égyptienne.
Impliquer le public
Dès le départ, Amin implique le public à travers la disposition de la salle. Elle met en place 70 spectateurs, divisés en groupes. Les spectateurs sont au coeur de la pièce. Les comédiens jouent sur les planches, sur le devant de la scène, dans les passages étroits entre les sièges ... Les musiciens sont installés à l’entrée de la salle, que Nora Amin exploite à merveille.
Son adaptation du texte d’Ibsen repose largement sur la scène de la réunion publique. Elle réussit à faire de l’espace scénique le plateau d’une conférence où les spectateurs deviennent l’audience de la conférence. Le public participe aux événements.
La pièce est présentée en arabe dialectal, selon une traduction de Randa Hakim et Chérine Abdel-Wahab. On retient un lexique récurrent actuellement dans la presse égyptienne et sur les sites Internet. Malgré la présentation de l’intrigue originale d’Ibsen, on ne s’éloigne pas du pays.
Les comédiens excellent dans leur jeu. Chaque personnage incarne un stéréotype clair : le maire froid et têtu, le journaliste qui change rapidement de position, le fourbe défenseur des droits de l’homme … Tareq Al-Doweiri, dans le rôle de Thomas, réussit une bonne performance. Son discours de dénonciation, le ton furieux, son interprétation progressive et émotionnelle témoignent d’un développement dramatique bien étudié.
La musique composée par Nader Sami et interprétée en direct tout au long de la pièce tient un rôle dramatique essentiel. Sur des airs des guitares, des basses et des percussions, le dialogue entre les comédiens est fortement cadencé. La musique accentue les événements et marque le développement des personnages. Elle sert aussi à souligner les phrases-clés du texte d’Ibsen, pour en accentuer les allusions à l’Egypte.
Le spectacle sera en tournée dans les provinces égyptiennes jusqu’à fin 2013.
Lien court: