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Riyad fait front contre l'Iran

Samar Al-Gamal, Jeudi, 30 juillet 2015

La montée en puissance d'un Iran réconcilié avec l'Occident inquiète l'Arabie saoudite, qui a acceuilli cette semaine le chef du Hamas, Khaled Méchaal. Riyad cherche à recalculer sa stratégie régionale, et à former de nouvelles alliances.

Riyad

Même si Riyad tente d’en minimiser la portée, il s’agit d’un tournant dans les calculs stratégiques du Royaume saoudien. Le roi Salman, arrivé au pouvoir au début de l’année, vient de recevoir le chef du mouvement palestinien Hamas, affilé aux Frères musulmans, une organisation que son prédécesseur et frère, le roi Abdallah, avait classée comme terroriste. C’était en mars 2014 et la décision avait alors été vue comme escalade majeure contre les Frères musulmans.

La mort du Roi Abdallah et l’arrivée de Salman marquent un tournant géostratégique dans le Royaume. La guerre que Riyad mène au Yémen en dirigeant une coalition « arabe » pour combattre les chiites Houthis, et par procuration l’Iran, avait clairement illustré ce tournant. Alors que l’opération militaire se poursuit sur le terrain, un dirigeant d’Al-Islah, façade des Frères au Yémen, a été nommé chef de la résistance contre les Houthis au sud du Yémen.

La visite de Khaled Mechaal à La Mecque, qui a prié avec le roi Salman, et ses réunions exceptionnelles avec le ministre de la Défense, Mohamad bin Salman, fils du roi et figure politique montante, et avec le ministre de l’Intérieur, Mohamad bin Nayef, qui auparavant qualifié les frères comme « la source de tous nos problèmes », ne sont pas les seuls signes de rapprochement avec la confrérie.

Rached Al-Ghannouchi, chef de la confrérie en Tunisie, Hammam Saïd de la confrérie jordanienne et Abdel-Méguid Al-Zendani de la confrérie du Yémen, ont tous visité le Royaume récemment. Des visites impensables à l’époque d’Abdallah qui ne cachait pas sa méfiance vis-à-vis des Frères.

Nouvelles figures dans le Royaume

Rached Al-Ghannouchi et Khaled Mechaal ont été accueillis cette semaine en Arabie saoudite.
Rached Al-Ghannouchi et Khaled Mechaal ont été accueillis cette semaine en Arabie saoudite.

« La nouvelle élite régnante en Arabie a une tendance différente vis-à-vis des Frères en Egypte et ailleurs. Ce n’est plus un secret », avance Eman Ragab, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. La visite de Mechaal s’est accompagnée de la libération par les autorités saoudiennes de membres du Hamas accusés de financement du terrorisme. « La visite n’était donc pas sans objectifs politiques », explique Ragab.

L’inquiétude saoudienne, face à l’accord occidental avec l’Iran semble pousser l’Arabie saoudite à former un front sunnite qui s’opposerait à la montée en puissance du plus grand pays chiite. Pourquoi donc, dans ce contexte, exclure une ouverture aux Frères musulmans ?

Bien qu’interdits de toute activité politique en Arabie saoudite, les membres des Frères sont bien reçus et actifs dans les milieux universitaires et écoles secondaires du Royaume et l’hostilité affichée n’a jamais empêché l’Arabie saoudite, au cours de sa courte histoire, d’utiliser les Frères pour contrecarrer ses rivaux régionaux.

Dans les années 1950 et 60, le Royaume avait ainsi soutenu les Frères comme un moyen d’affaiblir le régime nationaliste de Nasser en Egypte. L’histoire commune entre les Frères et le Royaume remonte au temps du fondateur de la confrérie, Hassan Al-Banna, qui, en 1932, avait salué et béni la proclamation du Royaume saoudien en dépit du refus du roi Fouad de reconnaître le Royaume naissant. Cette alliance était pourtant toujours inconfortable pour Riyad, qui comprenait que l’idéologie de la confrérie était hostile aux monarchies.

Rached Al-Ghannouchi et Khaled Mechaal ont été accueillis cette semaine en Arabie saoudite.
Rached Al-Ghannouchi et Khaled Mechaal ont été accueillis cette semaine en Arabie saoudite.

Les relations ont particulièrement mal tourné après la guerre du Golfe puis se sont complètement détériorées au lendemain de la révolution contre le régime de Moubarak en 2011. La montée en puissance d’un Iran réconcilié avec l’Occident, et surtout avec Washington, allié majeur et stratégique des Saoudiens, a poussé ces derniers à recalculer leur stratégie. Un calcul selon lequel les Frères représentent une opportunité plutôt qu’une menace.

Redistribuer les rôles dans la région

Le sommet saoudo-qatari début juillet aurait scellé ce rapprochement avec les Frères, alors qu’il y a quelques mois Riyad faisait pression sur Doha pour fermer le bureau du Hamas et stopper son appui aux Frères musulmans d’Egypte. Selon l’agence de presse iranienne Fars, proche de la Garde révolutionnaire iranienne, citant des sources bien informées, il existe un accord entre le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie pour distribuer les rôles régionaux entre ces pays afin de préserver leurs intérêts dans la région et repousser « le danger iranien ».

Toujours selon l’agence iranienne, cette entente inclut le dossier syrien, la question des Frères musulmans en Egypte et le dossier palestinien, en particulier Gaza et la relation avec Hamas.

Selon le site israélien News One, l’Arabie saoudite met la pression sur l’Egypte afin qu’elle se réconcilie avec les Frères musulmans et le Hamas. « L’Arabie saoudite a besoin du soutien des Frères musulmans et du Hamas afin de renforcer un axe sunnite contre l’Iran après que ce dernier eut signé un accord nucléaire avec le groupe 5+1 ».

Parallèlement, le site égyptien Al-Bawaba, proche du régime égyptien et financé par les Emirats écrit que « l’Egypte et les Emirats arabes unis ont commencé à former une alliance pour contrer le rapprochement saoudien avec les Frères musulmans et le Hamas ». Dans un long rapport, écrit par son rédacteur en chef, Abdul Rahim Ali, connu pour être proche des Emirats arabes unis, on lit : « Le Caire et Abu-Dhabi ont exprimé à Riyad leur refus du rapprochement du Royaume avec le Hamas, et bien sûr avec les Frères en général, en Egypte ou ailleurs ».

Le journal ajoute que l’Egypte a informé tous les médiateurs qu’elle ne pouvait pas faire partie d’un projet qui inclut le Hamas et que le mouvement représentait une menace pour la « sécurité nationale arabe ».

Aux Emirats, l’adjoint au chef de la police de Dubaï, Dhahi Khalfan, a profité de son compte Twitter pour attaquer les politiques du roi Salman sur ce qu’il décrit comme « ouvertures positives à l’égard des islamistes » .

Mais rien ne laisse dire que la nouvelle position de l’Arabie saoudite envers les Frères se fasse à l’encontre du régime égyptien. Le régime de Salman a besoin des deux parties, les Frères demeurant des acteurs incontournables dans les dossiers yéminite et syrien notamment.

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