Al-Ahram Hebdo, Voyages | Une affaire qui bouche l'horizon
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 Semaine du 19 au 25 juillet 2006, numéro 619

 

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Voyages

Patrimoine . Un grand projet urbain, tout près de l'enceinte de la Citadelle, menace de bloquer l'un des plus beaux panoramas de l'Egypte. Ses promoteurs s'en défendent et l'affaire reste sur le tapis. Etat des lieux.

Une affaire qui bouche l'horizon

Un fossé de 25 m de profondeur, un immense immeuble de cinq étages se trouvent sur l’autoroute Salah Salem, juste en face de la Citadelle de Saladin. Ce n'est en fait que les premiers d’un grand projet planifié par l'homme d’affaires Mohamad Nosseir. Ce projet devra être effectué en deux étapes. « La première comprend quatre grands bâtiments essentiels : un sera consacré à la Bourse du Caire, le deuxième servira de centre commercial, le troisième de bâtiment administratif et le quatrième de tour résidentielle. La hauteur de chaque édifice atteindra une quinzaine d'étages. Quant à la seconde étape, elle prévoit quatre autres tours dont la hauteur de chacune atteindra les 120 mètres », affirme Mohamad Al-Kahlawi, président de l’Association des archéologues arabes, qui voit dans ce projet un grand danger pour les lieux et ne cesse de protester vigoureusement contre un tel aménagement.

Une prise de position qui ne se limite pas aux spécialistes des monuments islamiques, mais qui est partagée par d'autres experts, notamment les géologues. A cet égard, les archéologues ont demandé du gouverneur du Caire d'arrêter ce projet sur-le-champ « afin de préserver notre patrimoine islamique », affirme le professeur Mohamad Al-Kahlawi.

Dangers infinis

Selon Al-Kahlawi, le site n'est pas une simple citadelle, c'est plutôt « une cité archéologique, un complexe de défense, le plus ancien du monde islamique ». Ce complexe renferme en fait les deux Citadelles de Saladin et de Mohamad Ali, cette dernière servant toujours de caserne. Toutes les deux sont liées par un chemin ascendant. Déjà avec le début des constructions, les dégâts ont commencé à se manifester : le complexe archéologique a subi une destruction partielle par les mains des ouvriers. Ces derniers ont détruit beaucoup de pierres du chemin montant pour y construire les nouveaux édifices qui vont séparer les deux citadelles. L'installation des tours, dont la hauteur prévue dépassera le niveau des deux monuments historiques, va les cacher déformant ainsi l'une des plus belles vues panoramiques du Caire. Al-Kahlawi rappelle le rôle primordial qu'ont joué ces citadelles. « Ce lieu a vu les plus importantes planifications militaires et politiques qui ont modifié la carte du monde islamique », renchérit-il.

Pour Mohamad Nosseir, l'affaire est complètement différente. Et ce, parce que le projet sera installé hors de l'enceinte de la Citadelle, surtout que la hauteur des bâtiments ne va pas boucher le panorama de la Citadelle. La cité archéologique comprend le cimetière des Mamelouks, les tombes de Sidi-Galal et Galaleddine Al-Siouty, dont chacune inclut 70 monuments antiques. Et ce, en plus des monuments islamiques des alentours que renferment les quartiers de Qalaa et Sayeda Aïcha. Prenons à titre d'exemple la tombe Soliman Agha Al-Habachi, la coupole de Omar Ibn Al-Fared, celle d'Iwan Al-Monoufi, les complexes de Qaïtbay et Farag Ibn Barqouq.

Tous ces monuments sont menacés « d'être noyés dans les eaux usées qui seront évacuées des tours à construire », explique Adel Chéhata, expert d'architecture islamique. Ce dernier fait rappeler le cimetière de Sayeda Aïcha, déjà noyé suite aux eaux de vidange provenant de la cité résidentielle construite au sommet du plateau. Avis partagé par le géologue Achraf Wali, qui assure que le plateau de Moqattam, qui s'étale du Vieux-Caire jusqu'à Wadi Hof, est fragile. « L'eau de vidange s'infiltre facilement dans le calcaire, menaçant non seulement les tombes, mais encore les anciennes mosquées qui se trouvent dans les alentours », explique Wali. D'ailleurs, selon Achraf Wali, la création de nouvelles constructions modernes à côté de ceux style islamique déforme l'harmonie artistique.

