Avec
le style inimitable qu'on lui connaît, fait d'élégance
raffinée dans le choix des mots et d'audace dans les images
et les rapprochements, elle bouscule les certitudes, démonte
les idées reçues, perturbe les repères de son interlocuteur
avant de le conduire vers des solutions nouvelles, inattendues,
convaincantes. Goût de la séduction ? Peut-être. Suzanne
Hassan fait partie de ces personnalités qui recréent le
monde parce qu'elles se posent des questions essentielles.
Elle croit que sa vocation initiale de présentatrice de
la télévision lui était venue de son désir, enfant, de
faire quelque chose d'utile, de prodiguer un conseil,
s'adressant à un public large. « Très tôt, je me suis
interrogée sur la façon qui rend une présentatrice de
la télévision touchante et son message accessible. Je
me suis rendu compte de l'existence d'un vaste monde d'éducation
intellectuelle et sociale en dehors de la maison, auquel
ma mère m'a initiée. J'ai décidé non seulement d'accéder
à ce monde, mais d'y briller ». Elle devient fine observatrice
des faits et réalisations de sa mère qui lui inspire la
nécessité et l'importance du travail social à intérêt
collectif. A côté de l'usine de textiles qu'elle gérait,
sa mère participait aux activités des organisations de
la société civile et à l'aide des collectivités. « Ma
mère m'a appris qu'il faut s'évaluer à l'aune de sa performance,
de son travail social et privé ».
Pendant sa
jeunesse, Suzanne oscille entre le choix du métier de
médecin et de celui de présentatrice-télé. Tout ce qui
compte pour elle est d'aider les souffrants ou ceux en
situation de détresse. Mais c'est le métier de présentatrice
qui l'emporte. A défaut de faculté de communication, elle
étudie le commerce et à l'issue des études, elle décroche
l'emploi souhaité à la télévision. Elle assure la liaison
entre les programmes et présente une émission intéressante,
Nachr al-yom (La publication d'aujourd'hui), conçue par
Mohamad Zayed. Laquelle s'adresse directement au spectateur,
lui fait partager les douleurs ou les joies des autres,
le met en garde contre les rumeurs et les affabulations
et lui fait prendre position par rapport à certains événements.
Mais au bout de quelques mois, elle prend congé de la
télévision pour accompagner son mari, un ophtalmologue,
à Londres où il prépare une Zamala (Membership of the
Royal College of Ophtalmology) pendant six ans. Ce sont
ses plus belles années où elle s'adonne entièrement et
joyeusement à sa tâche de mère de famille. Elle s'ouvre
au monde occidental et découvre qu'il n'est pas seulement
un monde d'apparence et de débauche, contrairement aux
idées erronées que répandait le fameux feuilleton Falcon
Crest. Les Occidentaux s'acquittent avec conscience de
leurs tâches, en ayant une idée claire et logique du résultat
de leurs actes, faisant bon usage du temps. De retour
d'Angleterre, elle essaye de mettre en pratique ces bons
usages et détourner son entourage des mauvaises habitudes.
Mais elle bute contre la routine. Cependant, elle s'organise
pour concevoir une émission utile. Une de ses plus belles
œuvres est l'émission L'Enfant diplomate. On imagine aisément
son plaisir à introduire un enfant égyptien auprès d'un
autre enfant du même âge, fils d'un diplomate des missions
étrangères, pour qu'ils échangent leurs connaissances
et leurs cultures. « Un enfant écoute attentivement le
message d'un enfant de son âge, copie facilement ses bonnes
habitudes et partage ses découvertes », affirme Suzanne.
Elle est fière de l'existence de feuilletons pour enfants
comme Bakkar, Zaza et Garguir et avant Boogie et Tam Tam,
où des personnages authentiquement égyptiens apprennent
aux enfants les bonnes mœurs et conduites, mieux que ceux
tirés des feuilletons et films d'animation américains.
« Elever un enfant est difficile. L'influence des semblables
n'est pas neutre. C'est comme une instance de valorisation
de soi et comme refuge remplissant une fonction de réassurance
», souligne Suzanne.
