Un
fossé de 25 m de profondeur, un immense immeuble de cinq étages
se trouvent sur l’autoroute Salah Salem, juste en face de la
Citadelle de Saladin. Ce n'est en fait que les premiers d’un
grand projet planifié par l'homme d’affaires Mohamad Nosseir. Ce
projet devra être effectué en deux étapes. « La première
comprend quatre grands bâtiments essentiels : un sera consacré à
la Bourse du Caire, le deuxième servira de centre commercial, le
troisième de bâtiment administratif et le quatrième de tour
résidentielle. La hauteur de chaque édifice atteindra une
quinzaine d'étages. Quant à la seconde étape, elle prévoit
quatre autres tours dont la hauteur de chacune atteindra les 120
mètres », affirme Mohamad Al-Kahlawi, président de l’Association
des archéologues arabes, qui voit dans ce projet un grand danger
pour les lieux et ne cesse de protester vigoureusement contre un
tel aménagement.
Une prise de position qui ne se limite pas
aux spécialistes des monuments islamiques, mais qui est partagée
par d'autres experts, notamment les géologues. A cet égard, les
archéologues ont demandé du gouverneur du Caire d'arrêter ce
projet sur-le-champ « afin de préserver notre patrimoine
islamique », affirme le professeur Mohamad Al-Kahlawi.
Dangers infinis
Selon
Al-Kahlawi, le site n'est pas une simple citadelle, c'est plutôt
« une cité archéologique, un complexe de défense, le plus ancien
du monde islamique ». Ce complexe renferme en fait les deux
Citadelles de Saladin et de Mohamad Ali, cette dernière servant
toujours de caserne. Toutes les deux sont liées par un chemin
ascendant. Déjà avec le début des constructions, les dégâts ont
commencé à se manifester : le complexe archéologique a subi une
destruction partielle par les mains des ouvriers. Ces derniers
ont détruit beaucoup de pierres du chemin montant pour y
construire les nouveaux édifices qui vont séparer les deux
citadelles. L'installation des tours, dont la hauteur prévue
dépassera le niveau des deux monuments historiques, va les
cacher déformant ainsi l'une des plus belles vues panoramiques
du Caire. Al-Kahlawi rappelle le rôle primordial qu'ont joué ces
citadelles. « Ce lieu a vu les plus importantes planifications
militaires et politiques qui ont modifié la carte du monde
islamique », renchérit-il.
Pour Mohamad Nosseir, l'affaire est
complètement différente. Et ce, parce que le projet sera
installé hors de l'enceinte de la Citadelle, surtout que la
hauteur des bâtiments ne va pas boucher le panorama de la
Citadelle. La cité archéologique comprend le cimetière des
Mamelouks, les tombes de Sidi-Galal et Galaleddine Al-Siouty,
dont chacune inclut 70 monuments antiques. Et ce, en plus des
monuments islamiques des alentours que renferment les quartiers
de Qalaa et Sayeda Aïcha. Prenons à titre d'exemple la tombe
Soliman Agha Al-Habachi, la coupole de Omar Ibn Al-Fared, celle
d'Iwan Al-Monoufi, les complexes de Qaïtbay et Farag Ibn Barqouq.
Tous ces monuments sont menacés « d'être
noyés dans les eaux usées qui seront évacuées des tours à
construire », explique Adel Chéhata, expert d'architecture
islamique. Ce dernier fait rappeler le cimetière de Sayeda Aïcha,
déjà noyé suite aux eaux de vidange provenant de la cité
résidentielle construite au sommet du plateau. Avis partagé par
le géologue Achraf Wali, qui assure que le plateau de Moqattam,
qui s'étale du Vieux-Caire jusqu'à Wadi Hof, est fragile. «
L'eau de vidange s'infiltre facilement dans le calcaire,
menaçant non seulement les tombes, mais encore les anciennes
mosquées qui se trouvent dans les alentours », explique Wali.
D'ailleurs, selon Achraf Wali, la création de nouvelles
constructions modernes à côté de ceux style islamique déforme
l'harmonie artistique.
Insistance destructive
L'idée de ce projet n'est pas nouvelle,
puisque Nosseir a acheté un terrain depuis les années 1960. «
J'ai exploité une partie pour construire un centre des services
automobiles de l'entreprise Renault, dressé jusqu'aujourd'hui »,
explique-t-il. Vers la fin des années 1990, Nosseir avait
présenté ce projet aux responsables du Conseil Suprême des
Antiquités (CSA), mais il avait été refusé. Persistant, il a
présenté le projet au gouvernorat du Caire qui lui a donné, lui,
l'autorisation. Et c'est ainsi que l'entreprise a commencé le
travail sur le chantier. Quant au CSA, il n'a découvert ces
constructions qu'en février dernier, à la suite de quoi il a
entamé ses procédures. Selon Abdallah Kamel, directeur du
secteur des antiquités islamiques et coptes au sein du CSA, «
l'autorisation du gouvernorat du Caire n'a aucune valeur. Seul
le CSA a le droit d'accorder de tels permis ». A son tour, le
CSA a donné l’ordre aux inspecteurs du site d’arrêter le travail
jusqu'à la fin des procédures législatives nécessaires.
Cela dit, l'affaire constitue un imbroglio
juridique. D'ailleurs, les responsables du projet assurent avoir
sous les mains tous les documents qui prouvent l'obtention de
l'autorisation du comité permanent du CSA en 2004 pour réaliser
ce projet. « Les travaux sur le chantier sont tous légaux »,
affirme Nosseir. Selon lui, les constructions vont respecter le
style islamique pour préserver l'harmonie du site historique. En
même temps, ce projet va promouvoir le tourisme au Caire tout en
assurant plusieurs professions aux jeunes. Quant au secrétaire
général de CSA, Zahi Hawas, il assure qu'il n'accepte aucune
violation de la vue panoramique de la citadelle. « La citadelle,
c'est la quatrième pyramide d'Egypte. Personne ne peut la
toucher », a assuré Hawas. Cependant, cela ne l'a pas empêché de
modérer ses transports. Pour lui, il ne faudrait pas arrêter non
plus un projet qui augmenterait les revenus du pays. Pour régler
toute l'affaire, il faut donner l'occasion au comité de
réexaminer le dossier minutieusement pour qu'il soit conforme à
tous les règlements.
Parallèlement à l'équipe égyptienne, deux
experts de l'Unesco ont visité le site la semaine dernière tout
en ayant les documents nécessaires afin d'évaluer le projet.
Ceux-ci devraient dans les semaines à venir présenter un rapport
avec leurs recommandations au CSA. Des rumeurs courent partout
dans les coulisses du CSA que l'Unesco va accepter le projet,
mais en édictant de sévères restrictions. Cependant, « le
dernier mot sera aux autorités égyptiennes », conclut Kamel.
Doaa Elhami