Courrier International
Les premières études portant sur les retombées sur l’Egypte d’un projet hydraulique éthiopien datent des années 1950. Après la Seconde Guerre mondiale, l’Ethiopie, libérée de la domination italienne, a souhaité utiliser les eaux du Nil Bleu à des fins de développement. A cette époque, l’utilisation des eaux du Nil était réglementée par l’accord de 1929, qui donnait à l’Egypte et au Soudan un droit de veto sur tout projet hydraulique, susceptible d’affecter leurs quotas respectifs. L’Ethiopie, pays extrêmement pauvre, ne pouvait pas investir dans d’importantes infrastructures hydrauliques, pour un projet semblable au Haut-Barrage d’Assouan. C’est grâce, donc, à l’assistance étrangère (notamment des Etats-Unis) que ce pays du tiers-monde a pu réaliser des études approfondies sur les ressources en eau du bassin du Nil Bleu et sur son potentiel économique et de développement.
Ces études approfondies ont, effectivement, plus d’importance sur le plan politique que sur le plan économique. Ainsi, plus tard, l’Ethiopie va s’en servir pour faire pression sur l’Egypte afin qu’elle accepte de participer aux discussions sur un nouvel accord de partage des eaux du fleuve.
En 1957, Addis-Abeba a commandé en urgence de nouvelles études, cette fois-ci à la France, sur le potentiel économique du bassin du Nil Bleu.
Les deux études, américaine et française, ne vont pas déboucher sur des réalisations concrètes, mais ont néanmoins montré les possibilités de développement en Ethiopie.
60 ans plus tard, la situation a évolué. L’Ethiopie utilise l’étude offerte par les experts américains pour construire le barrage de la Renaissance. Et c’est au tour de l’Egypte de solliciter les experts internationaux pour défendre ses intérêts. L’Egypte, voyant ce barrage comme une menace pour son approvisionnement en eau, s’était immédiatement opposée au projet. « L’Ethiopie a pu réaliser son projet en se passant de l’assistance financière étrangère. Le chantier débute, soudainement, le 4 avril 2011 alors que l’Egypte était en pleine révolution », souligne Hani Raslan, spécialiste des pays du bassin du Nil au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Et depuis le début des travaux de construction, un comité international nommé « le comité des 10 », regroupant des experts français, allemands, soudanais et éthiopiens a été formé pour réaliser des études hydrauliques, économiques et sociales, afin de donner à l’Ethiopie l’image d’un pays soucieux de ses voisins. Le rapport de ce comité, rendu le 31 mai 2013, pointait les risques potentiels du barrage pour l’Egypte et le Soudan, mais l’Ethiopie a rejeté ses conclusions et a refusé de suspendre les travaux.
En août 2014, les discussions égypto-éthiopiennes se sont soldées par la décision de choisir une société de conseil, toujours dans le même objectif : connaître les effets possibles du barrage de la Renaissance sur l’Egypte et le Soudan.
Dans un accord signé le 23 mars 2015 à Khartoum, l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie se sont engagés à s’en tenir aux recommandations de cette société de conseil. C’est ainsi qu’en avril dernier les ministres de l’Irrigation des trois pays ont convenu de confier à deux bureaux européens (le Français BRL et le Hollandais Deltares) les études techniques de l’impact écologique, économique et social du barrage de la Renaissance sur les pays en aval. Ils ont accordé 11 mois à ces deux sociétés pour terminer les études. « La réalisation de cette étude fait partie des solutions destinées à désamorcer la crise entre l’Ethiopie, d’un côté, et l'Egypte et le Soudan, de l’autre, deux pays très dépendants du Nil pour leur approvisionnement en eau », estime Raslan.
Le Caire base ainsi sa stratégie de défense sur cette étude qui pourrait, le cas échéant, amener la Communauté internationale à faire pression sur l’Ethiopie.
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