Un bâtiment diplomatique est pris pour cible pour la première fois depuis la chute des Frères.
(Photo : Adel Anis)
Samedi 11 juillet. Rue Al-Galaa, au centre du Caire, il est environ 6h30 lorsqu’une puissante détonation vient éventrer le calme matinal. Le consulat italien est touché de plein fouet. Mais les dommages, à première vue spectaculaires, ne concernent que des dépôts, des vestiaires et des locaux annexes au consulat. Une cinquantaine de bâtiments publics et d’habitations privées ont été touchés par l’explosion.
L’attentat, qui a fait 1 mort et 7 blessés dont deux policiers, alimente bien évidemment les interrogations. C’est la première fois qu’une mission diplomatique étrangère est visée par un attentat terroriste. L’attentat survient quelques jours à peine après l’attaque contre le convoi du procureur général, Hicham Barakat, et les attaques sanglantes contre les postes de contrôle de l’armée dans le Sinaï, qui ont fait 17 morts dans les rangs de l’armée et 100 parmi les terroristes.
Il se situe donc dans le contexte de l’escalade entre l’Etat et les groupes terroristes. « C’est un message destiné tant au gouvernement égyptien qu’à l’étranger », assure le politologue Yousri Al-Azabawy. « Les terroristes voulaient d’abord embarrasser le gouvernement égyptien et montrer que, désormais, tous les pays qui le soutiennent seront visés et pas seulement les forces de sécurité égyptiennes », analyse Al-Azabawy. L’autre objectif poursuivi par les groupes terroristes est de compromettre le projet du nouveau Canal de Suez, dont l’inauguration est prévue le 6 août prochain en présence d’un grand nombre de chefs d’Etat occidentaux et arabes. « Ces groupes veulent maintenir l’image d’un pays accablé par le terrorisme pour effrayer les investisseurs », affirme Al-Azabawy. L’Italie est l’un des pays européens qui ont soutenu le gouvernement égyptien dans sa lutte contre le terrorisme après la révolution du 30 juin. En décembre dernier, le président Abdel-Fattah Al-Sissi avait effectué une visite en Italie, et le premier ministre italien est venu récemment au Caire. Des contrats d’un montant de 6 milliards d’euros ont été conclus entre les deux pays. Samedi, après l’attentat, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a reçu un appel téléphonique du premier ministre italien, Matteo Renzi, qui a souligné « la solidarité de son pays avec l’Egypte dans sa lutte contre le terrorisme ». La France et l’Union européenne ont de même condamné l’attentat.
Bâtiment moins sécurisé
Qui a commis l’attentat et comment ? Selon l’enquête préliminaire, l’explosion a été provoquée par une bombe déposée par des inconnus sous une voiture et déclenchée à distance. Selon l’administration de la médecine légale, les matières explosives utilisées dans l’opération sont du même genre que celles utilisées dans l’attentat contre le procureur général, Hicham Barakat. La ruelle jouxtant le consulat avait été ouverte au public, il y a deux ans, et s’est transformée en parking, ce qui explique la facilité avec laquelle les terroristes ont accédé à ce bâtiment moins sécurisé que les autres missions diplomatiques qui se trouvent dans des quartiers résidentiels et qui sont sous haute surveillance.
Dans un communiqué publié sur Twitter, le groupe Etat Islamique (EI) a revendiqué l’attentat. Le groupe avait également revendiqué les attaques de ces dernières semaines, dont celle qui a coûté la vie au procureur général. Pourtant, Ahmad Ban, spécialiste des mouvements islamistes, écarte une implication directe de l’EI dont les opérations sont plus sophistiquées et plus meurtrières. « Cet attentat est l’oeuvre de groupes radicaux affiliés à l’EI comme Wilayet Sina et non pas l’EI lui-même. Une implication d’Ajnad Misr ou des Frères musulmans n’est pas non plus à exclure. L’aile dure de la confrérie a annoncé récemment qu’elle déclarait la guerre à l’Etat », affirme Ahmad Ban. Selon lui, cet attentat marque un changement tactique important dans la stratégie des groupes terroristes. « C’est un attentat spectaculaire qui ne visait pas à faire des victimes mais plutôt à avoir une résonance à l’étranger. Le fait que le même genre d’explosifs a été utilisé dans l’attentat contre le procureur et celui contre le consulat dévoile qu’il y a désormais des liens entre les petits groupuscules terroristes et les grands groupes comme l’EI et ladite Province du Sinaï. L’EI offre des armes et une assistance logistique. Il n’est pas exclu non plus que des services de renseignements étrangers soient impliqués dans ces opérations », prévient Ban. Il ajoute que les groupes terroristes dans le Sinaï sont actuellement sous pression car l’armée égyptienne mène une vaste opération contre leurs fiefs. C’est pourquoi ils cherchent à ouvrir de nouveaux fronts pour réduire la pression sur leurs combattants dans le Sinaï et épuiser les efforts de l’armée et des forces de sécurité.
Signal alarmant
Face à la multiplication des attentats terroristes, l’expert sécuritaire, Mahmoud Qatari, dénonce une « défaillance sécuritaire ». « Le consulat n’était absolument pas sécurisé alors que le pays est en guerre contre le terrorisme. L’utilisation de voitures piégées au centre-ville est un signal alarmant sur la dégradation de l’état de sécurité. Où étaient les forces de sécurité lorsque les terroristes ont transporté et déposé cette énorme quantité d’explosifs sous cette voiture ? Comment ces éléments terroristes qui ont commis cet attentat ont pu faire entrer au Caire des centaines de kilos d’explosifs ? Où sont les mesures de sécurité renforcées surtout autour des installations vitales et des missions diplomatiques ? Des questions auxquelles le ministère de l’Intérieur ne semble pas avoir de réponses », fustige Qatari. Et d’ajouter : « Il n’y a pas de stratégie pour tuer dans l’oeuf les crimes terroristes. A titre d’exemple, il suffit d’installer des caméras de surveillance dans les rues. Nous devons parallèlement avoir des forces d’intervention proches des lieux où ces caméras sont installées pour pouvoir agir rapidement en cas de danger. Dans les ruelles étroites, des policiers à moto doivent être présents pendant que les patrouilles sécurisent les places et les grandes rues », estime Qatari. Le premier ministre, Ibrahim Mahlab, et le ministre de l’Intérieur, le général Magdi Abdel-Ghaffar, qui se sont rendus samedi sur les lieux de l’attentat, ont souligné « la détermination de l’Etat à éradiquer le terrorisme ». Le bâtiment du consulat italien sera restauré aux frais du gouvernement égyptien.
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