La Perle de la Méditerranée fait doucement naufrage. La situation d’Alexandrie ne prête pas à rire. Le système de drainage sanitaire est inefficace, les infrastructures se détériorent de plus en plus, les immeubles s’écroulent, les ordures jonchent les rues et les transports publics sont insuffisants et coûteux.
« La situation de la deuxième ville d’Egypte est lamentable. Alexandrie est sur le point de s’effondrer. Il faut contrôler son développement et instaurer des sanctions pour dissuader les actes et constructions illégales », estime Yousri Abdel-Atti, ancien responsable. Pour chercher un exemple de ce naufrage, il suffit de revenir aux pluies qui, le 25 octobre dernier, ont paralysé la ville. La corniche et les routes ont été complètement inondées : d’une part, par les pluies, de l’autre, par les vagues. Dans certains endroits, il a fallu plus de trois jours pour rouvrir les routes. Maisons, marchés, banques, écoles, universités et commissariats ont été envahis par les eaux.
Selon les chiffres donnés par le ministère de la Santé, au moins 5 personnes ont trouvé la mort. Deux hommes sont morts électrocutés lorsqu’un câble électrique qui alimente le tramway, lui aussi en piteux état, est tombé dans une rue inondée. Le vent a rompu des lignes électriques et téléphoniques, arraché des panneaux publicitaires et provoqué l’effondrement d’échafaudages. Les dégâts s’élèveront à plusieurs centaines de millions de L.E. « Si la quantité des précipitations est exceptionnelle, la situation a été aggravée par le manque de préparation et la lenteur des réactions », avoue une responsable au gouvernorat d’Alexandrie qui a requis l’anonymat.
Du côté du gouvernorat, on affirme avoir pris conscience du problème. Souad Al-Khouli, la chargée d’affaires du gouverneur d’Alexandrie, a indiqué dans un communiqué avoir ordonné de mettre en place toutes les actions nécessaires afin que cette crise ne se répète pas. L’armée et l’organisme en charge du système de drainage devraient coopérer. « La vétusté du système d’évacuation des eaux de pluies n’est pas en cause. Le plan d’entretien périodique du système d’évacuation des eaux de pluies, prévu en septembre dernier, n’a pas était réalisé. Par ailleurs, l’organisme en charge du drainage sanitaire devrait avoir un plan d’urgence pour contrôler les eaux de pluies. La grande partie des responsables et des ingénieurs de l’Organisme du drainage sanitaire d’Alexandrie ne travaillent pas. La corruption y est un fléau. Pourtant, cet organisme gouvernemental possède des revenus importants liés aux taxes sur la construction des nouveaux immeubles », affirme la source au gouvernorat d’Alexandrie.
Le premier ministre, Chérif Ismaïl, a limogé le président de l’Organisme du drainage sanitaire d’Alexandrie et alloué 75 millions de L.E. pour les travaux urgents. Inutile, selon cette même source : « Je peux vous jurer que l’organisme n’a pas besoin de cet argent. C’est juste que l’administration n’est pas compétente ».
Ancienne dégringolade
Suite aux fortes pluies, le gouverneur, Hani Al-Messeiri, a présenté sa démission au premier ministre. Ce dernier a nommé Souad Al-Khouli, sa chargée d’affaires, gouverneur par intérim. Si Al-Messeiri n’était pas très populaire à Alexandrie, il n’est sûrement pas pour autant le responsable de l’état actuel de la ville. « Le problème n’est pas du tout la démission du gouverneur. Oui, Hani Al-Messeiri n’était pas à la hauteur, mais le déclin d’Alexandrie a commencé bien avant son arrivée », reprend Yousri Abdel-Atti. Pour lui, les choses ont pris une mauvaise tournure depuis 2011. Mais pour la majorité des Alexandrins, le problème est largement antérieur. En 1997, Abdel-Salam Al-Mahgoub avait mis en place un plan ambitieux pour réaménager la ville, sa corniche, ses plages, ses rues et ses anciens édifices. Il avait réussi à moderniser Alexandrie, notamment la corniche, et fait de tout le gouvernorat un modèle de propreté et de respect des règles d’urbanisme. S’il a autorisé la construction d’immeubles de hauteurs exagérées, il a obligé les propriétaires à apporter des compensations pour embellir la corniche et les rues de la ville. Mais les gouverneurs, qui sont venus après Al-Mahgoub, avaient, chacun, sa priorité. « Al-Messeiri était principalement préoccupé par le développement du tram. Son prédécesseur, Tareq Al-Mahdi, n’a rien fait non plus pour Alexandrie. Il était justement soucieux des entretiens télévisés ou avec la presse. Alexandrie a commencé à décliner au début des années 2000, sous la gouvernance du général Adel Labib. Lui n’était soucieux que du développement des trottoirs. Al-Mahgoub était le dernier gouverneur qui a aimé Alexandrie et a oeuvré pour l’embellir et la moderniser », raconte Mohamad Mahmoud, un habitant de la ville aujourd’hui à la retraite.
En l’absence de vision globale, les constructions illégales se sont développées. Elles pèsent lourd sur les faibles réseaux de drainage de la ville et son infrastructure en général. Selon le gouvernorat d’Alexandrie, les bâtiments construits en violation de la loi sont désormais plus de 100 000. Construits en violation de toutes les normes de sécurité, certains de ces immeubles ne tardent pas à s’effondrer. Chaque mois, plusieurs bâtiments s’effondrent. Certains n’ont pas été construits comme il faut, d’autres s’effondrent en raison de leur vétusté. La semaine dernière, trois immeubles se sont ainsi écroulés dans les quartiers de Cléopâtra, Abou-Qir et Al-Labban, faisant quatre morts et plus d’une dizaine de blessés. « Hormis la corruption et les pots-de-vin payés aux responsables de certaines zones, le problème est que ni le gouvernement ni les municipalités ne possèdent les outils pour faire respecter la loi. La police doit être présente, mais elle n’est pas disponible la plupart du temps », s’indigne Salwa M., ingénieure dans une municipalité qui a requis l’anonymat. Elle demande la mise en place d’une police spécialisée dans les infractions urbaines.
Au-delà des constructions illégales, les ordures remplissent les rues et la plage, et la mer a perdu sa couleur turquoise en raison de la pollution qui s’y déverse chaque jour. En plus, 80 % des plages sont maintenant privatisées par des hôtels ou des cafés. Bref, Alexandrie n’est plus la Perle de la Méditerranée. Il ne reste que la nostalgie.
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