Insistance destructive

L'idée de ce projet n'est pas nouvelle, puisque Nosseir a acheté un terrain depuis les années 1960. « J'ai exploité une partie pour construire un centre des services automobiles de l'entreprise Renault, dressé jusqu'aujourd'hui », explique-t-il. Vers la fin des années 1990, Nosseir avait présenté ce projet aux responsables du Conseil Suprême des Antiquités (CSA), mais il avait été refusé. Persistant, il a présenté le projet au gouvernorat du Caire qui lui a donné, lui, l'autorisation. Et c'est ainsi que l'entreprise a commencé le travail sur le chantier. Quant au CSA, il n'a découvert ces constructions qu'en février dernier, à la suite de quoi il a entamé ses procédures. Selon Abdallah Kamel, directeur du secteur des antiquités islamiques et coptes au sein du CSA, « l'autorisation du gouvernorat du Caire n'a aucune valeur. Seul le CSA a le droit d'accorder de tels permis ». A son tour, le CSA a donné l’ordre aux inspecteurs du site d’arrêter le travail jusqu'à la fin des procédures législatives nécessaires.

Cela dit, l'affaire constitue un imbroglio juridique. D'ailleurs, les responsables du projet assurent avoir sous les mains tous les documents qui prouvent l'obtention de l'autorisation du comité permanent du CSA en 2004 pour réaliser ce projet. « Les travaux sur le chantier sont tous légaux », affirme Nosseir. Selon lui, les constructions vont respecter le style islamique pour préserver l'harmonie du site historique. En même temps, ce projet va promouvoir le tourisme au Caire tout en assurant plusieurs professions aux jeunes. Quant au secrétaire général de CSA, Zahi Hawas, il assure qu'il n'accepte aucune violation de la vue panoramique de la citadelle. « La citadelle, c'est la quatrième pyramide d'Egypte. Personne ne peut la toucher », a assuré Hawas. Cependant, cela ne l'a pas empêché de modérer ses transports. Pour lui, il ne faudrait pas arrêter non plus un projet qui augmenterait les revenus du pays. Pour régler toute l'affaire, il faut donner l'occasion au comité de réexaminer le dossier minutieusement pour qu'il soit conforme à tous les règlements.

Parallèlement à l'équipe égyptienne, deux experts de l'Unesco ont visité le site la semaine dernière tout en ayant les documents nécessaires afin d'évaluer le projet. Ceux-ci devraient dans les semaines à venir présenter un rapport avec leurs recommandations au CSA. Des rumeurs courent partout dans les coulisses du CSA que l'Unesco va accepter le projet, mais en édictant de sévères restrictions. Cependant, « le dernier mot sera aux autorités égyptiennes », conclut Kamel.

Doaa Elhami

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Le dernier mot est à l’Unesco

Une équipe de l’Unesco vient de présenter un rapport sur l’affaire Moqattam suite à une visite du chantier. Les experts assurent qu’il est difficile de renoncer à un projet déjà commencé. Mais ce dernier doit être soumis, en effet, à une série de restrictions sévères pour l’entamer. Ces limites concernent la hauteur des bâtiments, leur volume et les matériaux de construction afin de préserver le panorama du site archéologique. Pour sa part, Zahi Hawas, le secrétaire général du Conseil suprême des antiquités, ajoute que les responsables du projet et le gouverneur du Caire doivent respecter les conditions édictées par l’Unesco et acceptées par les membres du comité permanent.

Ce sont :

1) Le centre dont la hauteur atteint maintenant les 59,55 mètres au-dessus du niveau de l’autoroute ne doit pas être plus haut que la Citadelle de manière à ne pas provoquer un choc visuel.

2) Le design architectural du centre implique l’édification d’une énorme masse de 8 tours liées. Or, celles-ci doivent être séparées et divisées en édifices de différents volumes et formes convenant au style architectural de la Citadelle et au panorama du site.

3) Le verre et le fer sont entrés comme matériaux de construction dans le projet. Or, cela est contraire au paysage initial. Il faut en fait modifier ces matériaux et respecter encore la couleur marron.

Ce rapport a été présenté au ministre de la Culture et le comité permanent des antiquités islamiques et coptes qui l’ont approuvé. Ceux-ci ont décidé d’envoyer le rapport aux responsables du projet et au gouverneur du Caire. De son côté, Hawas affirme que ces restrictions sont obligatoires. Il faut alors modifier le design du centre afin de respecter ces conditions.

 

 




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