Jeudi 1er octobre. Il est 9h à l’Université du Caire. A l’entrée principale de l’établissement, des agents de sécurité privés
Falcon contrôlent l’identité des étudiants. Ces derniers doivent passer par des détecteurs de métaux pour accéder à l’enceinte. Le campus semble calme et il y a très peu d’étudiants. On remarque cependant la présence renforcée de la sécurité devant le bâtiment : contrôle des voitures, fouille des étudiants et des professeurs ...
4 véhicules blindés sont déployés sur la place Al-Nahda, tout près de la faculté de polytechnique, et deux devant la cité universitaire située en face de la faculté de commerce. Il est 9h30. Un véhicule transportant des agents de police fait le tour du bâtiment, et laisse devant chaque porte de l’enceinte une dizaine d’agents. Au sein du campus, la situation est calme en ce quatrième jour de rentrée universitaire. On est bien loin des troubles de l’année dernière, lorsque des étudiants islamistes hostiles au régime du président Abdel-Fattah Al-Sissi avaient interrompu les cours et s’étaient violemment accrochés avec les forces de l’ordre. Le calme est de mise et la majorité des étudiants présents sont des nouveaux inscrits venus s’informer de l’emploi du temps.
Pour éviter une répétition du scénario de l’année dernière, la direction de l’université a adopté une série de mesures. Les zawyas (petites mosquées) sont strictement surveillées par des femmes appartenant à l’administration de chaque faculté pour éviter tout rassemblement suspect. Devant la faculté de Dar Al-Oloum, dont la majorité des étudiants sont de tendance islamiste, le calme semble de mise. Pourtant, selon un agent de sécurité, des étudiants islamistes se sont rassemblés la veille, en face de la cité universitaire. « Ils ont lancé des feux d’artifices, mais nous les avons dispersés et nous avons arrêté quatre d’entre eux, qui avaient une grande quantité de feux d’artifice », affirme l’agent.
L’année dernière, de violents accrochages avaient opposé les forces de l’ordre aux étudiants islamistes qui protestaient contre l’éviction de l’ancien président islamiste, Mohamad Morsi. Les étudiants avaient interrompu les cours et lancé des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre. En réaction, et pour éviter tout débordement, la direction de l’université avait interdit toute activité politique au sein du campus et annoncé que tout étudiant fauteur de trouble sera renvoyé de l’université. Cette année, les manifestations sont interdites. Et des caméras de surveillance ont été installées un peu partout au sein du campus.
Débat sur la sécurité
Les mesures de sécurité draconiennes soulèvent des réactions diverses au sein du campus. Et l’ancien débat sur la politique à l’université revient sur le devant de la scène. « L’année dernière, c’était le désordre total. Nous aimerions que cette année soit plus stable et qu’il n’y ait ni manifestations, ni violences », explique Tamer Mohamad, étudiant en quatrième année de la faculté des lettres. « Je suis avec l’interdiction des manifestations, car nous sommes des étudiants et pas des militants ». Pour Tamer et d’autres étudiants encore, les troubles soulevés par les islamistes l’année dernière ont empêché beaucoup d’étudiants de suivre les cours. « Est-ce acceptable que les salles de cours soient prises d’assaut ? Que celui qui veut manifester manifeste hors du campus », dit Tamer. Ahmad Hosni, président de l’union de la jeunesse d’Egypte, ne partage pourtant pas cet avis. « Le campus n’est pas seulement un lieu pour apprendre. C’est un lieu pour former la pensée intellectuelle et politique. Tous les grands leaders politiques ont commencé à l’université », explique Hosni. Pour lui, il ne faut pas que la sécurité du campus soit un prétexte pour réprimer les étudiants et les empêcher de s’exprimer.
Le président de l’université, Gaber Nassar, a déclaré qu’il ne permettrait pas les manifestations au sein du campus. « Les manifestations sont contre la loi, l’université n’est pas un lieu de manifestations. Toute manifestation à l’insu de l’université est contraire à la loi. Les organisateurs de telles manifestations seront renvoyés de leurs facultés », a déclaré Nassar, qui ajoute que « les agents de la société privée de sécurité ne portent pas d’armes, mais ils utiliseront des matraques pour disperser les étudiants en cas d’émeutes. En cas de besoin, ils feront appel aux forces de police qui sont stationnées à l’extérieur du campus ».
