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Alexandrie: l’héritage en désuétude

Samar Zarée, Lundi, 02 novembre 2015

Pas un jour ne passe dans la ville d'Alexandrie, sans qu'une partie de son histoire multiculturelle disparaisse. Aucune mesure ferme n'est prise pour arrêter les destructions récurrentes.

L’héritage en désuétude
Les anciens immeubles d'Alexandrie, à l'architecture unique, décorant la corniche, ne sont pas protégés par la loi. (Photos : Essam Choukri)

« Nous assistons à une véri­table détérioration de la ville d’Alexandrie : l’effondrement régulier de bâtiments historiques et l’augmentation des irrégularités de construction vont mener à une vraie catastrophe très prochainement », Ahmad Abdel-Fattah, archéologue à Alexandrie, lance un cri d’appel pour sauver cette ville, autrefois sur­nommée « Perle de la Méditerranée ». « Ce qui se passe à Alexandrie n’arrive jamais dans les autres villes du monde qui possèdent une histoire équivalente. Nous devons être conscients de l’immense patrimoine de cette ville et être attentifs aux évolutions urbaines », ajoute-t-il.

Surnommée la « capitale de la mémoire » par l’écrivain anglais Lawrence Durell, qui y a vécu au début des années 1940, Alexandrie a été fondée en -331 par Alexandre le Grand. Grâce à sa position géogra­phique, la ville a toujours été ouverte sur le monde et abrite désormais le témoignage de plusieurs époques. Outre les monuments de l’époque grecque, la ville abrite un quartier turc (Al-Anfouchi), qui s’étend du port Est au port Ouest (Al-Gomrok), et un quartier européen, dans le centre-ville, qui comprend plusieurs bâtiments caractéristiques de l’archi­tecture occidentale.

Tous ces bâtiments sont aujourd’hui dans un état déplorable et ont besoin de restauration urgente. « Il faut signaler qu’une grande partie de la ville a été démolie à plusieurs reprises que ce soit à cause d’invasions, de guerres ou de tremblements de terre. Tout cela a fait perdre à Alexandrie une grande partie de ses monu­ments », explique Abdel-Fattah.

Ajouté à cela, le charme d’Alexan­drie est défiguré par des change­ments récents. De 2009 à 2014, plus de 45 villas et bâtiments historiques très importants ont été détruits. La villa Al-Naqib, où vivait la reine Narimane, deuxième épouse du roi Farouq, et le cinéma Rialto, rue Safia Zaghloul, datant de la fin du 19e siècle, ont été détruits. Pareil pour le Club grec, à Ibrahimiya, qui témoignait de la présence d’une très importante communauté grecque à Alexandrie, au début du siècle der­nier, et qui a été démoli il y a deux ans. Enfin la célèbre villa Aghion a failli être démolie, après que son propriétaire l’eut fait rayer de la liste des bâtiments protégés. Plus de 100 dossiers de bâtiments historiques font actuellement l’objet de procé­dures devant la Cour administrative afin de les rayer de la liste de préser­vation des bâtiments et zones patri­moniaux du gouvernorat d’Alexan­drie.

« Nous n’avons pas à Alexandrie, comme dans les autres villes d’Egypte en général, de plan clair de développement et de rénovation de la ville. Il n’y a pas de mesures strictes pour sauver le patrimoine architectural d’Alexandrie. Il faut une forte volonté politique de la part des responsables de la ville pour sauver l’architecture d’Alexandrie et arrêter cette catastrophe. Mais avant tout, il faut au plus vite reformuler la loi de la protection des bâtiments et des zones historiques, datant de 2006, car plusieurs failles ont per­mis aux propriétaires d’exclure des monuments de la liste de conserva­tion du patrimoine », explique Mohamad Aboul-Kheir, architecte et cofondateur du collectif « Sauver Alexandrie », lancé en 2012 et qui vise à protéger les bâtiments histo­riques de la démolition.

En effet, la loi 44 pour la préser­vation du patrimoine d’Alexandrie protège seulement les bâtiments liés à l’histoire nationale et pas les bâti­ments qui ont une valeur architectu­rale. Le collectif a annoncé que plus de 2 500 bâtiments à Alexandrie ont été détruits, dont plusieurs centaines étaient classés comme bâtiments historiques. « Le gouvernorat ne peut rien faire pour arrêter ces des­tructions. Il faut qu’il y ait un chan­gement de loi ou un décret présiden­tiel interdisant ces démolitions pour que je puisse agir. Sinon je n’ai pas d’outils pour contrer ces actes », explique Souad Al-Khouli, vice-gouverneur d’Alexandrie. Aboul- Kheir souligne aussi que ce n’est pas seulement une question de patri­moine, mais un problème qui concerne la ville entière. Alexandrie a besoin d’un grand projet d’urba­nisme le plus rapidement possible car les infrastructures sont dans un état déplorable et doivent être réno­vées. Les plages de la ville sont également en grand danger puisque, depuis quelque temps, le gouverne­ment a concentré ses efforts pour construire des hôtels et des clubs de divertissement, qui abîment la cor­niche.

Hesham Seoudy, un architecte de l’Université d’Alexandrie, avance un autre avis pour conserver ce patri­moine négligé. « On doit élaborer un plan intégré pour mettre un terme à la destruction des bâtiments histo­riques dans tout le pays, cela passe par des mécanismes d’indemnisa­tions des propriétaires que ce soit à travers des partenariats avec le gou­vernement ou par l’achat de ces bâtiments. Les responsables de la ville pourraient louer ces bâtiments à de grandes institutions, ce qui per­mettrait de financier leur entretien », expose-t-il.

Pour le moment la destruction de cet héritage persiste. La villa de Cicurel, merveille architecturale de style art déco, datant de 1930, est sur le point d’être détruite.

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