Sport . Devenir un champion est le rêve de beaucoup de jeunes et de leurs parents. Mais la tâche n'est pas facile. Le piston et l'argent jouent et écartent prématurément de jeunes talents.

Une course au résultat décidé d'avance

« Je suis aigrie et j'ai même pris la décision de ne plus pratiquer mon sport favori, le ping-pong. Mon rêve était de devenir un jour championne du monde, mais on a fini par le briser. Le sport est devenu un commerce. Et ce sont le plus souvent les jeunes qui payent le prix de la cupidité des grands », confie Hoda, 15 ans, avec amertume. Son expérience l'a transformée et l'a rendue, selon elle, plus mûre. Il y a deux ans déjà, elle a été classée parmi les meilleures joueuses d'Egypte et elle avait réalisé des exploits dans la catégorie des minimes. Elle devait selon les estimations remporter la première place. Mais son adversaire avait certains atouts. Et ce n'était pas une question d'aptitude, elle était tout simplement la fille d'un entraîneur réputé dans un grand club. « Ce dernier avait promis à l'entraîneur qui dirige ma fille de l'aider à lui trouver une place dans ce club huppé où les parents riches versent d'énormes sommes pour financer l'entraînement de leurs enfants à travers les cours privés du ping-pong. En échange, faire gagner la sienne en finale », rapporte le père de Hoda. C'est dans la plupart des cas l'intérêt qui prime au détriment de jeunes qui ne bénéficient d'aucun appui. « Mon entraîneur a donc décidé de vendre ce match en donnant l'avantage à mon adversaire. Il a trahi ma confiance. Il m'a transmis de fausses directives. Autrement dit, il connaissait parfaitement mes points faibles et a favorisé mon adversaire. Cette défaite m'a démoralisée et j'ai même failli tomber dans la dépression », se remémore Hoda, dont les yeux sont tristes depuis cette expérience qui a brisé son rêve, celui de devenir un jour championne du monde.

Or, le cas de Hoda n'est pas unique. Nombreux sont les enfants doués qui deviennent prématurément les victimes de manigances dans le milieu sportif. Une corruption où le duo « argent et piston » l'emporte bien souvent. Gamal, planton dans une institution publique, confie que son fils est un footballeur très talentueux. Amr a exercé son sport favori dans la rue et lorsque son père a voulu lui donner la chance de développer son talent en essayant de l'inscrire dans un grand club, il n'a pas réussi. La raison étant qu'il n'était ni le fils d'un joueur célèbre, ni d'un entraîneur, ni d'un haut responsable dans l'administration du club. « Au cours du test d'admission, plus de 3 000 candidats étaient présents. Une foule de spectateurs assistait à la sélection. Et tous étaient unanimes pour dire que mon fils était l'un des meilleurs. Et bien qu'il ait réussi à la première évaluation, on ne l'a pas choisi. Plus tard, j'ai déduit que ce test n'était qu'une mascarade car les noms des joueurs admis étaient déjà connus d'avance. Le club voulait tout simplement vendre le plus grand nombre de formulaires », explique Gamal.

Un véritable guêpier

Hala, journaliste et mère d'un petit champion de karaté, affirme à son tour que le problème commence dès que l'enfant transforme son hobby en professionnalisme. Et c'est là où commence le défi. Chacun cherchera à utiliser ses armes pour profiter de la part du gâteau d'autant que c'est souvent le club qui est chargé de financer les frais de voyage pour le perfectionnement à l'étranger. Elle confie que si les familles maintiennent de bonnes relations avec les membres du comité de karaté au club, c'est bien pour garantir à leurs enfants quelques déplacements ou pour participer à des compétitions ou championnats. « Personnellement, je dois de temps en temps offrir des cadeaux ou inviter les membres du comité de karaté au club à un repas car je sais qu'ils tiennent en main le destin de mon fils. Certaines familles ont voulu casser ce système, mais elles se sont heurtées à une mafia qui a su dresser de grandes barrières. Il existe des intérêts réciproques entre ces membres du comité et les membres du conseil d'administration du club. Il y en a même qui sont en excellents rapports avec la fédération. Des responsables importants passent sous silence cette magouille qui a lieu dans les clubs pour profiter du maximum de voix lors des élections et ainsi de suite ». Elle se tait un moment. « Changer cette situation veut dire tomber dans un cercle vicieux et la victime serait mon fils. Alors autant éviter ce casse-tête puisque cela ne me revient pas trop cher », poursuit Hala dont le fils a remporté récemment la troisième place au niveau de son gouvernorat.

Et de ce club situé à Guiza aux salles de ping-pong d'un autre grand club du Caire, l'image du milieu sportif n'est pas aussi reluisante. Espoir, déception et répulsion sont au rendez-vous des parents qui se tiennent derrière des vitres en verre pour suivre les entraînements de leurs enfants. Certains même insistent et rêvent encore d'en faire des champions malgré ce qui se passe.

