Personne n’a pu prédire le déclenchement du mouvement protestataire du 25 janvier comme l’a fait Mohamed Salmawy dans son roman publié en 2010, Agenehat Al-Faracha (les ailes du papillon). Les autres romanciers égyptiens n’étaient pourtant pas en reste. Bien conscients de la situation que vivaient les Egyptiens, leurs oeuvres faisaient état du chômage, de la pauvreté, de la corruption, mais surtout des prémices des mouvements de protestation comme la grève d’Al-Mahalla en 2006, et ceci bien avant la création du mouvement Kéfaya. Mais ils n’avaient pas pu imaginer, comme Mohamed Salmawy, le détail de ces manifestations populaires contre le régime et sa corruption.
Armé de ses connaissances en sciences politiques et de sa longue expérience dans la presse égyptienne, l’écrivain et dramaturge avait prévu dans son roman le déclenchement de manifestations menées par « les jeunes à travers les réseaux sociaux ». L’auteur avait anticipé très tôt l’influence majeure qu’auraient les réseaux sociaux. De même, on peut lire dans Les Ailes du papillon des slogans qui feront écho à ceux utilisés au moment de la révolution du 25 janvier, comme « Changez la Constitution avant qu’on ne dévoile vos exactions ! » ou « Mon pays, où es-tu ? C’est la famine qui nous tue ».
Le roman décortique des rapports de force qui régissent les relations personnelles des protagonistes, rapports de force qu’on retrouvera de manière très similaire lors de la révolution et qui seront à l’origine de nombreuses divisions au sein des couples ou des familles égyptiennes.
A travers deux intrigues bien distinctes écrites en parallèle tout au long du roman, l’auteur cherche à montrer le cheminement de ses personnages à l’image d’un pays qui cherche une voie authentique. La première intrigue, celle d’Ayman Al-Hamzaoui, relate l’expérience d'un jeune homme qui part à la recherche de sa mère comme en quête de son identité. La deuxième intrigue, plus importante, parle de Douha Al-Kenani, qui sort de son quotidien pour aller manifester et revendiquer la démocratie.
Douha est mariée à une personnalité importante au parti au pouvoir. Dessinatrice de mode, issue de la bourgeoisie égyptienne, elle, qui n’a jamais eu d’intérêt pour la politique « opportuniste », croise dans un avion Achraf Al-Zeini, figure indépendante de l’opposition, une rencontre passagère qui va changer sa vie de fond en comble. Dans ce dialogue, on reconnaît un discours typique qui s’est largement imposé dans la société au moment de la révolution. Tandis que Douha ne voit dans les objectifs des politiciens que de l’opportunisme, Achraf, lui, énumère les principes fondamentaux de tout système politique respectable : « La lutte contre la corruption, l’établissement d’un gouvernement élu démocratiquement, le rejet des élections truquées ». Avant d’ajouter : « Je n’ai d’idéologie, ni communiste, ni islamiste. Je veux ce que veulent les gens. Le redressement de notre système politique. Et aussi que le parti qu’élira librement le peuple, gouverne (…) Dites-moi, par Dieu, est-il normal qu’un seul parti puisse rester au pouvoir et gouverner le pays à vie ? ».
Le papillon revient en filigrane à travers le récit, car il « est le symbole de toute vie nouvelle », selon Douha, qui s’en inspire dans ses dessins de mode. Les étapes à travers lesquels passent les personnages, le peuple, à la recherche de la mère patrie, sont à l’image des différents stades de la vie du papillon qui se renouvelle, se métamorphose et possède plus d’une vie. Cette nouvelle vie est la même qu’appellent de leurs voeux les Egyptiens qui ne souhaitent pas revenir sur leurs pas, ceux d’avant-2011.
Les Ailes du papillon de Mohamed Salmawy, traduit en français par Mona Latif Ghattas et Jaqueline Jondot, Orients Editions, 2015.
Le roman en arabe Agenehat Al-Faracha, aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2010.
Mohamed Salmawy est en tournée en France, cette semaine, dans plusieurs librairies et à l’Institut du monde arabe, pour animer des colloques et des soirées de dédicace autour de son roman. Dramaturge, romancier et nouvelliste, Mohamed Salmawy est fondateur d’Al-Ahram Hebdo en 1996, il est ex-président de l’Union des écrivains entre 2005 et 2014, avant de se consacrer complètement à l’écriture littéraire.
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