Al-Ahram Hebdo : Quelles sont vos impressions à l’issue de cette première phase des législatives ?
Emad Gad : Cette première phase des élections législatives a été, à mon avis, intègre et transparente. Il n’y a pas eu d’irrégularités, comparée par exemple aux élections de 2012, et celles qui ont eu lieu sous le régime de l’ancien président, Hosni Moubarak. Sous le régime de Moubarak, le parti du régime, le Parti National Démocrate (PND), était le seul héros des élections, ses membres dominaient et l’opposition n’avait aucune marge. Durant les élections de 2012, les Frères musulmans et les salafistes ont exploité la religion à des fins électorales et ont utilisé les mosquées pour la propagande, ce qui est contre la loi. Mais cette fois-ci, il n’y a ni parti du régime, ni islamistes. Les élections se sont déroulées dans la transparence totale.
— Certains affirment pourtant que la coalition Fi Hob Misr (Pour l’amour de l’Egypte) est soutenue par le pouvoir actuel, et qu’elle cherche à occuper la place laissée par l’ancien PND de Moubarak. Est-ce vrai ?
— Nous soutenons les institutions de l’Etat dans le but de rétablir la stabilité et de construire un Etat démocratique. Mais si le gouvernement s’éloigne de la démocratie, nous nous opposerons à lui avec force.
— Le taux de participation aux élections a été extrêmement faible, surtout parmi les jeunes. Pourquoi ce désintérêt des Egyptiens ?
— Je ne peux pas nier que le taux de participation était faible. Il n’a pas dépassé les 26 %. Je crois que les médias sont en partie responsables de cette situation. Certains médias ont répandu l’idée que ce parlement sera une réplique de celui du PND ou affirmé que beaucoup de candidats sont d’anciens membres du PND. D’autres ont dit que le prochain parlement mettra des bâtons dans les roues du président Abdel-Fattah Al-Sissi, surtout que celui-ci aura beaucoup de pouvoirs en vertu de la Constitution. Tous ces facteurs se sont répercutés négativement sur le taux de participation. En ce qui concerne les jeunes, je crois qu’ils sont frustrés en raison des mauvaises conditions économiques, mais ils doivent savoir que le seul moyen de changer cette situation est de prendre part au processus démocratique. La Constitution et la loi électorale réservent aux jeunes une place importante sur les listes électorales. Les jeunes doivent utiliser ce droit, et savoir que le parlement est un moyen important pour changer les choses.
— Mais il y a très peu de jeunes sur les listes électorales. N’est-ce pas la responsabilité des forces politiques ?
— Justement, cette situation doit changer. Je sais qu’il y a très peu de jeunes sur les listes, et c’est la même chose pour les coptes et les femmes. Je crois qu’avec le temps, tout ceci va changer et l’on se dirigera vers une meilleure représentativité des jeunes au sein du parlement.
— Comment voyez-vous les résultats du parti salafiste Al-Nour ?
— Les résultats d’Al-Nour sont très faibles. Je crois qu’ils n’obtiendront que 10 ou 12 sièges sur les 567 du prochain parlement. En 2012, Al-Nour avait obtenu 134 sièges sur 498. Ce recul est logique, car les électeurs savent parfaitement qu’il n’y a pas de différence entre les Frères musulmans et les salafistes, et que ces derniers ont participé aux sit-in de Rabea et d’Al-Nahda en 2013, ce qui a diminué leur popularité. En plus, Al-Nour a perdu des voix au sein de l’électorat salafiste en raison de la présence des coptes sur ses listes. Les gens ont compris que les membres du parti recherchent seulement leurs intérêts.
— Tous les experts affirment que les programmes politiques ont été le grand absent de ces élections. Quel est votre programme ?
— Fi Hob Misr est une coalition de plusieurs partis. Il est difficile pour une plateforme aussi vaste d’avoir un programme. Nous avons toutefois des principes communs comme l’Etat civil, la démocratie, la justice sociale et l’économie libérale.
— Tout le monde dit que vous entendez former la majorité au sein du prochain parlement, mais comment cela serait-il possible sans programme ?
— Les listes dans les deux phases des élections forment 120 sièges sur les 567 du parlement. Nous avons remporté 60 sièges au cours de la première phase et nous attendons la deuxième, mais en tout cas, 120 sièges ne forment pas la majorité. Nous avons besoin de 50 %+1. Nous allons essayer de former une majorité avec les autres partis et les indépendants si nous pouvons nous entendre sur un programme commun. Mais cela ne sera pas facile. Car il y a beaucoup de divergences sur les détails, que ce soit dans le domaine économique ou politique. Par exemple, concernant la loi sur les manifestations, il y a des députés qui refusent cette loi et d’autres qui la trouvent nécessaire au cours de cette période.
— Le prochain parlement doit réviser près de 500 lois entrées en vigueur depuis le 3 juillet 2013. Pensez-vous qu’on puisse réviser un nombre aussi élevé de lois en si peu de temps ?
— Parmi ces 500 lois, 480 environ sont routinières et se rapportent au fonctionnement des institutions de l’Etat. Une vingtaine de lois seulement font l’objet de débat comme la loi sur les manifestations. Je ne peux pas faire des prévisions à ce sujet.
— Soutenez-vous la proposition d’amender la Constitution pour élargir les pouvoirs du président de la République ?
— Nous avons un système mixte qui fait l’équilibre entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif. Nous allons utiliser ce système, mais s’il semble mauvais, nous voterons en vue de le changer. Mais je crois que ce système est le plus convenable pour le pays. Nous ne voulons pas répéter les erreurs de l’ancien régime de Moubarak où tous les pouvoirs étaient aux mains du président, et nous ne voulons pas non plus donner des pouvoirs exagérés au parlement, surtout en l’absence de partis forts.
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