Il s’agit de la première série dudit « dialogue stratégique » depuis 6 ans. L’Egypte et les Etats-Unis ont renoué leurs relations bilatérales, dimanche dernier au Caire, par une rencontre entre les deux chefs de la diplomatie, Sameh Choukri et John Kerry, et leurs délégations. Mais au lieu de deux jours, comme c’était le cas après le lancement de ce « dialogue » en 1998, le dialogue n’a duré qu’une demi-journée.
Cet échange reflète la volonté des deux pays de privilégier les intérêts régionaux communs aux désaccords politiques, surtout ceux des deux dernières années après la dispersion par la force des sit-in des partisans de l’ancien président Mohamad Morsi.
« Les Etats-Unis et l’Egypte sont en train de retrouver une base plus solide pour leurs relations », a ainsi résumé Kerry qui, au sein de l’Administration américaine, est le partisan d’une relation étroite avec Le Caire, contrairement à la conseillère à la sécurité nationale, Suzanne Rice, qui croit que les relations avec l’Egypte sont définitivement détériorées.
Il y existe en effet toujours « des tensions ici et là sur certaines questions dont la protection des droits de l’homme » et pour lesquelles « les Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude », a pondéré Kerry lors d’une conférence de presse avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri. Ce dernier reconnaît aussi « des différences de points de vue sur certaines questions, ce qui est naturel ».
Au Caire comme à Washington, les responsables sont conscients qu’il ne s’agit plus d’un « dialogue stratégique » comme ce fut l’objectif de sa création. Le premier dialogue était intervenu dans la foulée du processus de paix d’Oslo, et il cherchait à « assurer une coordination étroite sur les questions politiques et diplomatiques ».
Changements perceptibles
Sous Clinton et sous Bush, les Administrations américaines considéraient la relation US-Egypte comme essentielle pour faire avancer le processus de paix israélo-palestinien. Il fallait donc des concertations régulières sur les questions militaires, sécuritaires, économiques, politiques et même éducatives. « Dans ce sens, ce n’est plus un dialogue stratégique comme avant, puisque l’Egypte a plus ou moins perdu sa carte régionale », souligne un haut diplomate égyptien servant dans la capitale américaine.
Le Caire ne peut plus prétendre ni être le médiateur de la réconciliation interpalestinienne après la détérioration de ses relations avec le Hamas, ni être la locomotive des pays arabes sur la question de la paix avec Israël. « Notre rôle s’est presque réduit à zéro en Syrie, au Yémen et dans la lutte contre Daech où nous avançons d'un pied et reculons de l’autre, alors qu’un petit pays comme la Jordanie fournit aéroports et matériels », explique le diplomate.
Depuis leur dernier dialogue en 2009, des révolutions ont éclaté, des Etats se sont effondrés et l’Iran est monté en puissance, s’instaurant comme principale force dans la région. Pourtant, Le Caire continue, apparemment sans très grand succès, à vanter sa carte régionale et se présente comme le pays « qui possède une crédibilité historique au Yémen et qui peut rassembler l’opposition syrienne », affirme un haut diplomate au Caire.
Ce dialogue n’est qu’une simple formalité diplomatique d’autant plus que « les différents aspects des relations sont déjà gérés par d’autres canaux », comme l’affirme un autre haut diplomate égyptien. « Les militaires égyptiens disent qu’ils possèdent leurs propres canaux avec leurs homologues américains, sans passer par ce dialogue entre chefs de la diplomatie. Idem pour le dossier sécuritaire », ajoute-t-il.
Egyptiens et Américains se rencontrent pour le dialogue stratégique pour la 1re fois depuis 6 ans. (Photo : Reuters)
Les diplomates égyptiens interviewés par
Al-Ahram Hebdo estiment pourtant que l’importance du dialogue réside dans les non-dits. «
L’ignorance par chaque partie du point de vue de l’autre et la guerre réciproque qui a lieu dans les médias nuisent aux deux parties, c’est la première conclusion », reprend un de ces diplomates.
Le régime égyptien considère sans aucun doute la reprise de ce dialogue comme « une réussite diplomatique importante et une nouvelle preuve de son endurance, en particulier après que la Maison Blanche eut fait marche arrière sur l’arrêt de la livraison de certaines armes », indique un diplomate égyptien en poste à Washington.
Washington a ainsi livré au Caire 8 avions de combat F-16, sur les 12 promis en mars par le président Barack Obama. C’est « essentiel pour la lutte contre le terrorisme », a plaidé Kerry. « L’aide militaire a repris, le dialogue aussi et ceci est simplement traduit comme un soutien au régime actuel, explique un diplomate égyptien en poste au Caire. Après tout, même sans un dialogue stratégique, les aspects plus techniques de la relation sont restés : la coordination dans la lutte contre le terrorisme et un accès privilégié au Canal de Suez et au survol de l’espace aérien égyptien aux forces militaires américaines ».
Aspects économiques
prépondérants
Les responsables égyptiens tablaient aussi sur cette rencontre pour booster l’économie et les investissements. « Le gouvernement la perçoit comme une poursuite du sommet économique de Charm Al-Cheikh, d’autant plus que des compagnies américaines cherchent à obtenir une grande part du marché, notamment dans le domaine de l’électricité et de la santé », poursuit le diplomate égyptien basé au Caire.
Et Washington ne s’y oppose pas. La délégation qui a accompagné Kerry au Caire est presque entièrement économique, incluant son principal conseiller David Thorne, le secrétaire d’Etat adjoint pour les affaires économiques et commerciales, Charles Rivkin, et le représentant spécial pour les affaires commerciales, Scott Nathan.
Sameh Choukri a exhorté les Etats-Unis à saisir « les opportunités économiques prometteuses en Egypte dont la nouvelle loi sur l’investissement, le système de guichet unique et la loi sur le développement du Canal de Suez ».
« Les Etats-Unis veulent soutenir avec force l’Egypte afin de renforcer son économie. Les entreprises américaines sont prêtes à investir davantage au Caire », a renchéri John Kerry.
Washington, de son côté, veut par ce dialogue, qui était une étape dans une tournée dans les pays sunnites de la région, rassurer ses alliés arabes sunnites après l’accord nucléaire avec l’Iran. Pour dire qu’en dépit de leurs différends, l’Egypte et les Etats-Unis continueront à compter l’un pour l’autre.
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