Là, discussions et médisances font bon train. Les familles présentes sont outrées. « Les meilleurs coachs sont désignés pour la fille d'un responsable à la Fédération de tennis de table », dit une mère en colère. « Une salle bien équipée semble avoir été choisie uniquement pour elle. Et pourquoi pas, puisqu'elle y passe plus de 12 heures par jour », lance avec ironie une autre. Les familles sont tellement indignées par cette situation qu'elles ont surnommé la salle du nom de cette petite championne qui ne cesse de provoquer jalousie et haine chez les autres enfants.

D'après la sociologue Héba Sami, bien que le sport soit considéré comme un moyen éducatif, il risque de devenir en Egypte une source de déception ou de destruction. « Quelles valeurs allons-nous transmettre à nos enfants dans ce chaos, hypocrisie ou matérialisme ? Puisque avec de l'argent on peut tout acheter ». Et d'ajouter : « La valeur du travail va donc disparaître. C'est ignoble de décevoir un enfant qui s'entraîne plus de 3 heures par jour pour gagner une médaille, quand son entraîneur qui doit être un exemple à suivre manque d'éthique. Et si nous ne réalisons rien dans les JO et le Mondial, c'est bien parce que certaines valeurs ne sont pas respectées ».

Une compétition loyale

Mais s'agit-il vraiment d'une corruption ? Ou bien ne possédons-nous pas la culture et l'esprit de la compétition loyale ?

Selon Ibrahim Hégazi, rédacteur en chef du magazine sportif Al-Ahram Al-Riyadi, nous manquons en Egypte d'une institution qui parraine les enfants qui ont des talents, ce qui a donné naissance à toutes sortes de dépassements. « L'école qui devait jouer ce rôle ne le fait plus. Il suffit de dire que les terrains de sport disparaissent de plus en plus des écoles cédant la place à d'autres classes qui doivent absorber un surplus d'élèves. Pire encore, l'Etat confisque les vastes terrains réservés au sport. J'ai dû mener, il y a deux ans, une grande bataille pour empêcher l'Etat de s'approprier les terrains du centre de jeunesse de Guézira pour bâtir des centres commerciaux et des garages aux dépens des espaces réservés aux activités sportives », confie Hégazi.

Résultat : les parents ont dû prendre le relais et il n'existe pas de critères objectifs déterminant qu'un enfant pourrait devenir un jour un champion. Et même si cela ne devait pas arriver, les familles continuent d'y croire.

Et en l'absence d'institutions spécialisées, la famille égyptienne doit non seulement faire face aux abus, aux pistons et à la corruption pour prendre en main le destin de leurs enfants, mais doit aussi débourser des sommes énormes. Ahmad Kamel, officier, assure qu'il déploie d'énormes efforts avec sa fille championne de ping-pong. Il lui réserve plus de 3 heures par jour pour ses entraînements. Il n'hésite pas à l'accompagner dans les quatre coins de l'Egypte pour participer à des compétitions. Plus de 700 L.E. au moins par mois sont réservées à l'achat de sa tenue sportive, ses raquettes et ses balles et une espèce de colle spéciale pour le jeu. Une lourde charge pour une famille de classe moyenne pour en faire une championne. Sa mère, enseignante, joue aussi un rôle important lui organisant son emploi du temps quotidien et en l'aidant à rattraper ses leçons. Et il faut signaler que le système éducatif avec ses programmes surchargés ne tient pas compte des enfants doués et ne leur offre aucune chance de pratiquer leur sport correctement. Salma, cette petite championne âgée de 15 ans, s'apprête à passer son baccalauréat.

Et les personnes prêtes à sponsoriser les jeunes talents comme c'est le cas des hommes d'affaires en Occident sont rares en Egypte. Ceci pourrait alléger le lourd fardeau qui pèse sur les épaules des parents. L'exemple d'Ahmad Barrada qui a été pris en charge par un businessman a tout de même porté ses fruits. Barrada a remporté la Coupe du monde il y a plus de dix ans. Outre les talents d'un sportif, les moyens financiers sont d'une grande importance pour en faire un champion.

Mais Salma paraît plus chanceuse que Amr, le fils de Gamal et qui n'a pas pu réussi à adhérer à un grand club par manque de piston, mais aussi parce qu'il n'avait pas les moyens de s'inscrire dans une école privée de foot. « Les frais d'inscription pour s'entraîner dans la nouvelle Académie de foot inaugurée par le club Ahli dépasse les 2 600 L.E. par an. Mon père ne peut se permettre de payer une telle somme, alors les portes de ces écoles sont fermées devant moi. J'attends qu'un miracle arrive pour réaliser le rêve et jouer dans un grand club à l'instar des grandes stars du Brésil, d'Italie et d'Espagne qui ont fasciné le monde et ont sorti leurs familles de la misère », lance le petit Amr, de 12 ans. Se tenant devant le club Ahli, son regard est braqué sur un terrain grillagé où se joue un match de football.

Faut-il enterrer ses rêves et se contenter de pratiquer son sport favori dans la rue pour la simple raison qu'on n'est pas l'enfant d'un joueur de grande renommée ou parce qu'on ne possède pas les moyens nécessaires pour développer son talent de sportif ? Une question qui reste sans réponse.

Dina Darwich