Al-Ahram Hebdo, Visages | Azza Heykal, L'intransigeance généreuse
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 19 au 25 juillet 2006, numéro 619

 

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Visages

Azza Heykal, professeur de lettres, journaliste et écrivaine, vient de publier La Libération de l'homme dans lequel elle aborde l'ambivalence de l'homme acquis aux idées intégristes réactionnaires. Un combat pour la femme qu'elle mène depuis longtemps avec ardeur.

L'intransigeance généreuse

Vive, sensible, on est d'abord saisi chez Azza par une voix. Une voix qui parle. D'habitude, les gens font du bruit avec des mots sans savoir quoi dire. De quoi parle cette dame brune et fine ? Elle revendique premièrement son statut de femme poète. Faut-il y voir l'expression d'une prouesse ? Quelque chose que l'on clame haut et fort pour s'en persuader ? Non. « Accumuler les petits faits d'armes, qui constituent la singularité de la personne, c'est proclamer qu'on est vivant », avoue Azza. Armée de son ancrage dans son identité et son art poétique, elle défie ce qu'elle appelle « une décadence imminente ». De nature spéculative, elle se trouve sensiblement entraînée à méditer sur une question préoccupante : l'infiltration des institutions et instances étatiques par les idées intégristes extrémistes et leur influence flagrante sur la pensée des intellectuels et des jeunes. Ce n'est point d'aujourd'hui qu'il s'agit, ni même d'hier. Il faut remonter d'une vingtaine d'années le cours du temps. Vers l'époque de l'assassinat de Sadate, la montée en puissance du courant islamiste et les conflits où s'engagèrent des forces diverses ne furent pas de médiocre importance. « J'ai ressenti ces événements non comme des accidents ou des phénomènes limités, mais comme des symptômes ou des prémices, comme des faits dont la signification dépassait de beaucoup l'importance intrinsèque et la portée apparente », explique Azza. Et d'ajouter : « Du coup, j'ai perçu confusément l'existence d'une chose qui pourrait être troublée, atteinte et inquiétée par de tels événements : le statut de la femme ».

Elle découvre que les hommes problématisent le statut de la femme, en y réduisant tous les problèmes. Ils en font l'équivalent objectif de la répression politique dont ils souffrent. Toute politique devrait être ainsi ramenée à cette généralisation dans une enceinte bornée. Ici, commence le conflit qui va se développer chaque jour entre les habitudes, les ambitions, les affections contractées au cours de l'histoire antérieure, fortifiées par l'hérédité, par la culture et les intérêts ou droits acquis ou perdus, et le dénigrement de la femme. Cette tendance tend, d'autant plus, à s'organiser et à s'équiper sur le modèle de la pensée réactionnaire. Que peut faire l'esprit illuminé pour enrayer cet extrémisme ? Telles sont les questions profondes qui ont sollicité la pensée de Azza et lui ont inspiré son ouvrage, La Libération de l'homme. Avec son style mélangeant le ton confidentiel et la volonté de surprendre, explications didactiques et expressions familières, références littéraires et hommages aux écrivains éclairés tels Mohamad Abdou, Réfaa Al-Tahtawi, Mohamad Beltagui et Ahmad Heykal, elle présente son ouvrage comme une tentative d'appréhender la mutation en cours perçue comme « une phase de décadence », annonçant l'arrivée d'incompréhension et d'une nouvelle génération de barbaries. D'où le besoin d'y réfléchir. Son livre donne lieu à un discours nécessairement fragile, à l'origine d'une pensée en devenir et qui « ne peut revenir en arrière ». « Je cherche à affranchir l'homme de la morale moralisatrice face à une montée en puissance des nostalgiques de l'ordre moral et des tenants de l'extrémisme religieux, toujours prompts à sortir des réserves de la mémoire la machine à censurer la liberté de la femme. L'écartant ainsi de la vie sociale et laborieuse et l'enfermant derrière le voile dans l'ombre de l'homme », proclame Azza. Et de poursuivre : « Or, entre l'homme et la femme, la religion ne creuse pas de particularismes. Ils sont égaux en droits et devoirs devant Dieu. D'où la nécessité de leur entente et l'harmonisation de leurs relations ». Elle décortique les rouages d'une société masculine, qui s'accommode de l'injustice et des droits bafoués des opprimés au lieu de dénoncer les vices et de corriger les tares. C'est par sa lumière et sa charge d'espoir que son livre frappe.

