Al-Ahram
Hebdo : Israël fait porter la responsabilité de la flambée de
violence au gouvernement libanais, après l’enlèvement des 2
soldats israéliens et la mort de 8 autres. Qu’en pensez-vous ?
Walid Joumblatt : Le gouvernement a bien
expliqué qu’il n’avait aucun lien avec la capture des soldats
israéliens, que le Hezbollah ne l’avait pas informé de
l’opération et que, par la suite, il n’en assume pas la
responsabilité. Ceci n’empêche que nous sommes tous unis et
solidaires face à l’agression israélienne, mais si c’est une
guerre étrangère qui est menée sur le territoire libanais, nous
la rejetons d’emblée.
— Que voulez-vous dire par guerre étrangère ?
Ne s’agit-il pas d’une bataille entre les Israéliens et les
Libanais ?
— Il semble qu’à un certain endroit en Syrie,
il y a ceux qui cherchent à entraver le dialogue national
libanais. Une tentative en quelque sorte de maintenir et
d’enfoncer le Liban dans le chaos, pour dire qu’après le départ
des Syriens, les choses se sont accélérées et que le pays ne
peut plus se redresser. Je l’ai toujours dit et je continue à le
répéter : nous refusons que la République islamique d’Iran mène
sa propre guerre par l’intermédiaire de la Syrie sur le
territoire du Liban.
— Mais si une partie du territoire libanais
est toujours occupée par Israël, le Hezbollah n’a-t-il pas le
droit de poursuivre sa lutte armée ?
— Il faut comprendre que la réalité libanaise
est bien différente de celle de la bande de Gaza. Nous avons
libéré notre territoire en l’an 2000, lorsqu’Israël a été
contraint à se retirer. Et lors du dialogue national
interlibanais, auquel le Hezbollah a participé, il était convenu
de tenter de récupérer les fermes de Chebaa par l’intermédiaire
du dialogue.
— Vous reprochez donc au Hezbollah d’avoir
procédé à la capture des 2 soldats israéliens ?
— Nous aurions souhaité que le Hezbollah ait
la gentillesse de nous prévenir. A présent, il nous a mis tous
devant le fait accompli. Il nous a placés devant une guerre
israélienne totale.
— Libérer les détenus libanais des prisons
israéliennes n’est-il donc pas une thèse plausible pour vous ?
— Nous refusons ce prétexte du retour des
prisonniers. La question était posée depuis longtemps. On aurait
pu profiter des Nations-Unies pour la récupération des
prisonniers. Cela nous aurait épargné la destruction du pays.
Nous avons dépassé aujourd’hui la question des prisonniers pour
passer à une phase très dangereuse qui menace la stabilité du
Liban. Nous sommes pris entre le marteau de l’Iran et l’enclume
d’Israël.
— Y a-t-il eu des contacts avec le Hezbollah
après l’agression israélienne ? Vous êtes-vous interrogé au
moins sur le timing de l’opération du Hezbollah ?
— Mais à quoi bon de savoir pourquoi
maintenant ? Il est clair que ces événements interviennent à un
moment qui retarde le dialogue et qui permet à Israël de
détruire le pays.
— Comment évaluez-vous dans ce contexte la
position des pays arabes ?
— Les Arabes sont divisés. Si certaines
élites arabes sympathisent avec le Hezbollah, elles sont les
bienvenues, qu’elles viennent nous montrer ce qu’elles peuvent
faire. Que ces Etats qui n’ont pas signé de traité de paix avec
Israël, que les habitants du Yémen et de l’Algérie se mobilisent
et ouvrent des bureaux pour le recrutement des volontaires et
viennent combattre à nos côtés. Nous refusons que les Libanais
assument seuls le résultat du conflit israélo-arabe. Nous
considérons que notre territoire a été libéré en 2000, ceux qui
pensent autrement doivent faire leur choix.
— Les ministres arabes des Affaires
étrangères ont été incapables d’arrêter un plan pour mettre un
terme à la guerre d’Israël contre le Liban et les pays
occidentaux n’ont rien fait non plus. Quelle est l’alternative ?
— J’accueille favorablement la résolution de
la Ligue arabe. Sur qui d’autre pouvons-nous compter pour
arrêter l’agression et trouver un mécanisme d’application d’un
cessez-le-feu que sur les Etats arabes et sur les amis ? Mais si
les Etats-Unis veulent continuer à soutenir Israël de manière
absolue, ils doivent savoir qu’ils ne parviendront à rien. Quant
à l’Iran, je l’appelle à ne pas utiliser le Liban pour défendre
son programme nucléaire et régler ses comptes avec la communauté
internationale.
— Concrètement, comment le Liban peut-il
sortir de cette crise ?
— C’est facile, un cessez-le-feu, puis les
Nations-Unies doivent être chargées de régler le dossier des
prisonniers. En gros, le problème passe par le respect des
résolutions internationales.
— Vous voulez dire la résolution 1 559, qui
exige un désarmement du Hezbollah et le déploiement de l’armée
libanaise à la frontière avec Israël ?
— Cette résolution du Conseil de sécurité se
croise avec les accords de Taëf, que la résistance et la Syrie
acceptent. Il n’y a pas de différence entre les deux. Seul
l’Etat doit avoir l’exclusivité de posséder les armes. Par le
dialogue, nous avons établi les bases des relations
diplomatiques avec la Syrie et l’intégration du Hezbollah au
sein de l’armée et nous espérons pouvoir continuer sur ce même
chemin.
— Croyez-vous que cette guerre va clore le
dossier du Hezbollah ?
— Ecoutez, personne ne peut nier les
sacrifices du Hezbollah, ni son rôle primordial dans la
libération de notre territoire. Le mouvement dispose d’une
importante présence politique sur la scène libanaise. Le seul
changement est que le Hezbollah ne peut plus avoir l’exclusivité
de la décision de guerre ou de paix et mener le Liban vers
l’inconnu. Nous souhaitons que le secrétaire général du
mouvement, Hassan Nasrallah, soit libanais avant toute autre
chose.
Propos recueillis par
Samar Al-Gamal