Le conflit kurde en Turquie, qui dure depuis 1984, a fait plus de 45 000 victimes. Le gouvernement turc cherche depuis longtemps à mettre fin au problème par tous les moyens. Aujourd’hui, une initiative du gouvernement islamo-conservateur vise à entamer pour la première fois un dialogue avec le chef kurde condamné à la prison à vie, Abdullah Ocalan.
Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, sème à tout vent pour résoudre la crise avant la présidentielle de 2014. En dix ans de pouvoir, Erdogan n’a jamais réussi à faire avancer le dossier. Erdogan a déjà renforcé les droits de la minorité kurde, notamment dans les domaines culturel et linguistique. Mais les représentants kurdes ont jugé ces développements insuffisants et ont réclamé des démarches supplémentaires vers une autonomie de leur région au sud-est du pays.
Soutenues par les « sages » de la société civile, des négociations directes entre des responsables turcs des services de renseignements et Abdullah Ocalan se tiennent secrètement depuis deux mois. Ces discussions, qui visent le désarmement permanent du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ayant pris les armes contre le pouvoir turc en 1984 pour la sécession du sud-est du pays, ont été confirmées publiquement cette semaine par le premier ministre turc. C’est la première fois que le gouvernement turc reconnaît de telles négociations avec Ocalan depuis son arrestation en 1999.
En annonçant ouvertement que des discussions se poursuivaient « au plus haut niveau », le premier ministre fait preuve de bonne volonté pour parvenir à faire taire les armes. Mais l’instabilité en Iraq et surtout en Syrie menace les frontières les plus poreuses par l’infiltration de militants kurdes armés.
Pour Ankara, une trêve temporaire est hors de question, une idée qui a déjà été proposée dans le passé par les rebelles et qui, selon certains analystes, permettait au groupe de se réorganiser pour reprendre de plus belle ses attaques contre des cibles militaires turques.
Allègement des conditions de détention
Pour la première fois depuis son incarcération il y a 13 ans, Ocalan, autorisé uniquement à rencontrer sa famille et ses avocats, a pu recevoir la visite de deux députés du principal parti pro-kurde BDP (Parti pour la paix et la démocratie), Ahmet Türk et Pervin Buldan, figure influente du BDP.
« Cette fois-ci je suis optimiste, j’ai vraiment de l’espoir », a confié Ahmet Türk, se déclarant convaincu que ce dialogue trouvera une issue favorable pour mettre fin aux combats. Les députés du BDP sont toujours accusés de connivence avec le PKK. Quelques jours avant cette rencontre, les directeurs de l’agence des renseignements turcs (MIT) ont rencontré Ocalan pendant quatre heures pour travailler à l’élaboration d’une déclaration sur la fin du conflit dans les premiers mois de l’année 2013.
Des progrès importants ont été accomplis lors de ces négociations et des résultats ont été obtenus, a affirmé le Parti de la justice et du développement (AKP) qui étudie les revendications d’Ocalan avant un possible désarmement des Kurdes.
Selon les experts, l’AKP espère mettre à profit la trêve de l’hiver pour parvenir à un accord débouchant sur un désarmement des rebelles du PKK au printemps. Le PKK, considéré comme une organisation « terroriste » par Ankara, les Etats-Unis et l’Union européenne, est tenu pour responsable de la mort de plus de 45 000 personnes depuis qu’il a pris les armes il y a 30 ans pour obtenir un statut d’autonomie pour les Kurdes au sud-est de la Turquie.
Grèves de la faim
Ces discussions ont commencé après deux mois d’une grève de la faim de 1 700 détenus kurdes qui dénonçaient l’isolement d’Ocalan et l’injustice subie par les Kurdes. Ce n’est qu’à l’appel de ce dernier que les détenus kurdes ont mis fin à leur grève mi-novembre après que le gouvernement turc eut entamé des négociations discrètes avec Ocalan.
Ces négociations interviennent alors que la Turquie commémore la mort de 34 civils, des citoyens d’origine kurde, abattus 28 décembre 2011 par l’aviation turque. Ce massacre a créé un tollé auprès des 20 millions de Kurdes du pays. Jusqu’ici, aucune excuse officielle n’a été présentée par l’Etat. Ce massacre, l’absence de réponse de la part du gouvernement et de justice ont mis le feu aux poudres auprès de la population kurde et ont inauguré une année 2012 particulièrement violente avec des affrontements meurtriers entre le PKK et l’armée.
Si les négociations échouent, il est à craindre que les violences ne s’aggravent, notamment en raison d’un renforcement de l’armement kurde lié à la guerre civile en Syrie.
Loin de toute notion d’optimisme ou de pessimisme, ce n’est qu’avec le début du printemps, au moment où les hostilités reprennent normalement entre rébellion et armée, que l’on verra si le processus de paix aura fonctionné. « Si l’objectif est atteint, le PKK, qui a stoppé ses opérations à cause de l’hiver, déposerait les armes au printemps », a affirmé M. Akdogan, député de l’AKP.
Ce n’est pas la première fois qu’Ankara tend la main aux Kurdes. En 2009, le gouvernement turc avait tenté des négociations avec des dirigeants du PKK, mais l’échec des pourparlers s’était soldé par une intensification des combats. Le gouvernement d’Ankara souhaite cette fois-ci avancer à pas mesurés, dans l’espoir de ne pas décevoir une nouvelle fois un pays fatigué par trois décennies de combats.
« Il ne faut pas donner de faux espoirs au peuple. Soyons réalistes. C’est un processus qui durera des mois », a mis en garde M. Akdogan. Les observateurs estiment que même si le PKK décide de renoncer aux armes, cela ne suffirait pas à résoudre le problème kurde, un dossier complexe qu’il faut attaquer par des mesures politiques en faveur de la minorité kurde.
« L’abandon des armes est nécessaire pour résoudre la question kurde mais n’est pas une condition suffisante », estime le politologue Fuat Keyman. Il semble que le problème ne pourra être résolu qu’en accordant aux Kurdes une identité politique et démocratique au sein d’une société leur reconnaissant pleinement ces droits.
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