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Iraq: La vague de protestation s’étend

Abir Taleb avec agences, Mardi, 08 janvier 2013

Exacerbées par les tensions confessionnelles, les manifestations antigouvernementales se poursuivent, paralysant l’action du gouvernement et du Parlement et menaçant plus que jamais la stabilité du pays.

Iraq
En Iraq, une situation explosive plus que jamais. (Photo : Reuters)

Jamais depuis le retrait des troupes américaines d’Iraq, le 21 décembre 2011, la situation n’a été aussi explosive en Iraq. Nul ne doutait qu’en quittant le pays, les Américains laissaient derrière eux un Iraq fragilisé par 8 années d’occupation et miné par des dissensions confessionnelles qui menacent à tout moment de tourner aux affrontements meurtriers, comme c’était le cas entre 2006 et 2008. Cela dit, l’on ne s’attendait pas à voir de telles manifestations opposées au régime et, plus particulièrement, au premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, accusé d’autoritarisme. Des manifestations et des slogans similaires à celles des « printemps arabes ». Or, à la différence des pays qui ont vécu ce printemps, l’Iraq a une histoire particulière avec, en toile de fond, des divisions confessionnelles qui menacent de se transformer en guerre civile à tout moment.

Depuis plus de deux semaines, des milliers de sunnites manifestent quotidiennement dans plusieurs villes iraqiennes pour protester contre M. Maliki. Tout a commencé le 20 décembre dernier, suite à l’arrestation pour « terrorisme » de 9 gardes du ministre des Finances Rifaa Al-Issawi, un sunnite membre du bloc d’opposition laïque Iraqiya, critique de M. Maliki, accusé depuis plus d’un an par ses détracteurs d’accaparer le pouvoir. Les manifestations brandissent des bannières appelant à la libération des détenus, réclamant le respect des droits de l’Homme dans les prisons et l’abrogation de la loi antiterroriste, utilisée, selon elles, par le pouvoir pour s’en prendre à la communauté sunnite. « Bagdad, libre, libre ! Va-t-en Iran », ont scandé les manifestants, accusant le gouvernement Maliki d’être sous l’influence de l’Iran, pays à grande majorité chiite. Ainsi, alors qu’elles ont commencé par de simples appels à la libération des prisonniers, les manifestations ont vite pris une autre tournure et des slogans appelant à la chute du régime.

Appels à des élections anticipées

Sur le plan politique, le bloc Iraqiya, laïque mais dominé par les sunnites, a annoncé un boycott du gouvernement et du Parlement pour dénoncer un exercice autocratique du pouvoir de la part de M. Maliki, un chiite, et le Parlement n’a pas pu tenir la session extraordinaire initialement prévue dimanche dernier. Le vice-premier ministre sunnite Saleh Moutlak, membre d’Iraqiya, a même accusé M. Maliki d’être « pire que Saddam Hussein ».

Le mouvement de protestation sunnite a en outre reçu l’appui du puissant chef chiite radical Moqtada Al-Sadr qui critique sévèrement M. Maliki, même s’il a 5 ministres au gouvernement. Le mouvement sadriste, qui a en outre 40 députés, a assisté à la prière du vendredi dans une mosquée sunnite à Bagdad. M. Sadr a prédit l’avènement d’un « Printemps iraqien, si les choses restent en l’état ». « Les manifestations se poursuivront tant que les gens ne seront pas satisfaits des politiques menées », a-t-il dit cette semaine. Or, la majorité du premier ministre dépend du bloc sadriste, même si celui-ci est son principal rival au sein de la communauté chiite et le soutien sadriste aux sunnites est une situation difficile pour Maliki, qui voit aussi s’effondrer sa majorité communautaire.

Parallèlement, l’épreuve de force s’est durcie autour de la répartition des recettes pétrolières entre la région autonome kurde et le pouvoir central, plaçant les forces des deux camps en état d’alerte.

Telle est la situation en Iraq, 8 ans après la guerre américaine qui a fait chuter Saddam Hussein : un pays embourbé dans des crises à répétition qui poussent certains à réclamer des élections anticipées. Depuis le retrait en décembre 2011 des derniers soldats américains d’Iraq après 9 ans de présence, les disputes n’ont pas cessé entre groupes politiques, ethniques et religieux, paralysant l’action du Parlement et du gouvernement dominé par les chiites. Face à cette impasse, le débat sur la possibilité de tenir des élections générales anticipées a été relancé, alors que la législature actuelle s’achève normalement en avril 2014 et que des élections provinciales sont prévues en avril 2013. Des responsables du bloc du premier ministre chiite, Nouri Al-Maliki, ont eux-mêmes évoqué une éventuelle dissolution du Parlement, mais la mesure doit être approuvée par la majorité absolue des parlementaires. « Des élections anticipées pourraient être la meilleure solution », estime Ihsan Al-Chammari, professeur de sciences politiques à l’Université de Bagdad, cité par l’AFP. Et d’ajouter que si les choses empirent, les divisions s’accentueront et c’est dangereux pour le pays. Pour le moment, le Conseil des ministres et le Parlement continuent de se réunir, mais aucune loi importante n’a été votée depuis 2010 et les Iraqiens se plaignent de l’absence de mesures des différents ministères pour améliorer leurs conditions de vie. M. Maliki, habile tacticien, a réussi à se maintenir à la tête du gouvernement depuis 2006, en partie grâce à la désorganisation de ses détracteurs, selon des experts. Mais il a dû compter aussi sur l’appui du voisin iranien chiite pour faire échec à une motion de défiance en juin.

Cette fois ci, les choses semblent plus compliquées et Maliki est sérieusement menacé. Pire encore, tout le pays est menacé par un système politique qui s’apparente à un cercle vicieux où les acteurs politiques iraqiens sont systématiquement rattrapés par les réflexes communautaires.

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