Le navire mit les amarres dans le port que
nous ne connaissions pas et où nous ne connaissions personne.
Nous fûmes aussitôt saisis par cette odeur captivante qui
s’infiltra en nous. Lors de notre randonnée dans les ruelles et
les rues de cette petite ville, la fumée montait de partout et
enveloppait nos têtes. Avec la sensation de voler dans les airs,
nous prîmes une direction qui nous éloigna du port. Nous
escaladâmes un monticule qui nous apparaissait de loin comme les
résidus d’un volcan ancien. De loin, la fumée s’élevait en
créant des nuages et des sillons dans le ciel comme une fumée
qui s’échappait d’un gigantesque compact. Mes yeux n’arrivaient
pas à se détourner de ce point lointain dans les cieux qui
irradiaient en plein jour … Je regardais autour de moi, mes
compagnons avaient disparu. Etonné, je voulus revenir sur mes
pas, mais mes pieds me poussèrent dans la direction du
monticule.
***
Je fus réconforté en posant mon regard sur le
navire qui était encore là ; j’avais donc encore le temps de me
promener dans cette ville que je n’avais pas visitée auparavant.
Lorsque j’arrivai au monticule, une reine m’apparut dans les
cieux. Les portes grandes ouvertes, le sourire éclairant son
visage. Alors, j’étendis, moi aussi, grands ouverts les bras et
m’élançai dans sa direction … Je le faisais en me libérant de
tout ce qui, en moi, avait posé ses empreintes au fil du temps.
Sans aucune attache, je m’élançai de manière naturelle dans les
cieux vers la reine avec la légèreté d’un oiseau et à la vitesse
d’une plume.
***
Je rencontrai sur le chemin du monticule des
hommes occupés par leurs travaux et leurs commerces. Ils
achetaient, vendaient et transportaient leurs marchandises
constituées de poteries, d’objets en cuivre, de tissus en soie
et de nourriture. J’étais surpris. Comment ne voyaient-ils pas
ce que je voyais et comment n’étaient-ils pas captivés par le
visage de la reine qui illuminait leurs cieux ?
Je leur fis un signe de la main pour qu’ils
élèvent leur regard là-bas où se trouvait la reine. Mais en
vain. Mes signes se perdirent dans la rigidité de leur regard et
l’affairement de leurs préoccupations. Je fus profondément déçu
de leur manque d’intérêt et m’élançai rapidement vers le
monticule pour embrasser la reine dans mes bras et vivre
l’instant qui me permettrait d’atteindre la dense fumée et cette
odeur captivante qui engourdissait les sens.
***
Tel un illuminé, mon cœur me transporta et
s’éleva vers le monde de cette reine qui emplissait les cieux.
Je ne voyais personne d’autre qu’elle dans cette ville où
personne ne me connaissait … Et parce que j’étais un inconnu
dans cette ville, j’essayais d’ouvrir ses portes et saisir ses
mystères.
***
Lorsque la reine perçut combien amoureux
j’étais, elle m’aida et me permit de l’approcher. Elle me combla
de ses trésors. Je fus transporté et rasséréné. Je me trouvais à
l’intérieur de cette dense fumée et mes esprits se perdaient
dans cet engourdissement qui m’enveloppait.
Je ne respirais plus, gardais précieusement
en moi le bonheur de ce que je vivais et priais Dieu de ne
jamais quitter ce moment.
***
Combien de temps passa … Combien de vie
s’écoula alors que j’étais ainsi. Je ne le savais. Les jours
heureux n’ont ni jours ni nuits. Ils ne portent qu’un sentiment
de paix et de joie, en dehors des temps.
***
Je m’installai devant elle et lui racontai ce
qu’il en était de moi et de ce que j’avais vécu. J’ouvris le sac
de mes peines et le posai entre ses mains. Je lui racontai ce
que je n’avais osé dire. Elle rit et me caressa les épaules. Je
fus guéri de ma tristesse et mes peines s’évaporèrent dans ce
charme qui l’enveloppait.
Je lui demandai :
— Pourquoi personne ne m’avait aperçu dans ta
ville ?
Elle rit :
— Tu viens pour moi seule.
Elle me raconta ce qu’il en était de sa mère.
Elle me raconta ce que je n’avais jamais entendu. Ses histoires
étaient comme des légendes qui m’étaient totalement inconnues.
J’étais envoûté par sa manière captivante de narrer avec cette
spontanéité et ce savoir-faire qui touche et le cœur et l’esprit.
***
Auparavant, mon intérêt pour la science
m’avait transporté au loin … Au loin, au-delà de la réalité. Et
les vagues successives de la vie m’élevaient rapidement et me
ramenaient vers le bas le plus vite possible tel un tapis volant
qui navigue au gré des vents. Sans pouvoir être stable ou tenir
quelque chose de réel qui pouvait me faire revenir à terre.
***
Je m’asseyais sur le monticule et laissai
libre cours à mes pensées. Je revins à mon pays et me vis tel
que j’étais sans aucun changement. Rien d’autres que des
histoires que se racontaient les gens avec de l’étonnement dans
les yeux à cause de ce jeune homme qui avait vaqué dans le monde
de la reine.
***
Dans les nues et les esprits ailleurs, je ne
prêtais attention à personne. Je volais en marchant, léger comme
si j’étais sans poids et sans aucune attache me forçant à calmer
le pas.
***
Je revins vers la reine que je trouvais
embarrassée et confuse. Je lui en demandai la raison, elle
s’enfonça plus dans son silence. Je fus ensuite surpris de
l’entendre rire hystériquement. J’essayai de l’interrompre pour
comprendre ce qui en était, mais elle ne se laissa pas amadouer.
Je vis le rire se mêler à la fumée et monter
dans les cieux. Je vis toute la ville rire à la suite de sa
reine. J’entendis également les esclaves, leurs instruments de
musique en mains, chanter et danser. Je vis une atmosphère
théâtrale remplir la ville, partout dans ses rues et ses ruelles.
***
La reine déclara qu’elle me prendrait pour
mari, ce soir. Je m’évanouissai de joie et de l’effet de la
nouvelle et de la rapidité de la décision.
***
Dès que je repris mes esprits, je ne trouvais
plus le monticule, je ne retrouvais plus la reine et n’étais
plus saisi par cette odeur qui m’avait endolori.
Le navire qui transportait mes compagnons et
ma famille était sur le point de partir. Je m’arrêtai sur le
quai à le contempler alors qu’ils m’incitaient, tous à y monter.
Sans aucune volonté, je retournais en arrière en ignorant
l’appel du navire, pour revenir à la ville et retrouver le
chemin de ce monticule que je ne voyais plus et de cette odeur
qui m’emplissait encore les poumons. J’allais et venais dans les
rues à la recherche de la reine dont je ne connaissais pas de
demeure et qui était inconnue des gens quelle que soit la
direction que j’empruntais.
***
Je devins l’esclave de ce que me dictait mon
désir. Hagard, chercheur assidu sans aucun autre désir que celui
de retrouver le chemin de ce souterrain empli de mystères dans
les tréfonds du cœur.
Traduction de Soheir Fahmi