Les dernières conquêtes militaires de l’Etat Islamique (EI) en Syrie et en Iraq montrent les limites de la stratégie internationale mise en place jusqu’ici pour contrer l’avancée du groupe terroriste. L’EI vient d’occuper la ville de Ramadi (110 km de Bagdad). Selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, basé à Londres, l’EI occupe désormais plus de 50 % du territoire syrien, y compris la majorité des gisements pétroliers et gaziers, qui lui rapportent des centaines de milliers de dollars par jour.
Loin d’être une force invincible, l’EI profite essentiellement des faiblesses des parties adverses. Alors que l’armée syrienne, épuisée et affaiblie par quatre ans de guerre civile, se trouve tiraillée entre plusieurs fronts internes et incapable de ce fait de tenir tête à l’EI, l’armée iraqienne, elle, n’arrive pas, plus d’une décennie après l’invasion américaine, à se remettre sur pieds. Les forces iraqiennes dépêchées sur le front n’ont pas le moral face à des djihadistes bien déterminés. Elles souffrent de la corruption des officiers supérieurs, du manque de matériels et d’uniformes. Ceci se double d’une politique sectaire dans la lutte contre l’EI, qui réduit son efficacité face aux militants islamistes. En effet, l’essentiel de l’effort militaire anti-EI est mené par des milices chiites, dites de mobilisation populaire, encadrées et armées par l’Iran. Or, l’EI se répand dans les zones à majorité sunnite, celles-là mêmes qui sont très hostiles à toute extension de l’influence chiite, de surcroît soutenue par Téhéran.
Du coup, même si certaines tribus sunnites des régions conquises par l’EI soutiennent Bagdad, plusieurs autres se rangent du côté des militants islamistes, malgré leurs méfaits, car elles ne veulent pas d’une domination chiite dans leurs régions. Les milices chiites, qui avaient repris Tikrit à l’EI en avril dernier, étaient accusées à l’occasion d’avoir commis des atrocités contre la population sunnite de la ville natale de Saddam Hussein. Elles sont issues des « équipes de la mort », accusées d’avoir tué des dizaines de milliers de sunnites lors de la guerre civile iraqienne en 2006-2007. Par ailleurs, les promesses faites par le nouveau premier ministre, le chiite modéré Haïdar Al-Abadi, d’engager une politique plus inclusive en direction de la communauté sunnite, notamment sur le plan de son intégration dans les forces de sécurité, sont restées lettre morte, en raison de l’opposition de figures chiites radicales, comme l’ancien chef du gouvernement Nouri Al-Maliki, contraint de démissionner mi-août, en raison de sa politique sectaire en faveur de la majorité chiite, aliénant les sunnites et facilitant la tâche des extrémistes de l’EI.
La politique des Etats-Unis contre l’EI en Iraq et en Syrie n’arrange pas non plus les choses. Elle consiste à mener des frappes aériennes, doublées de formation militaire à l’opposition syrienne et aux forces iraqiennes. Or, vu la faiblesse de ces deux éléments, les raids aériens ne suffisent pas. Une présence sur le terrain devient alors nécessaire pour venir à bout de l’EI. Mais le président Barack Obama refuse toute implication terrestre depuis le retrait de l’armée américaine d’Iraq, fin 2011, en dépit des recommandations de ses commandants militaires. Ceux-ci s’accordent à dire qu’une large offensive terrestre est indispensable pour battre en brèche la stratégie militaire de l’EI.
Dans ce contexte, c’est l’Iran qui, profitant de ses liens étroits avec Bagdad et Damas, tend à remplir le vide sécuritaire créé par la faiblesse des forces iraqiennes et syriennes et l’inaction des Etats-Unis et de la communauté internationale, pour faire avancer ses objectifs stratégiques et politiques dans la région, au risque d’exacerber une tension déjà vive et d’apporter de l’eau au moulin des djihadistes de l’EI.
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