Depuis la destitution de Morsi, les Frères sont dans une logique de confrontation.
(Photos : Reuters)
Conflit de générations ou simple distribution des rôles ? Tandis que l’un des dirigeants des Frères musulmans appelait sur le site Nafazat Misr à «
poursuivre la lutte pacifique contre le régime égyptien », d’autres communiqués sur Internet et sur les réseaux sociaux appelaient, au contraire, à «
la résistance et à la lutte armée ». Le 22 mai, Mahmoud Ghozlan, ancien porte-parole du bureau du guide au sein de la confrérie affirmait que «
le pacifisme fait partie des valeurs constantes des Frères musulmans » et c’est, selon lui, «
l’une des raisons qui ont permis à la confrérie de survivre depuis sa création il y a près de 90 ans ». Ghozlan, en exil depuis 2 ans, a appelé les membres de la confrérie à poursuivre «
leur lutte pacifique jusqu’au bout ». L’appel de Ghozlan a soulevé la colère des jeunes de la confrérie qui appellent, eux, sur les réseaux sociaux et sur Internet à «
la résistance armée ». Ainsi, dans un communiqué publié le 28 mai, 150 jeunes membres de la confrérie appellent à «
se venger des soldats, des officiers et des juges », vengeance qu’ils considèrent comme
« un devoir religieux ».
Depuis la destitution, le 3 juillet 2013, de l’ancien président islamiste, Mohamad Morsi, suite à des manifestations massives contre son régime, les Frères musulmans sont dans une logique de confrontation avec le pouvoir du président Abdel-Fattah Al-Sissi qu’ils considèrent comme « illégitime ». Au cours de la période qui a suivi la révolution du 30 juin, des affrontements violents avaient régulièrement lieu entre les forces de l’ordre et les militants de la confrérie, bien que les dirigeants de cette dernière aient affirmé à plusieurs reprises rejeter la violence. Les Frères ont également organisé des manifestations massives dans les universités. Face aux pressions sécuritaires, plusieurs dirigeants de la confrérie ont pris la fuite à l’étranger, notamment au Qatar et en Turquie, d’où ils tentent de mobiliser l’opinion publique en Egypte contre le nouveau pouvoir.
Distributions des rôles
Les appels contradictoires sur Internet et les réseaux sociaux laissent à penser qu’il y a une fracture au sein de la confrérie entre la vieille garde et la jeune génération. Mais pour l’analyste Sameh Eid, spécialiste des mouvements islamistes, il s’agit seulement d’une distribution des rôles et non pas d’une fracture. « Les anciens cadres de la confrérie soutiennent la violence mais ne le déclarent jamais publiquement. Cela a toujours été le cas depuis la fondation de la confrérie en 1928 », affirme Eid.
Il explique que les derniers ont témoigné d’une radicalisation de la confrérie. « Les signes de cette radicalisation sont très clairs. Le discours des Frères sur les chaînes satellites qui leur appartiennent comme Rabea et autres est devenu beaucoup plus fort et appelle désormais à tuer les soldats et les officiers de l’armée en Egypte. Un présentateur de la chaîne Rabea avait déclaré que les diplomates et les investisseurs en Egypte doivent quitter le pays sous peine d’être pourchassés », affirme Eid. Fait révélateur : la confrérie condamne les attaques terroristes qui ont lieu dans le Sinaï, mais seulement sur le site en anglais. En outre, plusieurs sites Internet appartenant à la confrérie appellent clairement au djihad et montrent régulièrement des images de stations de police en flammes, de pneus qui brûlent et de jeunes lançant des cocktails Molotov sur les forces de l’ordre. Après les récents verdicts contre Mohamad Morsi, un communiqué de la confrérie appelle à « une révolution qui coupe les têtes et les sépare des corps pourris » et à « exterminer les oppresseurs ». Les raisons de cette radicalisation sont multiples. Les Frères ont perdu le soutien populaire et la crédibilité politique à l’intérieur. Ils ont aussi échoué à mobiliser l’Occident contre le pouvoir.
Ahmad Ban, un autre spécialiste des mouvements islamistes, rejoint Sameh Eid dans son analyse : « Je ne crois pas que l’ancienne génération refuse totalement la violence, car cela permet de faire pression sur le régime en Egypte et éventuellement l’amener à faire des concessions à la confrérie. Mais les jeunes militants sont plus rigides et refusent tout compromis. Car ce sont eux qui sont en première ligne dans les affrontements avec les forces de l’ordre et subissent la prison », affirme Ahmad Ban. Il ajoute que si la nouvelle génération continue à utiliser la violence, le pays verra apparaître un courant violent au cours de la prochaine période. « Cette violence, si elle se confirme, risque de faire des victimes et des pertes humaines et matérielles ainsi qu’un recul du développement économique », conclut-il.
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