Avec la présence massive de la sécurité, les étudiants islamistes se font plus discrets, mais ils n’abandonnent pas totalement. « Nous nous attendions à ces mesures. Cela ne va pas affecter notre mouvement, mais nous allons prendre plus de précautions », assure Mohamad Abdallah, étudiant de la faculté des sciences. « Nous sommes en colère parce que 4 de nos collègues ont été arrêtés, mercredi, par les autorités. Nous allons continuer à manifester », indique-t-il.
Les islamistes peuvent-ils resurgir cette année encore et causer des troubles à l’université ? Soumis à une campagne sécuritaire impitoyable après les événements qui ont suivi la destitution de Mohamad Morsi, en juillet 2013, les Frères se sont tournés vers les universités où ils étaient particulièrement actifs l’année dernière. Cette année cependant, ils semblent beaucoup moins forts. « Les Frères ont été affaiblis par les campagnes sécuritaires, mais surtout aussi par les divisions qui minent la confrérie, qui témoignent d’un bras de fer entre l’ancienne et la nouvelle génération. Tout ceci a eu un impact sur la présence des Frères au sein de l’université, surtout que beaucoup d’étudiants ont été arrêtés l’année dernière », explique le politologue Ahmad Ban. Dans ce contexte, on peut difficilement s’attendre à des troubles cette année au sein du campus.
Le niqab interdit
Outre les mesures de sécurité, le port du niqab (voile intégral couvrant le visage sauf les yeux) a été interdit pour les enseignantes, au sein de l’université. « Le port du niqab est interdit pour les membres féminins du personnel enseignant et leurs assistants qui donnent des leçons théoriques ou pratiques », affirme une circulaire du président de l’université. La décision, entrée en vigueur le deuxième jour de l’année universitaire, vise officiellement à « faciliter la communication entre les professeurs et les étudiants ».
Mais la décision soulève une polémique parmi le personnel universitaire et les étudiants. « Le port du niqab est une liberté personnelle. On ne peut pas la restreindre par des décrets administratifs injustes. Chaque fille a le droit de porter le voile ou le niqab librement au même titre qu’elle a le droit de porter un jean. Ce n’est pas vrai qu’il n’y ait pas de communication entre les étudiants et les enseignantes à l’intérieur des salles de cours », affirme Norhan Omar, étudiante voilée à la faculté des sciences. Elle appelle Gaber Nassar à revenir sur cette décision qui « risque d’alimenter le racisme au sein du campus, surtout qu’il y a un manque de professeurs ».
Gaber Nassar avait déclaré aux médias qu’il ne reviendrait pas sur sa décision. « L’interdiction du niqab à l’université n’est pas anticonstitutionnelle, et les enseignantes qui ne sont pas contentes peuvent recourir à la justice », a dit le président de l’université. Awatef Abdel-Rahman, membre du mouvement du 9 Mars, qui milite pour l’indépendance des universités, pense que les décrets administratifs ne sont pas le moyen approprié pour faire face au niqab. « Oui, objectivement, il y a des difficultés de communication pour l’enseignante qui porte le niqab. Je me souviens, il y a quelques années, qu'une professeure était venue pour travailler avec moi au département de journalisme à la faculté de l’information, et après une semaine de travail, elle a présenté sa démission, car elle avait des difficultés à communiquer avec les étudiants. Elle l’a fait de son propre chef. Il faut faire des efforts au niveau de la sensibilisation », explique Abdel-Rahman. Concernant l’interdiction de manifester au campus, elle affirme : « Nous ne pouvons pas supprimer les manifestations dans les universités, parce que c’est un droit inhérent des étudiants qui est garanti par la Constitution et la loi sur les universités. C’est leur droit de s’exprimer pacifiquement. Il faut ouvrir un dialogue avec les étudiants, au niveau des facultés au lieu d’utiliser la langue de l’arrogance et de provoquer les étudiants, parce que cette politique peut conduire à des résultats indésirables », conclut-elle.
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