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Une campagne sans éclat

Ola Hamdi, Lundi, 12 octobre 2015

Avec 34 candidats en lice, les quartiers de Doqqi et Agouza, au Caire, seront l'une des circonscriptions-clés pour les sièges individuels de la première phase des élections.
La bataille principale oppose les symboles du PND de Moubarak à de nouvelles figures sans étiquette. Reportage.

une campagne sans eclat
La circonscription de Doqqi et Agouza est difcile pour les candidats, car elle comprend des quartiers huppés et d'autres populaires.

Vendrdi 8 octobre. On n’est que quelques jours avant la tenue des élections législatives. Pourtant, la circonscription de Doqqi et Agouza au Caire est loin de l’effervescence habituelle en période électorale. Seules les affiches de quelques candidats favoris accrochées aux murs des immeubles retiennent l’attention. 34 candidats, en tout, se présentent dans cette circonscription. La bataille principale oppose les symboles de l’ancien régime de Moubarak à quelques indépendants, sans étiquette politique. Sayed Gohar est un habitué des bataillles électorales, présent dans cette circonscription depuis 24 ans en tant qu’ancien membre du PND dissout. Il se présente en tant qu’indépendant et se trouve aux prises avec d’autres indépendants tels Amr Zidan, homme d’affaires, Amr Al-Chobaky, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le journaliste et présentateur Abdel-Réhim Ali, ainsi qu’avec un candidat du parti des Egyptiens libres, l’avocat Ahmad Mortada Mansour, fils de l’ancien magistrat et président controversé du club Zamalek, Mortada Mansour. Il est 11h, avant la prière du vendredi, les rues sont très calmes. A la mosquée Assad Ibn Al-Forat, rue Al-Tahrir, le candidat Amr Zidan arrive portant une djellaba pour prier avec les habitants du quartier. « J’en profite pour rencontrer mes électeurs et leur expliquer mon programme basé sur la lutte contre la corruption et la lourdeur de la bureaucratie. Je propose pour résoudre le problème du chômage que les jeunes soient employés dans le ramassage des ordures en échange d’un salaire fixe payé par les hommes d’affaires ! », affirme Zidan, qui s’apprête à faire une tournée dans les cafés et les magasins.

Après la prière, ses partisans commencent à distribuer les brochures éléctorales. Les jeunes de la circonscription ne semblent pas du tout intéressés. Certains d’entre eux jettent les brochures à la poubelle sans même les lire. D’autres se moquent de leur contenu. « Rien n’a changé. Je ne participerai pas à cette farce. Ces candidats ne cherchent que leurs intérêts », dit Mohamad, qui priait à la mosquée. L’effervescence habituelle, qui caractérisait les élections, est cette fois-ci absente. La place Moustafa Mahmoud dans la rue Gameat Al-Dowal Al-Arabiya, habituellement un lieu de meetings électoraux, est entièrement déserte. Il n’y a ni candidats, ni électeurs. « Les candidats viendront peut-être les trois derniers jours », pense Hassan, propriétaire d’un kiosque. Cette circonscription faisant partie du gouvernorat de Guiza, est difficile pour les candidats, car elle comprend des quartiers plutôt huppés comme Doqqi et Mohandessine, et d’autres populaires comme Awlad Allam, Ard Al-Lewa, et Mit Oqba. A Mit Oqba, un quartier dépourvu de services de base, qui souffre notamment de l’amoncellement des ordures dans les rues et d’un grand taux de chômage, quelques pancartes électorales sont accrochées aux murs des bâtiments. Cette région informelle qui a officiellement ôté sa robe de zone rurale pauvre et démunie en 1997, pour adhérer au quartier d’Al- Agouza, compte 120 000 habitants. Des véhicules munis de haut-parleurs sillonnent les rues pour vanter les mérites d’Ahmad Mortada Mansour, le jeune candidat du parti des Egyptiens libres. « Ahmad Mortada Mansour c’est l’intégrité.

Votez Ahmad Mortada Mansour », hurlent les haut-parleurs. Mansour, qui se présente comme le candidat de la jeunesse, essaie à tout prix d’échapper à la réputation de son père connu pour ses déclarations controversées, et son tempérament fort. « J’ai un caractère différent de celui de mon père », affirme le jeune candidat, dont le programme est basé sur la justice sociale, l’éducation et la santé. « A vrai dire, je n’ai pas de programme à proprement parler. Je trouve que la plupart des programmes électoraux présentés aux citoyens ne sont que des slogans. C’est une manière d’escroquer les gens. En réalité, ces programmes ne sont jamais vraiment appliqués. Mon programme véritable, je le conduirai sur le terrain une fois élu en trouvant des solutions aux problèmes des gens », affirme aux médias Mortada, qui concentre ses efforts dans les quartiers défavorisés, et surtout parmi le public du club Zamalek, tenu par son père. Certains citoyens se disent favorables à lui, le voyant même comme « le sauveur ». « Je suis avec les jeunes candidats, tel Ahmad Mortada, parce qu’ils vont nous apporter le changement. Il vient chaque jour nous rencontrer et discuter avec nous. Il connaît bien nos problèmes, et j’espère qu’il les résoudra une fois élu », assure Abbas, 50 ans et vendeur de fèves. Cependant, beaucoup d’autres citoyens ne sont convaincus ni par Mortada, ni par les autres candidats.

