Al-Ahram Hebdo : Y a-t-il un changement dans la politique de l’Arabie saoudite envers les islamistes dans la région ? Et quels sont les traits de ce changement ?
Abdel-Bari Atwane : Effectivement, il y a un changement remarquable depuis l’arrivée au pouvoir du roi Salman, fin janvier dernier, en comparaison avec les positions du Royaume pendant le règne du roi Abdallah. Celles-ci se caractérisaient par une animosité complète envers les courants de l’islam politique et les Frères musulmans en particulier. Ce changement s’est concrétisé notamment par l’accueil par le roi Salman du Tunisien d’Ennahda, Rached Al-Ghannouchi, puis il y a eu le rapprochement turco-saoudien à travers une rencontre avec Erdogan, parrain des Frères musulmans égyptiens. Puis, le roi Salman a accueilli Khaled Mechaal, chef du bureau politique du mouvement Hamas, et Abdel-Méguid Al-Zendani, leader des Frères musulmans au Yémen.
— A quel point cette nouvelle politique influe-t-elle les relations entre l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Emirats arabes unis ?
— Le rapprochement avec le Hamas, qui est l’aile militaire des Frères musulmans à Gaza, sape l’entente égypto-saoudienne. La stratégie égypto-saoudo-émiratie était basée sur la perception que l’islam politique et les Frères musulmans constituent une menace, mais après ce revirement saoudien, les relations égypto-saoudiennes sont devenues obscures et critiques. Et la même chose vaut pour les relations entre l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis.
— Comment expliquez-vous le rapprochement entre Riyad et le Hamas, couronné par la visite de Mechaal en Arabie saoudite après une longue période de rupture ?
— Khaled Mechaal a visité l’Arabie saoudite alors qu’il revenait du Qatar. Cette visite symbolise la nouvelle coalition entre l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie. Le Hamas fait également partie de cette coalition. Le soutien saoudien apporté au Hamas se fait au détriment de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Le Hamas profitera de cette ouverture puisque le mouvement souffre de nombreux problèmes, surtout financiers, comme le gel de ses fonds et le blocus qui lui est imposé dans la bande de Gaza. L’Arabie saoudite peut donc faire pression sur l’Egypte pour alléger la pression sur Gaza. Or, nous savons que Gaza est une question de sécurité nationale pour l’Egypte, et que l’Egypte ne renoncera jamais à son rôle dans le dossier palestinien. Tout ceci va augmenter la confusion de Mahmoud Abbass qui est dans une situation politique très critique puisqu’il a perdu tous ses paris. Et ce en plus de la tension qui domine les relations entre Ramallah, Le Caire et Riyad.
— Est-ce que l’Arabie saoudite tente de former un front sunnite qui inclut les Frères musulmans, dont ceux de Syrie et du Yémen, pour faire face à l’accord iranien ?
— Certes, l’escalade irano-saoudienne est l’une des causes principales de la situation actuelle au Proche-Orient qui se caractérise désormais par un conflit confessionnel, envenimé par l’Occident. Les deux Etats sont engagés dans une guerre par intérim en Syrie, en Iraq, au Yémen, au Liban et en Palestine. Et ce sont les peuples de la région qui payent cher le prix de ce conflit. Il est déplorable de constater qu’il n’y a à l’horizon aucune lueur promettant de contenir ce conflit à travers un accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran.
Le régime saoudien veut à tout prix renverser le régime d’Al-Assad, tandis que Téhéran tente, de son côté, de faire échouer les efforts saoudiens, et il a effectivement réalisé un succès palpable. La preuve en est qu’Al-Assad est le seul dirigeant qui continue à faire face à la révolte de son peuple et continue à gouverner son pays grâce au soutien iranien.
Nous ne savons pas à quoi aboutira ce conflit irano-saoudien. Il est difficile que l’Arabie saoudite gagne en Syrie, et il est presque impossible que l’Iran domine au Yémen, et les deux parties, si loin l’une de l’autre, ne peuvent pas vaincre Daech, au moins dans l’avenir proche. Une victoire pour l’une d’elles ne serait que temporaire, et surtout, très chère.
— L’agence Fares News, proche de la garde révolutionnaire en Iran, parle d’un accord entre le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie pour redistribuer les rôles et faire face au danger iranien. Est-ce que le rapprochement avec les Frères musulmans s’inscrit dans ce même contexte ?
— Il est difficile de comprendre ce que l’Arabie saoudite veut réaliser par cette politique au caractère confessionnel. L’Arabie saoudite devrait partir d’une plate-forme nationale arabe et non confessionnelle. Nous avons l’expérience de Nasser qui a réussi à affronter le projet iranien avec un projet national arabe. Ni ce qu’on appelle la coalition entre l’Arabie, la Turquie et le Qatar, ni le rapprochement avec les Frères musulmans ne pourra réaliser cet équilibre. Et si les Etats-Unis et l’Occident ont négocié avec l’Iran, pourquoi les Arabes ne le feraient-ils pas ? Le projet national arabe dirigé par l’Egypte est incontournable. Nous devons donc tous soutenir l’Egypte pour qu’elle reste forte et stable.
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