Parallèlement à un parcours universitaire brillant de professeur de lettres anglaises et arabes aux Universités de Aïn-Chams et du Caire, et enfin à l'Académie arabe des sciences, de la technologie et du transport maritime, elle travaille à approfondir son don de l'écriture. Elle le doit à une enfance heureuse, où elle grandit sur un terreau favorable. Son père, le Dr Ahmad Heykal, ancien doyen de la faculté des sciences de l'Université de Aïn-Chams, et ministre de la Culture dans les années 1980, l'a initiée à la lecture des œuvres des éminents écrivains tels Taha Hussein, Al-Aqqad, Tewfiq Al-Hakim, etc. Elle évoque dès lors les pouvoirs de la littérature et de la lecture. « Lire, c'est s'assujettir à l'autre, se soumettre à ce qu'il a envie de dire entre une virgule et un point. J'ai toujours fait cela avec plaisir, avec exactitude, avec une sorte de violence, aussi, qui contraint à vous débarrasser d'une part de vous-même ». Son père qui accueillait dans sa maison les célébrités de l'époque, Abdel-Halim Hafez, Morsi Gamil Aziz, Farouq Choucha, etc., l'a habituée à grandir en fréquentant ce monde de privilégiés.

Cependant, après une agrégation en lettres anglaises à l'Université de Aïn-Chams, elle est affectée au poste de maître de conférences à la faculté de pédagogie du Fayoum, où elle est confrontée à une situation délicate. Dans la salle des conférences, elle découvre que les filles et les garçons sont assis dans des rangées séparées. Difficile dans ce cas d'entretenir des étudiants acquis aux idées intégristes des infimes détails osés d'un roman tel Sons and Lovers de H.D. Lawrence, qui aborde le complexe d'Œdipe. Un étudiant écrit à Azza : « Vous vous parfumez et vous portez une tenue moderne, vous n'êtes donc pas une bonne croyante ». Mais plutôt que de se laisser gagner par l'inquiétude de voir s'enraciner l'esprit réactionnaire chez les jeunes, elle s'efforce de dépasser ce simple constat en se consacrant à la préparation de son magistère sur La Nouvelle chez H.E. Bates et sa prééminence dans l'ère moderne comme substitut au roman et à la poésie et comme modèle proche de l'écriture journalistique.

Elle épouse, par ailleurs, l'homme qu'elle aime, pensant que l'amour la soulagerait de ses relations complexes avec ses étudiants du Fayoum. Mais, lui aussi, jalousant sa réussite professionnelle, la renvoie à sa solitude de femme libérée. Partie d'un nœud, la discrimination de la femme par l'homme, « vous savez ce nœud dont parle Faulkner, dans la préface de son livre Bruit et fureur », elle décide de s'y attaquer de plusieurs côtés, avec une grande liberté. Alors, elle se met à écrire, prenant « les choses trop à cœur ». Ainsi, elle tient tête au monde entier comme toutes ces femmes qui peuplent ses contes, infatigables dans leur quête d'amour et de bonheur. Convaincue qu'elle n'est pas seule dans ce voyage vers elle-même. Son premier recueil de poèmes, Naam inni emraä (Oui, je suis une femme) est le cri d'une femme émancipée. Au fil des vers, elle fait place à la joie d'accueillir et de faire sienne, le temps d'un recueil, tout ce que l'imaginaire lui propose, audace des sensations, passion fiévreuse, désirs charnels confessés. « J'entends conserver l'absolu de la poésie : continuer à faire exister une poésie folle, enragée, ignominieuse et vivante, où la femme revendique ses choix d'aimer ou de haïr », avoue-t-elle. Cependant, elle doit attendre plus de dix ans pour pouvoir publier ce recueil. Car, il est difficile de désamorcer les soupçons et les méfiances des hommes vis-à-vis d'une femme qui exprime avec courage et honnêteté ses sentiments et ses désirs. Elle est fière, d'autant plus, d'appartenir à la génération d'intellos romantiques. « La personne romantique ne veut rien d'autre que chercher l'algorithme de l'amour. Elle est prête à se sacrifier pour une idée, un principe, ou pour défendre les droits d'autrui à la vie, à la loyauté et à l'amour. Tandis qu'une personne ordinaire à concilier les impératifs de son époque avec ses propres besoins et intérêts. Elle n'est pas toujours très bien intentionnée ».