Peu ou pas de meetings électoraux

Beaucoup d’habitants de ce quartier travaillent dans la construction ; ils demandent de meilleurs salaires et surtout des pensions de retraite décentes. « Personne ne pense à nous, les ouvriers du bâtiment. Nous vivons au jour le jour sans assurances médicales et sans salaires fixes. En ce moment, il n’y a pas de travail. Devons-nous tendre la main pour vivre ? se demande Chéhata Kotb, 61 ans. « Chaque candidat vient nous voir et nous dire que son programme s’intéresse à la santé et à l’éducation. Tous les candidats utilisent les mêmes slogans et font les mêmes promesses, mais nous savons très bien qu’il s’agit de promesses en l’air ! ». D’après les habitants, la campagne électorale cette fois-ci est différente des fois précédentes. « A l’époque des Frères musulmans, des candidats nous avaient offert des sacs de nourriture, notamment du sucre et de l’huile, et même de l’argent », affirme une femme dans la soixantaine. « Même du temps de Moubarak, la candidate du PND, Amal Osman, nous avait offert des couvertures, de la viande et de l’argent. Les élections sont une bonne occasion pour les pauvres. Mais cette fois-ci, nous n’avons rien », ajoute Hagga Fatma. Elle constate qu’il n’y a pas de meetings électoraux non plus cette année.

Mais M. Gamal, à la retraite, ne partage pas cet avis. « Certains candidats, surtout les anciens, continuent à utiliser l’argent pour gagner aux élections. Ici dans notre quartier, une voix vaut entre 200 et 300 L.E. », affirme-t-il. Sayed, un jeune du quartier, 28 ans, a pris la décision de rendre nul son bulletin. « Personne de ces candidats ne me représente, personne ne veut aider les jeunes qui souffrent. Je suis diplômé de la faculté des lettres, et à cause du chômage, je travaille comme vendeur dans un magasin d’équipements électriques », explique Sayed, dont le désespoir se lit dans les yeux. Dans la rue Wadi Al-Nil, où se trouvent plusieurs grands cafés, le hadj Ismaïl discute avec ses collègues. « Nous ne voulons pas entendre parler de ces candidats. La plupart sont des escrocs. Une fois élus, ils disparaissent et ne sont plus accessibles, affirme cet homme de 65 ans. Nous souffrons de la hausse des prix. Aujourd’hui, le kilo de tomates se vend à 10 L.E. Nous souffrons aussi de la faiblesse de nos revenus, du chômage, du manque de services, de la propagation de la drogue et de l’amoncellement des ordures ménagères dans les rues », ajoute Ismaïl, qui préfère boycotter les élections cette fois, parce qu’il est sûr que ces candidats « ne feront rien ».

« Il est temps de tourner la page »

A Ard Al-Lewa, l’autre quartier populaire de la circonscription, le candidat Abdel-Réhim Ali vient d’achever un meeting électoral. « Il nous a présenté son programme et a pris des photos avec ses partisans. Il a écouté nos plaintes, surtout quant au manque de services, la propagation des ordures et les fréquentes coupures d’eau. Et il nous a promis d’employer 10 000 jeunes », raconte Mohamad Abdalla, un jeune de ce quartier, qui dit être « au chômage depuis 5 ans ». Quant à l’ancien député, Sayed Gohar, il a tenu lui aussi un meeting électoral. « Les gens d’Ard Al-Lewa sont connus pour leur magnanimité. Cette région a besoin d’écoles, d’un hôpital et de meilleurs services sanitaires », a indiqué Gohar durant son meeting. Mais Achraf Allam, un autre jeune, préfère donner sa voix à Amr Al-Choubaki. « Il est temps de tourner la page des ex-PND. Je trouve que le programme de Amr Al-Choubaky est excellent pour plusieurs raisons. Il est axé sur la justice sociale, la lutte contre le chômage, et surtout la nécessité de réformer le service de police, et d’améliorer l’enseignement. Toutes ces choses sont en accord avec mes convictions personnelles ». Amr Al-Choubaky avait, pour sa part, déclaré que sa campagne se limiterait à des visites et à des rencontres directes car, selon lui : « Le pari réel dans cette élection est de sensibiliser les gens et de changer leur manière de voir les choses ».

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