Dans ce climat de conflit autour du projet de Constitution, il est clair que l’Egypte est prise entre deux projets qui se disputent l’avenir du pays. Le premier appartient légitimement à la révolution et à ses objectifs : « Pain, liberté, justice sociale, dignité ». Ce projet appelle à instaurer un Etat civil démocratique, ni militaire, ni religieux. Un Etat basé sur le principe de la citoyenneté et garantissant les droits et les libertés politiques, économiques, sociales et culturelles de tous les citoyens. Un Etat qui réalise l’équité dans la distribution des richesses afin d’atteindre le développement escompté. C’est un projet d’Etat moderne, capable, par le biais de la science, de produire le savoir et de participer à l’évolution scientifique universelle dans tous les domaines.
Le second projet est l’Etat religieux lié intellectuellement et émmotionnellement à l’Etat salafiste et au retour au passé. Il faut dire que ce projet ne faisait pas partie des objectifs des millions d’Egyptiens descendus dans les rues du 25 janvier au 11 février 2011 pour renverser le régime de Hosni Moubarak. Ces millions ne sont pas descendus pour défendre la charia sans pour autant la négliger ou la sous-estimer, parce qu’ils croyaient dur comme fer qu’elle est parfaitement ancrée dans les esprits des Egyptiens. Elle n’a jamais été absente de la vie civile avant la révolution. La Constitution de 1971 stipulait dans son article 2 que les principes de la charia sont la source principale de la législation. Les foules sont descendues dans les rues pour renverser l’Etat de la corruption et du despotisme, et mettre un terme au monopole du pouvoir et des richesses afin d’instaurer un Etat qui respecte la dignité des Egyptiens. Le projet de l’Etat religieux n’appartient donc pas à la révolution. Il reflète le désengagement du président Mohamad Morsi vis-à-vis d’un document qu’il a signé le 22 juin 2012, deux jours avant l’annonce des résultats de la présidentielle. Selon ce document, l’Etat est civil et démocratique. Il n’est ni religieux, ni militaire. Le document adopte l’idée du partenariat national en tant que principe du nouveau pouvoir. L’objectif était de prévenir toute tentative de la part de telle ou telle faction politique de s’accaparer le pouvoir. Ce conflit entre les deux projets domine la scène politique et il semble qu’il ne sera pas tranché par le référendum sur la Constitution. Ce référendum a prouvé une chose : les Egyptiens sont partagés entre le Oui et le Non. Cela signifie que la Constitution n’a pas de légitimité, car il n’y a pas de consensus national. La Constitution n’est pas un document sur la charia.
C’est un contrat politico-social entre les citoyens d’une même patrie. Et tout contrat est conditionné par l’accord de toutes les parties impliquées. Un contrat qui organise la relation entre le gouverneur et les gouvernés, et qui détermine le moyen de distribuer équitablement le pouvoir et les richesses. Donc, un tel contrat n’est pas soumis aux règles traditionnelles du vote majoritaire, mais doit faire l’objet d’une entente nationale. Or, cette condition est absente du projet actuel de la Constitution. Il existe d’autres facteurs qui réduisent la légitimité de ce projet. Le texte n’a pas été publié dans le Journal officiel. Il n’a pas été imprimé avec le bulletin de vote pour que l’électeur ait accès à un exemplaire du projet avant de donner son avis. De plus, la supervision des juges était absente, puisque 90 % de ces derniers ont annoncé par l’intermédiaire de leur assemblée générale extraordinaire leur refus de superviser le référendum. Le conseiller Zaghloul Al-Balchi, président de la commission électorale, n’a pas annoncé les noms des responsables des comités électoraux. Et ce, en plus de l’absence d’une surveillance populaire réelle du vote, du dépouillement et de l’annonce des résultats. Les garanties d’une référendum transparent étaient absentes, d’autant plus que les personnes qui ont supervisé la première phase étaient ou des juges partisans du régime ou des gens qui n’appartiennent pas au corps judiciaire. On est devant une Constitution dont la légitimité n’est pas assurée, commençant par la formation de l’assemblée chargée de sa rédaction, aux divisions au sein de cette assemblée, à la volonté du président d’organiser ce référendum en arrivant aux dates prévues sans aucun changement en dépit du désaccord de l’opposition. La plus grande catastrophe concerne l’organisation du référendum sur 2 étapes. Un fait sans précédent.Il est probable que le conflit s’aggravera entre les deux projets.
Et il y a un danger que les deux camps aient recours à la violence pour imposer l’un des deux projets. La responsabilité du président est évidente. Il se trouve face à deux choix. La responsabilité constitutionnelle lui impose de protéger le pays. Il peut lancer une initiative audacieuse en proposant un projet politique d’entente nationale basé sur le partenariat national et la confiance entre tous les courants. Un projet qui se baserait sur les objectifs de la révolution et les espoirs du peuple. Sans un projet pareil, personne ne pourra arrêter le dérapage. Et pour qu’un projet d’entente nationale aboutisse, il faut reconnaître que le projet de Constitution est provisoire. Il sera remplacé le plus tôt possible par un autre texte jouissant d’un consensus national.
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