Après des «
il doit partir immédiatement », nous sommes passés à des «
il doit partir mais le calendrier est négociable ». La stratégie de l’isolement de Bachar Al-Assad, adoptée par les grandes puissances peu après le début de la révolution syrienne en 2011, qui s’est transformée en guerre faisant plus de 240 000 morts, n’est vraisemblablement plus de mise.
Washington, Berlin, Londres, et même Ankara, ne posent plus désormais son départ immédiat comme condition préalable à toute négociation.
Ce revirement est principalement dû à la position russe qui apparaît aujourd’hui, après plus de trois ans de guerre, comme la plus rationnelle. Le soutien russe à Bachar Al-Assad s’est récemment traduit par une offensive diplomatique et une présence militaire renforcée sur le territoire syrien. Le président Poutine a lui même rompu son isolement politique dû à la crise ukrainienne et est monté à la tribune des Nations-Unies avant de rencontrer son homologue américain pour discuter de « son plan » pour la Syrie. Un nouveau terrain d’entente pourrait ainsi être trouvé.
Si Obama a encore dénoncé le soutien de certains pays au président syrien, le qualifiant de « tyran » qui « massacre des enfants innocents », il s’est dit « prêt à travailler » avec tous les pays, « y compris la Russie et l’Iran », soutiens de Damas, « pour résoudre le conflit ». Poutine a rétorqué en affirmant que « c’est au peuple syrien de décider du sort de Bachar, non pas à Barack Obama ou François Hollande ».
Cette passe d’arme, ou encore la poignée de main glaciale devant les caméras, n’ont pas pour autant empêché le tête-à-tête, le premier depuis plus de deux ans, de durer 95 minutes contre les 55 minutes prévues par les dirigeants. Poutine a ainsi précisé à l’issue de la rencontre à huis clos que l’entretien était « franc et fructueux » et que Moscou et Washington ont quand même « des points de vue en commun ».
Stopper les extrémistes
Etroitement liée au sort de Bachar Al-Assad, la lutte contre les djihadistes du groupe armé de l’Etat Islamique (EI) est désormais le mot-clé. Le président russe propose la création d’une « large coalition antiterroriste », semblable à « celle contre Hitler ».
Depuis un an environ, les Américains dirigent, avec une soixantaine de pays européens et arabes, une coalition militaire contre l’EI en Syrie et en Iraq. Mais toutes les opérations contre les bastions de l’EI n’ont pas empêché le groupe terroriste de consolider ses positions. « Nous devons reconnaître que personne d’autre que les forces armées du président syrien combattent réellement l’Etat islamique », a lancé Poutine.
Si le gouvernement syrien tombe, les terroristes s’empareront de Damas, plaide-t-il, tout comme son homologue iranien. « Nous pensons que c’est une énorme erreur de refuser de coopérer avec le gouvernement syrien et ses forces armées, qui tiennent courageusement tête au terrorisme », a-t-il encore affirmé. Face à Washington, Moscou semble toujours crédible : ce sont les Russes qui avaient décroché un accord sur les armes chimiques syriennes et ce sont eux aussi qui ont poussé l’accord sur le nucléaire iranien.
Obama et Poutine ont ainsi approuvé lors de leur rencontre dans la nuit de mardi le principe de discussions tactiques entre leurs deux armées, avec pour objectif d’éviter tout conflit lors d’éventuelles opérations en Syrie. Les chefs de la diplomatie des deux pays vont poursuivre des discussions politiques, et le Pentagone s’occupera d’organiser des échanges entre officiers.
Quelle stratégie pour la Russie ?
Le jeu russe n’est pourtant pas si clair. Rabha Allam, spécialiste du dossier syrien au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, avance deux hypothèses forts contradictoires qui expliqueraient l’offensive russe. La première consiste à dire que la présence militaire russe en Syrie, qui offre à la Russie désormais une présence en Méditerranée, vise à protéger le régime de Bachar Al-Assad, qui ne contrôle désormais que 25 % du territoire syrien, et forcer en même temps les Occidentaux à l’accepter comme partie prenante dans toute négociation de paix.
Sur le fond, comme l’écrit Mostafa Al-Labbad, directeur du Centre régional Al-Sharq, Moscou considère les djihadistes de Daech comme une menace directe, au moins en raison de la proximité géographique, si ce n’est pour des raisons d’alliances possibles avec les Tchétchènes ou d’autres groupes combattant Moscou. Dans un article publié dans le quotidien libanais As-Safir, Labbad ajoute une autre crainte de Moscou : « Les Américains voudraient la chute de Bachar Al-Assad pour contrebalancer l’influence de Téhéran après l’accord sur le nucléaire iranien ».
La deuxième hypothèse, selon Rabha Allam, serait de pouvoir forcer Bachar Al-Assad au départ en cas d’échec des négociations. Des forces russes sont en effet présentes dans les bastions du régime et pourraient ainsi devenir une carte de pression contre Assad. Pour ce deuxième scénario, Allam rappelle « les négociations qui se déroulaient à huis clos entre Riyad et Moscou sur la question syrienne ». La chercheuse n’écarte pas la possibilité d’un marché russo-saoudien dont l’intervention militaire serait un premier pas.
Moscou assure pourtant que sa présence militaire n’a pour but que de pousser Bachar Al-Assad à un règlement politique dans la continuité. En tout état de cause, Bachar Al-Assad s’impose comme partie indispensable de la solution, au moins pour une transition. Des représentants des Etats-Unis, de la Russie, de l’Arabie saoudite, de l’Iran, de la Turquie et de l’Egypte doivent bientôt débattre de la question.
Selon le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Mikhaïl Bogdanov « quatre groupes de travail doivent être formés à Genève, et la rencontre du groupe de contact incluant les principaux acteurs se réunira en octobre après la session de l’Assemblée générale de l’Onu ».
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