Lundi, 16 septembre 2024
Al-Ahram Hebdo > Egypte >

Des rêves que l’absurde rend impossibles

Najet Belhatem, Vendredi, 28 août 2015

Cette semaine, loin de l’actualité, focus sur des rêves simples de gens simples au milieu d’un magma de tensions, de guerreset de crises. Des femmes rêvent de liberté à travers leurs armoires, et un jeune Syrien rêve d’être libre, comme il est.

Elles ont entre 20 et 74 ans et parlent de rêves simples sortis directement de leurs armoires. C’est un reportage publié dans le quotidien Al-Shorouk (https://www. shorouknews.com). « Dans un grand pays comme l’Egypte, en 2015, les femmes rêvent de sécurité dans les rues, elles rêvent simplement de sécurité, de ne pas passer leurs journées à échapper aux harcèlements dans les moyens de transport, dans les rues et sur leurs lieux de travail, ou même chez elles. Quand les droits de l’homme les plus basiques se transforment en Egypte en rêves, nous sommes en droit de nous demander : Quel est l’espace où il leur est permis de bouger, quel est l’espace de la créativité ? Comment peuvent-elles se réaliser dans une société qui leur choisit même la couleur de leurs vêtements ? ». L’auteur du reportage a choisi de faire parler des femmes sur leur rapport avec leurs armoires. « Les armoires ressemblent à nos cerveaux. Si, en tant qu’être humain je ne peux pas porter ce que j’aime, je ne pourrai pas dire ce que je veux ni faire ce que je veux ». Dans une société où la respectabilité de la femme dépend de son aspect extérieur, l’armoire est un révélateur important. Ouvrir son armoire et choisir ses vêtements n’est pas une sinécure : il faut faire attention à ne pas attirer le regard, les commentaires ou les gestes. Et cela n’a rien à voir avec le fait d’être voilée ou pas. « Les gens en Egypte détestent les couleurs. Moi, j’aime mélanger les couleurs. Même si je ne suis pas très convaincue par le port du voile — parce que j’ai cherché dans l’islam les raisons de son imposition sans en trouver une valable

— je n’ai pas pu l’enlever. Alors j’ai décidé de porter le voile d’une manière différente. Or, même en portant des vêtements amples je fais l’objet d’agressions tout le temps. Et j’attends d’être au bord de la mer pour porter mes robes colorées », dit May Badr, 22 ans. Une autre femme d’une tout autre génération rêve, elle aussi, de porter sa robe noire sans manches. « Je me suis rappelée il y a quelques jours que j’ai une robe noire que j’aimerais porter, mais je me suis aussi rappelée que je devais trouver quelque chose pour cacher mes bras vu qu’elle est sans manches. Je ne crois pas que je pourrais la porter, pas seulement à cause de la société mais aussi parce que je suis vieille », lance Iglal Mahmoud Raafat, 74 ans, et professeure d’université. Pour Fatima, 25 ans, sortir dans la rue est une aventure quotidienne : « A chaque fois que je sors, je suis harcelée. Mais cela ne m’a pas empêchée de porter ce que je veux. Je sais que je suis différente et que les gens me regardent parce que je suis différente, mais je fais tout pour les obliger à respecter ma différence. J’ai été beaucoup harcelée pour ma couleur de peau, et j’entends beaucoup de commentaire sur le fait que je sois noire, cela me dérange énormément. Une fois, j’ai été très peinée parce que quelqu’un m’a insultée à cause de la couleur de ma peau ». Aliaa Adel, 22 ans, porte le niqab, voile intégral, mais elle aime les couleurs. Un jour, alors qu’elle portait une robe avec des papillons, un passant l’a insultée en lançant : « C’est ça l’islam vrai ? Porter des papillons sur le niqab ? ». Une autre rêve de porter un short et un débardeur pour monter à vélo, au lieu des vêtements indiens amples pour amoindrir le choc de voir une femme à vélo dans les rues du Caire. Amira Mortada, 33 ans, a décidé de ne pas acheter de robes même si elle rêve d’en porter une. « Je porte le plus souvent des vêtements un peu masculins, et un jour j’ai acheté un pantalon de couleur vive. J’ai eu droit à plein de commentaires dans la rue. Je ne comprenais pas où était le problème. Je ne l’ai plus porté, car je n’ai pas l’énergie d’affronter tous ces regards et commentaires déplaisants ». Le reporter a publié les photos de ces femmes devant l’objet de leurs rêves : un short, une robe noire, une robe à fleur, un pantalon rouge … Des rêves simples que l’absurde transforme en utopie.

Un rêve qui tient à un fil

A des centaines de kilomètres de ces rêves enfouis dans des armoires féminines, un autre rêveur tente de tisser sa gloire sur les trottoirs du quartier huppé de Beyrouth, Hamra. Il s’appelle Magd Zarzour, il a fui la guerre dans son pays natal, la Syrie, et s’est construit un fragile quotidien en confectionnant des accessoires en fil. C’est un article publié sur le site libanais Al-Modon (http://www. almodon.com/society). Au Liban, qui a accueilli depuis la guerre en Syrie plus d’un million deux cents mille réfugiés syriens, ces derniers font désormais partie de la composante et, malgré les aides, ils vivent un quotidien difficile souvent fait de débrouille. « Ces fils l’ont sauvé de la tristesse de l’éloignement de sa famille et lui ont permis de parfaire son amour pour le design qu’il n’a pas pu étudier dans son pays. Ce métier l’a rendu plus libre et, du coup, il s’est fait 19 tatouages sur différentes parties de son corps frêle : Ces choses je n’aurais pas pu les faire à Damas », lance-t-il. Son coin de rue est devenu sa patrie où il reçoit des gens venus voir ses oeuvres et discuter, et où il rencontre ses amis dont certains travaillent dans les bars de Hamra. « Ce n’est pas un métier mais un art rentable », dit-il. « Il a réussi à se sortir de l’enfer de Beyrouth. Depuis son arrivée il a dormi trois ans sur le trottoir de la corniche, il a travaillé dans un salon de coiffure, puis il est revenu sur le trottoir, mais cette fois-ci avec ses fils ». Il raconte : « De la rue j’ai appris les goûts des gens, j’ai appris de nouveaux modèles de bracelets et d’accessoires. Puis, j’ai commencé à confectionner des modèles selon la personnalité de chacun ».

Quand son art lui rapporte 200 lires libanaises par jour il se met à confectionner des bracelets gratuitement pour les passants. « L’argent ne m’intéresse pas, je me contente de ce que j’ai. J’ai appris dès l’âge de douze ans à confectionner mes habits comme je les aime ». Ce coin de trottoir lui a garanti une liberté. Il rêve de voyager en Europe et d’étudier le design de mode. « L’important c’est d’apprendre à vivre et de réaliser ses rêves ». Ce Liban dans lequel il a trouvé refuge est lui aussi en ébullition suite à la crise des déchets qui s’est transformée en manifestations contre le régime. « En résumé, le régime est en déliquescence et sur le point de s’effondrer, et les Libanais de tous bords en ont marre des réseaux au pouvoir et sont de plus aptes à la rébellion et à la désobéissance », écrit un éditorialiste dans le journal libanais Al-Safir.

Mots clés:
Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique