Le départ des troupes de l'Otan n 2014 risque de plonger le pays dans l'abîme de l'insécurité. (Photo: Reuters)
Dans une tentative d’empêcher une guerre civile en Afghanistan après le départ des troupes de l’Otan fin 2014, une réunion regroupant les principaux protagonistes afghans a eu lieu cette semaine au nord de la France. Il s’agit de la troisième rencontre de ce genre en un an et demi après celles de novembre 2011 et juin 2012. Pourtant, cette dernière réunion organisée sous le titre « Les Afghans parlent aux Afghans » revêtait une importance particulière car, pour la première fois, les talibans y participaient, avec deux représentants dont Shahabuddin Dilawar, un haut responsable des insurgés qui figure sur la liste des personnes faisant l’objet de sanctions de l’Onu. Encourageant ce dialogue inter-afghan, le Conseil de sécurité avait adapté, la semaine dernière, son régime de sanctions contre les talibans, afin de permettre à certains d’entre eux de voyager et de participer à ces discussions. « Le niveau des représentants envoyés par les talibans montre qu’ils prennent au sérieux ces discussions. Ils ont envoyé leur ancien ambassadeur en Arabie saoudite, cela prouve que ces rencontres sont très importantes pour eux.
Ils estiment que c’est une bonne opportunité pour eux d’expliquer leur vision du futur », juge Waheed Mujda, analyste proche des talibans. Outre les talibans, une vingtaine d’Afghans représentant les principales composantes du spectre politique et armé afghan ont participé à ces entretiens : représentants du gouvernement du président Hamid Karzaï, de l’opposition politique, et de Hezbe-islami, deuxième composante des insurgés afghans. A ne pas oublier la présence du groupe de l’Alliance du Nord du chef défunt, Ahmed Shah Massoud, assassiné en 2001 par Al-Qaëda, mais dont le mouvement a été ressuscité par son frère Ahmed Zia Massoud l’année dernière. Ennemie jurée des talibans, l’Alliance du Nord a été ressuscitée pour profiter du retrait de l’Otan et empêcher une reprise du pouvoir par les talibans après 2014. En sus de cette représentation afghane, une demi-douzaine d’experts français et de représentants du Quai d’Orsay ont également assisté au séminaire, affirmant qu’il ne s’agit en aucun cas de « négociations à proprement parler ». « Le but de l’exercice est plutôt de laisser s’exprimer les uns et les autres, qu’ils s’écoutent sans pression afin de sauver l’avenir de leur pays », a déclaré Camille Grand, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique, un institut créé à l’initiative de cette réunion avec l’appui du ministère français des Affaires étrangères.
Feuille de route pour l’après-2015
Lors de la réunion, les talibans ont exigé un changement de la Constitution afghane, afin que celle-ci devienne conforme aux principes de l’islam. « L’actuelle Constitution afghane n’a pas de valeur pour nous parce qu’elle a été rédigée à l’ombre des envahisseurs de la coalition de l’Otan », ont affirmé les talibans. Outre les débats sur la Constitution, pour la première fois, les talibans ont discuté, lors de la réunion, d’une feuille de route élaborée par le gouvernement afghan pour la paix après 2015. Les autorités afghanes ont toujours souhaité intégrer les talibans au pouvoir, dans l’espoir d’assurer la stabilité du pays après 2014. Or, la main tendue par Karzaï a toujours été rejetée par les talibans qui s’estiment en position de force et ne veulent pas parler au gouvernement afghan, mais préfèrent avoir des pourparlers directs avec les Etats-Unis.
Cette impasse alimente les craintes d’une possible reprise du pouvoir par les armes des talibans après 2014 dans un pays faible et ravagé par des décennies de guerre. En sus de cette intégration souhaitée des rebelles au pouvoir, la feuille de route vise à s’assurer de la « collaboration » du Pakistan, accusé par Kaboul d’héberger sur son territoire de hauts responsables et des talibans afghans, dans le processus de paix. Le Pakistan, considéré comme un acteur-clé en raison de ses liens avec des factions talibanes, tient à jouer un rôle dans la stabilisation de son voisin. La troisième étape de cette feuille de route propose un accord, dans la deuxième moitié de 2013, sur un cessez-le-feu, ainsi que la transformation des talibans et d’autres groupes armés en partis politiques. Comme dernière étape, le plan vise à mettre un terme définitif au conflit entre les autorités afghanes et les insurgés pendant la première moitié de 2014, afin de s’assurer de la sécurité du pays. Selon les experts, cette feuille de route est « trop ambitieuse, trop idéaliste et trop optimiste pour le moment ».
Preuve : aucun résultat tangible n’en est sorti lors de la réunion. Loin de sombrer dans le pessimisme, ce genre de feuille de route ou de négociations ne pourrait pas liquider, du jour au soir, les différends chroniques qui opposent les frères ennemis afghans. Or, même si aucun résultat tangible n’est à attendre de ce dialogue, la poursuite même des discussions est importante dans la mesure qu’elle pourrait éviter « le pire des scénarios ».
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