Ayman Al-Raqab, professeur de sciences politiques à l’Université de Jérusalem et membre du Fatah
Al-Ahram Hebdo : Sommes-nous au bord d’une nouvelle intifida ?
Ayman Al-Raqab : On ne peut pas dire de ces événements qu’ils constituent une nouvelle intifada, à cause de l’absence d’implication de la direction palestinienne, qui avait été le vrai moteur des précédentes Intifada. Nous pouvons dire que c’est plutôt un soulèvement populaire pour protéger la dignité du peuple palestinien et la mosquée d’Al-Aqsa. Surtout après que Tel-Aviv eut annoncé vouloir mettre en place une nouvelle organisation sur l’Esplanade des mosquées : l’accès au Dôme du rocher sera fermé aux musulmans durant certaines heures pour permettre aux colons juifs d’y faire des visites.
Ajoutons à cela que les divisions entre le Hamas et le Fatah, et l’absence de confiance mutuelle entre eux rendent difficile l’unification de leurs positions pour lancer une nouvelle Intifada. Cependant, le peuple palestinien pourrait agir sans tenir compte de ces deux partis et poursuivre ce mouvement de révolte qui pourrait avoir une ampleur plus grande qu’une Intifada.
— Que pensez-vous de la position des pays arabes et de la Ligue arabe et qu’attendez-vous d’eux ?
— Nous sommes conscients de la situation difficile, qui existe dans les pays arabes depuis 5 ans. Ni les pays arabes ni la Ligue ne sont en position d’user de leurs poids pour amener la communauté internationale à faire pression sur Israël et mettre un terme à son occupation des territoires palestiniens. Les Arabes ne sont pas conscients de leur poids et de leur force, ils investissent plus de 500 millions de dollars dans les banques américaines et suisses chaque année. Ces fonds peuvent être un moyen de pression sur ces pays pour changer les règles du jeu.
— Et le rôle d’Egypte dans la cause palestinienne, comment vous le voyez ?
— L’Egypte est notre refuge quand nous sommes à court de moyens. La visite du président Mahmoud Abbas en Egypte, le mois dernier, était très importante car elle intervenait à un moment très critique en raison des déclarations des dirigeants israéliens affirmant que les pays arabes s’étaient détournés de la cause palestinienne pour s’occuper d’autres dossiers plus urgents. La réplique est venue du Caire, par le président Al-Sissi en personne, qui a confirmé que la cause palestinienne était à la tête des priorités de l’Egypte. La cause palestinienne était omniprésente dans tous les discours du président égyptien qui a rappelé qu’il n’y aurait pas de paix sans une solution équitable. Cette position a donné un grand soutien moral et une grande confiance au président Abbas avant son discours aux Nations-Unies.
— Qu’attendez-vous de la communauté internationale après le discours de l’Autorité palestinienne aux Nations-Unies ?
— Historiquement, la communauté internationale est responsable de l’injustice dont est victime le peuple palestinien. Elle n’a pas été capable de mettre en oeuvre ses décisions pour résoudre ce conflit. Alors que lorsque cette même communauté internationale prend des décisions à l’encontre des Etats arabes, elle les impose. La communauté internationale n’a pas pu envoyer la délégation du quartette dans les territoires palestiniens, après le discours de Mahmoud Abbas, car Israël a refusé de l’accueillir. Nous parions sur les peuples libres du monde et non pas sur les institutions internationales, gouvernées par les Etats-Unis, qui bloquent leur prise de décision. Le président palestinien a mis la communauté internationale devant ses responsabilités. Elle doit agir avant qu’il ne soit trop tard, sinon elle devra assumer les conséquences d’un conflit religieux au sein de la Ville sainte.
— Selon vous, quels sont les moyens pour sortir de la crise ?
— Il faut tout d’abord une action internationale effective afin de stopper les provocations israéliennes. Il faut ensuite adopter une résolution au Conseil de sécurité de l’Onu pour fixer des délais précis, concernant le retrait d’Israël des territoires occupés y compris Jérusalem-Est, et mettre en place une force internationale afin de protéger le peuple palestinien, le séparer des colons et de l’armée pour éviter les confrontations et rétablir le calme.
— Pensez-vous que la présence d’une force internationale et le recours à la Cour pénale internationale protègent les Palestiniens ?
— L’Autorité palestinienne prendra toutes les mesures afin de mettre un terme aux crimes sionistes. Nous poursuivrons les auteurs de ces crimes devant les instances internationales. Entre-temps, elle continuera à soutenir la résistance populaire et lui procurera le soutien nécessaire pour réaliser son objectif qui est la fin de l’occupation.
— Pensez-vous que l’opinion publique israélienne veuille faire baisser la tension, ou bien, qu’elle soit plutôt favorable à la confrontation ?
— Les Israéliens doivent choisir entre la coexistence pacifique et les confrontations qui font couler beaucoup de sang. Pour le bien de leurs enfants, ils doivent choisir la paix et la stabilité car ils ne pourront pas anéantir le peuple palestinien. Depuis plus d’un an, les Israéliens multiplient les provocations vis-à-vis du peuple palestinien, mais ce qui a mis le feu aux poudres c’est la question de Jérusalem.
— Comment voyez-vous la contradiction entre la position du Fatah qui appelle à une accalmie, et le Hamas qui réclame une troisième intifada ?
— Le Fatah est conscient qu’Israël veut nous entraîner vers une confrontation militaire dans laquelle nous serons perdants. Le Hamas veut pousser Israël à une confrontation directe avec l’Autorité palestinienne pour affaiblir cette dernière et détruire ses structures. Le Hamas espère ainsi rebondir en Cisjordanie et retenter le coup de force qui lui avait permis de prendre le pouvoir à Gaza en 2007. Le Hamas veut aussi limiter la confrontation en Cisjordanie et à Jérusalem, car à Gaza, il ne s’est pas encore remis de sa dernière guerre de 2014.
— Pensez-vous que le Hamas fasse prévaloir l’intérêt national et réponde aux appels de Mahmoud Abbas, en assistant aux réunions du Conseil national palestinien, qui est le représentant légitime du peuple palestinien ?
— Je ne crois pas que le Hamas participe aux réunions du Conseil national, prévues le mois prochain. Le Hamas ne veut pas être allié au sein d’un gouvernement d’union nationale, mais veut contrôler l’Organisation de Libération Palestinienne (OLP). Il prend toujours en considération les positions des pays qui le soutiennent comme la Turquie et le Qatar, pour prendre ses décisions. Les circonstances actuelles n’incitent pas le Hamas à devenir membre de l’OLP, parce que cela voudrait dire un commandement uni et un programme unifié. Fait qui embarrasserait les pays qui le soutiennent.
Lien court: