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La provenance des milliards de Daech

Amira Samir, Lundi, 08 juin 2015

Dix mois après le début de la guerre contre Daech, le débat sur l'importance des fonds possédés par le groupe terroriste est relancé.

La provenance des milliards de Daech
La raffinerie de Baïji, la plus grande d'Iraq, est au coeur d'une intense bataille entre Daech et les forces iraqiennes. (Photos : AP)

Selon les estimations des services de renseignements américains, Daech est l’une des organisations terroristes les plus riches. Elle doit armer et verser une solde aux milliers de combattants locaux et étrangers qui ont rejoint ses rangs, et engrange jusqu’à 3 millions de dollars quotidiennement. Ce groupe terroriste verse également une pension aux familles des militants tués, et doit trouver les moyens d’administrer les territoires capturés. D’où proviennent donc les fonds de Daech qui atteignent, selon des experts, des milliards de dollars.

Au début, Daech a pu compter sur l’argent de riches sympathisants déterminés à soutenir les groupes radicaux islamistes qui combattent Bachar Al-Assad en Syrie. Une grande partie de l’engagement de Daech provient des pays du Golfe comme Qatar, Arabie saoudite, Koweït. « Oui, les pays du Golfe sont impliqués dans le financement de ce groupe terroriste. Mais, en principe, ces pays soutenaient les groupes djihadistes comme celui du front Al-Nosra, Jaïch Al-Islam, Ahrar Al-Cham et Liwa Al-Tawhid. Et certains militants de ces groupes armés ont rejoint le groupe terroriste. Cela explique les accusations occidentales à l’encontre des pays du Golfe de financer, indirectement, le terrorisme », souligne Nabil Abdel-Fattah, spécialiste des groupes islamistes et ancien directeur-adjoint du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Néanmoins, les donations du Golfe ne représentaient plus qu’un pourcentage infime du financement global de Daech.

Aujourd’hui, l’organisation tire ses ressources de diverses manières. En priorité, elle exploite le pétrole, puisqu’elle occupe une région très riche en or noir. « Présentement, le pétrole est apparemment la principale source de revenu de Daech, qui extrait du brut dans les champs de pétrole dont ce groupe terroriste s’est emparé, surtout en Iraq et en Syrie », explique Mamdouh Al-Cheikh, spécialiste des groupes islamistes.

Le groupe est désormais maître de la quasi-totalité des champs pétroliers et gaziers en Syrie. Selon Jean-Charles Bisard, spécialiste français du terrorisme, le groupe détient environ 60 % de la production pétrolière syrienne et moins de 10 % de la production iraqienne. Le groupe terroriste produit jusqu’à 40 000 barils par jour, ce qui peut déjà lui rapporter environ 1,2 million de dollars. Des entreprises étrangères implantées sur place affirment que la production pétrolière atteint jusqu’à 90 000 barils par jour, vendus à 30 dollars le baril. Soit un butin de 2,7 millions de dollars par jour. Au marché noir, le prix aurait baissé à 20 dollars. Daech exporte directement à bas prix au marché noir, notamment aux pays voisins. L’ambassadrice de l’Union Européenne (UE) en Iraq, Jana Hybaskova, a déclaré que des pays européens aussi achetaient du pétrole à Daech, sans donner la liste des pays concernés.

Autre business-model

Le pillage des banques et des installations militaires, en Iraq et en Syrie, est un autre business-model de ce mouvement. Des millions de dollars en liquide avec des équipements et des biens ont été volés par ses militants dans les banques et les installations militaires désertées pendant ses campagnes. « Le travail de collecte de fonds des groupes terroristes s’apparente à celui des organisations mafieuses. Un travail méthodique, bien organisé, qui repose sur l’intimidation et la violence », estime Mamdouh Al-Cheikh.

D’autre part, le commerce illégal d’antiquités alimente les caisses du groupe terroriste. En Syrie, il aurait empoché environ 36 millions de dollars en vendant des objets vieux de presque 8 000 ans. Daech possède également 40 % de la production nationale de blé et 53 % de la production d’orges en Iraq. « Les revenus annuels du groupe, évalués à 2,9 milliards de dollars, sont tirés pour l’essentiel de l’exploitation de ces ressources naturelles. Cela est très important, car Daech bénéficie de sources de financement diversifiées, ce qui n’est pas du tout le cas d’Al-Qaëda, bien plus dépendante de donations », indique Jean-Charles Bisard.

Le groupe gonfle aussi ses revenus par les impôts et les taxes auxquels sont soumises les populations (et même les entreprises) des territoires sous son contrôle. Les commerçants sont de même rackettés par l’organisation qui perçoit une taxe sur les transports de personnes et de marchandises dans les territoires occupés.

Le groupe recourt également à différents genres de trafics criminels. Il a récolté des millions de dollars grâce au trafic des êtres humains et aux rançons. Des témoins affirment que le groupe revendait des femmes et des enfants kidnappés à des marchands d’esclaves. Il a aussi obtenu des millions grâce aux rançons payés par les familles et les gouvernements de certains otages. Selon les déclarations de fonctionnaires américains sur la chaîne de télé NBC, certains gouvernements ont versé des rançons à sept chiffres aux ravisseurs pour libérer leurs ressortissants.

Le 15 août 2014, le Conseil de sécurité des Nations-Unies adopte à l’unanimité la résolution 2170 visant les activistes islamistes en Iraq et en Syrie, avec des menaces de sanctions contre ceux qui les financent ou leur fournissent des armes et recrues. Et malgré la guerre occidentale directe et indirecte contre le groupe terroriste, Daech a réussi à passer du financement classique d’une organisation terroriste à l’économie d’une entité étatique. Pour combattre ce groupe terroriste, il faut donc, en premier lieu, lutter contre les régimes autoritaires qui alimentent sa rhétorique. « Le terrorisme est devenu un moyen pour la récolte d’énormes fortunes. Les ressources de financement des mouvements terroristes se sont beaucoup développés au cours des dernières années », estime Mamdouh Al-Cheikh, qui prévoit la création d’un nouveau genre économique qualifié « Economie du terrorisme ».

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