Parler, dire, écrire, on y revient toujours décidément chez Azza qui ne prend rien à la légère. Il y a chez cette femme une forme d'intransigeance généreuse. Le degré zéro de la complaisance. « L'écriture, dit-elle, il faut que ça s'inscrive, que les mots rayent un peu une surface. Sinon, il n' y a rien ». Le plus étonnant, c'est la façon dont cette rayure se fait sans lourdeur. Tous ses écrits, à commencer par ses assemblages de contes dans des volumes intitulés Malameh emraä asriya (Traits d'une femme contemporaine), Emraä min zaman atine (Femme d'une époque future) jusqu'à La Libération de l'homme, fonctionnent avec ce credo et ce charme. Admirable est l'art de ces titres.

Picaresque, épistolaire, satirique, elle use de toutes les formes du romanesque pour disserter sur le rôle de l'identité, du rêve, de la passion, avec parfois des accents socratiques : « Il est important de témoigner de la beauté comme de dénoncer l'horreur », souligne-t-elle.

Elle considère qu'il existe des points aveugles liés aux pratiques d'enseignement. « L'enseignement ne fonctionne pas comme un moyen d'acquérir une spécialisation, une qualification pour l'exercice d'un métier. Il n'y a en germe qu'une uniformisation d'agrégats non productifs. La vraie question, la seule vérité, tient à l'éducation nationale. C'est elle qui détient les clés ouvrant sur la curiosité des générations en formation ». Elle décrit sans fards les conditions de vie pitoyables des profs. « L'enseignant, qui renonce à sa dignité et ses valeurs pour mendier l'argent des cours particuliers, crée sa propre perte. L'Etat doit lui assurer un salaire convenable pour une vie décente ». Et d'ajouter : « De notre société naguère inventive et puissante grâce au génie de ses enseignants, il ne reste que des traces éparses. Elle n'est plus qu'un caillou pelé, battu par les vents. Notre chance est de ressusciter l'intelligence du passé ». Convaincue que : « L'universitaire et l'intellectuel doivent sortir de leurs bureaux calfeutrés pour mettre leur savoir au service de la population », elle alterne le travail de critique des drames télévisés et des arts au journal du parti Al-Wafd avec l'enseignement à l'université. « Si la part politique joue un rôle essentiel dans le journal singulier d'Al-Wafd, elle n'éclipse pas l'art qui y trouve son originalité », souligne-t-elle. Et d'ajouter : « J'initie mes étudiants à être avec la culture et l'esprit de leur temps, la littérature, le cinéma, le théâtre et les autres arts, à savoir les critiquer et les apprécier. Toutes leurs demandes traversent désormais ce filtre de l'avec. Quelque chose passe ainsi et ils peuvent communiquer avec la société et échanger activement les idées avec les autres ». Vivante Azza Heykal ? Manifestement oui. Quand elle sourit, on voit entre les plis qui encadrent sa bouche le souvenir de ses combats et la splendeur de sa musique personnelle.

Amina Hassan

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Jalons

1960 : Naissance au Caire.

1981 : Licence ès lettres anglaises de l'Université du Caire.

1986 : Magistère sur La Nouvelle chez H.E. Bates de l'Université du Caire.

1991 : Doctorat sur L'œuvre de Graham Green de l'Université du Caire.

1998 : Présidente de l'institut des langues de l'Académie arabe des sciences, de la technologie et du transport maritime.

2003 : Recueil de poèmes Oui, je suis une femme.

2006 : Parution de La Libération de l'homme.

 




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