Les dernières évolutions, survenues cette
semaine sur la scène politique concernant les crises nucléaires
iranienne et nord-coréenne, ont mis bien à nu la dualité d’une
politique américaine motivée toujours par ses intérêts
politiques et ses convoitises économiques. Face à deux pays de «
l’axe du mal » qui présentent, selon les Etats-Unis, la même
menace, l’attitude américaine n’est pas tout à fait la même. Au
moment où ils ont opté pour la diplomatie et le dialogue,
jusqu’à la dernière minute, avec la Corée du Nord, les
Etats-Unis ont usé de toutes leurs forces pour rassembler un
consensus international contre un pays qui tâtonne encore son
chemin pour se forger une place entre les puissances nucléaires,
à savoir l’Iran.
En fait, Washington a réussi, en quelques
mois, à faire du dossier nucléaire iranien le dossier le plus
chaud de la planète. Et voilà qu’après 15 mois d’activités
diplomatiques intenses entre Européens et Iraniens, les
Etats-Unis ont marqué un point, en persuadant, la semaine
dernière, les grandes puissances du monde de renvoyer le dossier
nucléaire iranien au Conseil de sécurité de l’Onu. Une décision
qui ouvre la porte à des sanctions contre la République
islamique. Coup sévère pour Téhéran.
Selon les experts politiques, la décision des
grandes puissances était essentiellement motivée par l’attitude
dilatoire et les atermoiements répétés du régime iranien qui a
refusé d’avancer une réponse rapide à l’offre européenne qui lui
était présentée le mois dernier. Cette offre visait à convaincre
Téhéran de renoncer à ses activités d’enrichissement d’uranium
en contrepartie d’une série d’avantages économiques et
diplomatiques. Une réponse de Téhéran à cette offre était exigée
avant le début du sommet du G8, samedi dernier, à Saint-Pétersbourg,
alors que Téhéran insistait à n’y répondre que le 22 août
prochain. « En fait, cette offre n’était qu’un piège bravement
tendu à l’Iran. Sûr que le régime iranien va la refuser ou au
moins en atermoyer la réponse, Washington comptait saisir
l’occasion pour prouver au monde les mauvaises intentions de
l’Iran et par suite la crédibilité de ses soupçons quant à
l’objectif militaire du programme nucléaire iranien. Or,
pourquoi prendre tout ce temps pour étudier une offre si
alléchante ! », analyse le Dr Mohamad Al-Saïd Idriss, expert
politique et rédacteur en chef de la revue mensuelle Mokhtarat
iraniya. Une fois leur objectif atteint, les leaders américains
pourraient bien s’endormir. Le cauchemar d’un Iran indomptable
ne va plus perturber le sommeil du président Bush. Vendredi
matin, des leaders américains chantaient leur victoire d’avoir
rallié la Russie et la Chine, deux alliés fidèles de Téhéran, à
l’idée d’imposer des sanctions contre l’Iran : « Enfin, la
stratégie américaine lancée en mars 2005 contre le programme
nucléaire iranien a commencé à porter ses fruits », s’est
félicité un haut responsable du département d’Etat, ajoutant,
sur un ton ironique, que « les Iraniens pensaient qu’ils
allaient pouvoir semer la division entre la Russie et la Chine
d’un côté et les Etats-Unis et les Européens de l’autre, mais
ils n’ont pas réussi ».
De toute façon, cette unité du monde ne doit
pas perturber Téhéran, car en fin de compte ce ralliement de
Moscou et de Pékin à la communauté internationale ne signifie
pas un changement dans leur politique vis-à-vis de Téhéran.
Cette semaine, ils ont réaffirmé leur opposition à tout recours
à la force contre Téhéran, et ont même rejeté les sanctions
économiques. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï
Lavrov, s’était même formellement opposé, vendredi dernier, à
des sanctions contre l’Iran. « Toute sanction économique contre
l’Iran va nuire aux intérêts de Moscou et de Pékin dans ce pays,
car l’industrie nucléaire russe est très impliquée en Iran.
Quant à la Chine, elle importe la plupart de son pétrole de
l’Iran. Il s’agit d’un jeu d’intérêts réciproques », analyse
Hicham Ismaïl, professeur à la faculté des sciences politiques,
de l’Université du Caire. Intérêts. Tel est le mot qui a valu à
l’Iran l’hostilité de Washington, comme il lui a valu le soutien
de Moscou et de Pékin.
Or, pourquoi déchaîner toute cette guerre
féroce contre l’Iran et pas contre la Corée du Nord, s’il ne
s’agit pas d’un jeu économique bien rentable pour Washington ?
