Rami Mohsen, Directeur du centre national des recherches et des consultations parlementaires
Al-Ahram Hebdo : A quelques jours des élections législatives, comment vous-voyez le paysage politique ? Et quel est, selon vous, l’enjeu de ces élections ?
Rami Mohsen : Le paysage politique est très fragmenté. Il faut savoir que nous avons en Egypte 101 partis politiques, fondés pour la plupart dans la foulée de la révolution du 25 janvier. La grande majorité de ces partis ne possède ni expérience, ni bases populaires, ni sources de financement et n’ont, à vrai dire, aucun poids dans la rue. Seule une poignée de partis décrocheront des sièges au futur parlement. Je pense que ces élections scelleront le sort des partis marginaux qui disparaîtront définitivement de la scène politique. Le paysage cette fois-ci est totalement différent de celui de 2012, qui était marqué par l’effervescence révolutionnaire. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Les islamistes ne font plus vraiment partie de l’équation électorale. Je dirais même que l’électeur de 2015 est différent de celui de 2012. Il a plus de conscience politique. Enfin, la Haute commission électorale, qui supervise le scrutin, est également plus expérimentée, ce qui promet un scrutin mieux organisé que les précédents. Ces élections ont une certaine importance pour le régime politique. Elles représentent la troisième et dernière phase de la feuille de route (ndlr. élaborée après l’éviction de l’ex-président Mohamad Morsi) et sont censées mettre fin au vide législatif, qui sévit en Egypte depuis quelque temps, et par conséquent conférer au régime politique une plus grande stabilité.
— Justement, comment prévoyez-vous les relations entre le prochain parlement et le président de la République ?
— Le prochain parlement ne comptera pas de parti majoritaire. Ce sont les indépendants sans étiquette politique qui formeront la majorité. On peut dire qu’il y aura plutôt une coalition majoritaire qui sera formée à l’hémicycle, disons par les députés les plus actifs. Quant à la relation avec le chef de l’Etat, elle dépendra de qui va former cette majorité. Mais ce qui est sûr, c’est que ce parlement ne comportera pas d’opposition. Il n'y aura pas de réelle opposition au régime, mais uniquement des différends ou des désaccords autour de certaines lois.
— A la veille des élections, comment voyez-vous le rapport de force sur la scène politique ?
— Je crois que les symboles de l’ancien régime (les feloul) qui se présentent pour les sièges individuels et ceux des listes n’ont pas vraiment de rival. Ils possèdent tous les atouts pour gagner : l’argent, l’expérience et surtout les réseaux d’intérêt. Ils vont profiter du recul du courant islamiste. Les feloul sont présents avec force, non seulement à travers de nouvelles figures inconnues, mais aussi avec des anciennes figures de l’ère Moubarak.
— Et les islamistes ?
— Après l’exclusion des Frères et la non participation de partis islamistes comme Misr Al-Qawiya (l’Egypte forte), le courant religieux est représenté par le parti salafiste Al-Nour. Mais celui-ci a perdu beaucoup de terrain au sein de l’électorat islamiste à cause de son soutien à la Feuille de route. De plus, le scrutin électoral majoritaire (50 % + 1), ne favorise pas ce parti ultraconservateur qui aura du mal à atteindre les 50 % dans de nombreuses circonscriptions, même s’il a beaucoup de partisans dans les régions pauvres ou défavorisées. A mon avis, Al-Nour peut récolter entre 10 et 15 sièges au maximum. Quant aux Frères musulmans, ils seront peut être présents à travers des figures inconnues, qui se présentent sous l’étiquette d’indépendants mais n’auront aucun poids au sein du parlement.
— La campagne électorale a été très courte et beaucoup de candidats s’en sont plaints. Qu’en pensez-vous ?
— Le problème n’est pas que la campagne a été courte. Il y a, à mon avis, deux choses qui caractérisent la campagne électorale cette année. La première est la dominance de l’argent politique et le retour au clientélisme et aux réseaux d’intérêt. Cette situation est surtout favorisée par le scrutin individuel et la présence des hommes d’affaires. L’autre caractéristique, liée à la première, c’est l’absence des programmes politiques. En effet, aucun des partis, ni des coalitions, ni même des candidats indépendants engagés dans ces élections, n’a montré de vision réelle ou de stratégie véritable pour résoudre les problèmes des Egyptiens. Toutes ces coalitions et ces partis politiques qui en font partie ne cherchent que leurs intérêts, mais pas les intérêts de l’Egypte. Chaque coalition veut placer le plus grand nombre possible de députés sous la coupole. Et nous avons vu comment ils cherchent à rallier des célébrités et des stars du talk-show pour augmenter leurs chances de gain. Mais une fois les élections terminées, ces alliances électorales s’effriteront. En fait, ces élections sont celles des grands slogans.
— Certains évoquent le risque d’une dissolution du prochain parlement, comme celui de 2012. Qu’en pensez-vous ?
— Si la justice estime que le parlement n’est pas constitutionnel, celui-ci sera dissout. L’éventualité existe, mais elle est faible.
— Comment voyez-vous l’agenda du prochain parlement ?
— A en juger par l’agenda, le parlement aura beaucoup de travail. Il devra examiner tous les décrets et lois émis après le 30 juin, comme le stipule l’article 156 de la Constitution, et ce dans un délai de 15 jours. On parle d’un total de 416 lois et décrets, dont 115 ont été émis sous le président intérimaire, Adly Mansour, et 301 sous le président Abdel-Fattah Al-Sissi. Le parlement sera aussi tenu de promulguer un certain nombre de lois, notamment celles ayant trait aux manifestations, à la construction des églises et des lieux de culte, à la lutte contre la discrimination contre les femmes, au terrorisme, entre autres. La qualité des débats est une toute autre affaire, car comme je l’ai déjà dit, il n’y aura pas d’opposition véritable au sein de ce parlement l
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