La campagne des législatives a commencé timidement le 29 septembre. Celles-ci se dérouleront du 18 octobre au 2 décembre. 5 420 candidats en tout sont en lice pour ce scrutin. Le retour des
feloul (membres de l’ancien régime de Moubarak) et l’absence des Frères musulmans changent la donne, comparée aux précédentes élections. «
Ces élections seront marquées par l’argent et les réseaux d’intérêts », affirme Ziyad Al-Eleimi, membre du haut comité du parti
Egyptien démocratique, et ancien député au parlement dissout. «
Les candidats de l’ancien parti national démocrate, qui participent massivement à ces élections, ont des connexions dans les zones rurales. Ils bénéficient encore d’un ancien réseau d’intérêt. C’est ce qui laisse à penser que les intérêts personnels auront une place importante aux élections, aux dépends des programmes politiques », ajoute pour sa part Mahmoud Al-Alaïli, du parti des
Egyptiens Libres. Selon lui, le seul vote politique aux élections, cette année, sera celui des opposants au régime actuel. Or, ces opposants ne sont pas nombreux, et beaucoup d’entre eux ne participeront pas au vote.
Les feloul sont présents dans plusieurs coalitions électorales, comme le Front Egyptien et Pour l’amour de l’Egypte. Ces élections sont la dernière étape de la feuille de route, élaborée après la révolution du 30 juin. Yousri Al-Azabawi, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, estime que les législatives de cette année opposeront les hommes d’affaires de l’ancien Parti National Démocrate (PND) aux forces civiles, peu nombreuses, qui ont décidé de se présenter. C’est le cas dans plusieurs circonscriptions comme à Doqqi et Agouza, où l’ancien député libéral Amr Al-Chobaki est opposé à Sayed Gohar et Ahmad Mortada Mansour, deux figures de l’ancien régime. A Alexandrie, en revanche, fief salafiste, Sahar Talaat Moustapha, soeur de l’homme d’affaires Hicham Talaat Moustapha, ancienne figure célèbre du parti national démocrate, se présente contre les membres du parti Al-Nour, seule force islamiste engagée dans ces élections. (Lire page 5).
Un contexte différent
Certains analystes estiment que les élections de 2011-2012 qui ont donné lieu à un parlement à 70 % islamiste, ont vu la politique au sens propre s’imposer dans le choix des candidats. Les électeurs, opposés à l’ancien régime de Moubarak, ont joué un grand rôle dans ce choix, même si beaucoup ont voté sur une base religieuse ou ont donné leur vote en échange de services. Cette fois, les opposants au régime ne trouveront pratiquement pas de candidats qui les représentent, estiment encore les spécialistes. Al-Eleimi, qui était député au parlement de 2012, ne se présente pas en 2015 et n’ira pas non plus voter. Pour lui, l’opposition n’a pas de place dans un parlement dominé par les forces de l’ancien régime, tandis que le rôle des partisans et des opposants est « pré-déterminé par le régime ». « Les ex-membres du PND ont de vastes chances de succès. Ils ont l’argent, les médias qui les appuient, et les relations de familles », ajoute pour sa part Al-Azabawi. Mohamad Raouf Ghoneim, chef du comité exécutif de la coalition du Bloc Egyptien en 2012, estime que les jeunes ont perdu confiance dans le processus démocratique actuel, surtout ceux qui pensent que tout est contrôlé. Ils n’iront pas voter. Pourtant, Al-Alaïli estime que « nous sommes dans une période de démocratisation, une étape de l’expérience démocratique », pour justifier la situation aujourd’hui.
Le contexte est ainsi bien différent de 2012. L’effervescence révolutionnaire s’est nettement estompée. Et même si les législatives de 2011-2012 ont vu la participation d’opposants révolutionnaires contre le régime, déchu en février 2011, Al-Azabawi ne perçoit pas ces législatives comme étant basées sur la politique. « C’était un moment révolutionnaire, une émotion révolutionnaire », fit-il, d’où la vaste participation de 50 % au grâce à une confiance en un scrutin équitable. « Les élections de 2011 étaient basées sur la polarisation religieuse et non pas sur la politique », indique pour sa part Al-Alaïli. Ces élections de 2012 ont quand même vu le succès de candidats comme Amr Al-Chobaki, Amr Hamzawi, Ziyad Al-Eleimi et d’autres. Des personnalités qui ne se sont alliées ni à l’islam politique ni aux réseaux d’intérêt. Ces députés étaient issus d’un effervescence révolutionnaire qui a créé un engagement politique et une atmosphère favorable au processus électoral.
Pas de débats pluriels
Beaucoup perçoivent le scrutin actuel comme prenant place dans une atmosphère non favorable au « travail politique », conséquence directe des récentes législations sur la liberté de manifester et de se réunir. En effet, toute réunion politique nécessite une autorisation du ministère de l’Intérieur, en vertu de la loi sur les manifestations. Les débats sont donc de facto presque impossibles, ou au moins fortement limités.
Si Al-Azabawi estime que « les procédures électorales ne sont pas soumises à la loi sur les manifestations car il s’agit d’un autre contexte », tel n’est pas l’avis de Refaat Al-Sayed, ancien magistrat, qui a récemment insisté sur le fait que « toute réunion ou manifestation publique nécessite une notification préalable ».
Pour Al-Eleimi, il est aussi question de pressions sur les candidats et leurs partisans qui risquent des poursuites judiciaires, en cas de meeting électoral improvisé.
Pour Yousri Al-Azabawi, le contexte demeure cependant impropre au débat politique : « Ces élections ne seront pas basées sur un débat entre pro et anti-régime. Si une opposition émerge, ce sera au sein du futur parlement qui pourrait se positionner contre certaines lois ou stratégies gouvernementales. Mais de toute façon il s’agira d’une opposition domestiquée, voir inefficace », critique le chercheur, qui ajoute que « tous les partis soutiennent Al-Sissi ».
Le prochain parlement sera donc, sans surprise, un parlement à voie unique. Et même si quelques voix peuvent jouer le rôle de l’opposition, ces rares voix discordantes ne seront pas à même de peser dans la balance.
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