N’oublions pas que l’Iran est l’un des premiers exportateurs du
pétrole dans le monde. Bien plus, il est situé dans la région du
Golfe, une région où toute tension pourrait bien bouleverser
l’économie mondiale et hausser les prix du pétrole. Autre
facteur qui a contribué à mettre l’Iran dans la ligne de mire de
Washington, c’est l’hostilité entre l’Iran et l’Etat hébreu. «
Israël fait toujours pression sur Washington pour qu’il adopte
une politique plus ferme vis-à-vis du régime iranien qui ne
cesse de nier l’holocauste, de menacer de rayer Israël de la
carte », analyse Mohamad Al-Saïd Idriss. Un facteur de plus,
c’est que les Etats-Unis jugent l’Iran en partie responsable des
violences en Iraq et en Afghanistan, et l’un des principaux pays
soutenant le Hezbollah, ennemi farouche d’Israël et de
Washington, qui l’ont classé dans la liste des organisations
terroristes.
La Corée n’est pas un enjeu
Petit pays à faible démographie, n’ayant pas
la même importance stratégique que l’Iran, très pauvre en
ressources, souffrant de famines il y a de longues années,
Pyongyang ne mérite pas d’être dans la ligne de mire du régime
américain. « Washington réalise bien que détenir l’arme
nucléaire n’est pas un objectif en soi pour le régime stalinien.
Elle n’est qu’un simple moyen pour faire des chantages :
recevoir des subventions économiques, faire reconnaître son
régime politique par toute la communauté internationale,
recevoir des aides techniques, etc. », explique Mohamad
Abdel-Salam, expert à l’unité militaire au Centre des études
politiques et stratégiques d’Al-Ahram. Grande donc est la
différence entre une bombe nucléaire dans les mains d’un pays
pauvre qui ne trouve pas de quoi vivre et la même bombe dans les
mains d’un régime considéré comme islamiste fanatique, qui une
fois la possédant, ne cherchera qu’à détruire ses deux ennemis
par excellence : Israël et les Etats-Unis.
La chose étant, les Etats-Unis n’ont joué
qu’un rôle de second plan dans le renvoi du dossier nucléaire
nord-coréen au Conseil de sécurité. La résolution, samedi
dernier, imposant à Pyongyang des sanctions ciblées sur ses
activités liées à ses programmes d’armement à la suite de ses
tirs d’essai de missiles le 5 juillet, n’était pas motivée par
Washington cette fois-ci mais plutôt par Tokyo, avec le soutien
de Washington.
En réponse, la Corée du Nord a menacé
dimanche de renforcer « sa force de dissuasion militaire
d’autodéfense de toutes les manières possibles », selon le
ministère nord-coréen des Affaires étrangères. La semaine
dernière, le Japon avait soumis au Conseil un projet de
résolution imposant des sanctions à la Corée du Nord, à la suite
de ses essais dans la mer du Japon. Premier intéressé en raison
de sa proximité géographique avec la Corée du Nord, Tokyo avait
au départ insisté sur une mention de l’article 7 de la Charte
des Nations-Unies permettant, en cas de non respect, le recours
à la force, mais a ensuite opté pour le compromis face à
l’opposition de Pékin et de Moscou. « Tokyo craint d’être le
premier à être attaqué par sa voisine, même s’il est en mesure
de se défendre », explique Hicham Ismaïl.
Pour signaler sa présence au sein du dossier
nord-coréen, la secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice
s’est contentée, de dire, dimanche, lors du sommet du G8, que la
condamnation unanime de la Corée du Nord par le Conseil de
sécurité « allait forcer Pyongyang à retourner à la table des
négociations ». Même après la résolution du Conseil de sécurité
des Nations-Unies, condamnant la Corée du Nord, l’ambassadeur
américain John Bolton, n’ayant que l’Iran pour cible, s’est hâté
de souligner : « Cette décision va aià envoyer un message fort à
l’Iran. Je pense que l’Iran devrait jeter un œil à cette
résolution et constater que l’ensemble du Conseil de sécurité,
dont ses cinq membres permanents, était unanime », a-t-il dit
sur un ton menaçant.
Finissant avec Pyongyang, l’attention du
Conseil de sécurité va se porter, la semaine prochaine, sur
l’Iran et son programme nucléaire. Les Etats-Unis espèrent une
action rapide pour l’adoption d’un projet de résolution qui
imposerait la suspension des activités d’enrichissement
d’uranium. De toute façon, le marathon diplomatique n’est pas
encore terminé : les six puissances ne sont pas encore tombées
d’accord sur des sanctions spécifiques contre Téhéran, et une
réunion la semaine prochaine au niveau des directeurs politiques
décidera de l’avenir de Téhéran. A suivre ... .
Maha Al-Cherbini