Son autre
belle œuvre est l'émission Léqaa al-agyal (Rencontre des
générations) où elle réunit trois générations, une vieille,
une moins vieille et une plus jeune. « Avant de formuler
des conseils de bon sens, les jeunes doivent rester ce
qu'ils sont et les plus vieux doivent assurer leur rôle
en faisant passer le flambeau aux plus jeunes qui auront
la charge de gérer et d'orienter l'avenir. Les jeunes
ont besoin d'être rassurés et pas d'être condamnés. C'est
pour cela que je cultive et accrédite la notion de rencontre
et pas de conflit des générations », explique Suzanne.
Son émission fut conçue pour donner des règles, des conseils,
des astuces éducatives. Communiquer entre générations
est important, ne pas laisser une situation se dégrader,
imposer certaines limites sont autant de grandes portes
qu'elle a enfoncées.
Elle se dit
aussi très honorée de couvrir toutes les facettes de la
vie publique chargée d'activités sociales et éducatives
de la première dame d'Egypte, Suzanne Moubarak. Elle s'applique
à montrer que ses efforts sont associés à ceux d'un environnement
doué, énergique et coopératif. Ses témoignages ne sont
pas éloignés de l'image que l'on peut se faire de Suzanne
Moubarak. Celle d'une femme dont la stature publique déborde
de tendresse et de bienveillance largement dans son entourage.
Au fil des
ans, sa devise se confirme : « Il faut séduire, épater,
capter l'attention du spectateur. Face à la perte de sens,
la télévision serait celle qui donne le bon sens, apprend
ce qu'il convient de faire au quotidien, pour être dans
le juste et le vrai ». C'est ce qu'elle essaye de mettre
en pratique lorsqu'elle assure la présidence de la première
chaîne. Mais voilà qu'elle se pique de transformer le
rythme lent, la redondance en rythme progressant, en préambule
à de nouveaux programmes, des projets pour l'avenir. Sa
nomination à la présidence de la Radio et de la Télévision
l'y autorise. « A travers le discours médiatique, je veux
contribuer à semer une graine de changement dans chaque
citoyen ». Et d'ajouter : « Pour capter une audience familiale
et populaire, les chaînes doivent multiplier les émissions
qui donnent des repères aux enfants, aux parents et à
toutes les catégories sociales. Après les programmes à
thèmes redondants de la télé-variété et ses dérives, voici
venu le temps des vraies valeurs et du bon sens de la
télé-conseil avec pour emblème : il faut que ça change
», proclame Suzanne. Communiquer au sein de la famille,
apprendre le changement, le progrès, la discipline aux
enfants ... Autant de portes que la télévision entend
enfoncer depuis l'arrivée de Suzanne à sa tête, à coups
de sermons assénés par une armée d'experts de la vie quotidienne
et politique. Cette stratégie correspond à un recentrage
marketing de la Télévision, soucieuse grâce à ses fictions
et à ses magazines d'élargir la cible et de fédérer autour
du poste plusieurs générations de téléspectateurs. Ces
émissions, magazines de vie et émissions politiques seront
considérés comme des émissions de divertissement, mais
aussi comme des programmes éducatifs. Reste à savoir si
cette stratégie peut être mise aisément en pratique. Surtout
que l'héritage est lourd et Susanne est entourée de cadres
composés d'anciens de l'époque précédente. « J'ai vécu
des conflits et tensions internes, mais ce parcours m'a
rendue plus forte et plus solide avec le temps », avoue
Susanne. Cette vérité l'a toujours aidée à retrouver sa
véritable voie. La présidente de l'Union de la Radio et
de la Télévision, chargée des antennes, du développement
et de la diversification, annonce qu'au cours de l'année
prochaine, il est question de faire associer le secteur
privé au financement des programmes pour lancer une série
de modifications touchant au contenu et à la présentation
des émissions, des variétés, des drames télévisés, des
fictions, des documentaires, de la chanson, des magazines
de rédaction diffusés sur ses antennes. « Les investisseurs
financiers ne seront pales acquéreurs potentiels. La maximisation
du rendement n'est pas notre but. Ils n'imposeront pas
leur hégémonie. La télé ne deviendra pas un organe de
propagande servant leurs intérêts. Elle servira de référence
à la promotion de la culture, indispensable à la promotion
de l'économie », déclare Suzanne. L'une de ses grandes
forces est sans doute sa maîtrise de la logique de son
travail et son souci de prendre en compte les sources
et les moyens de le mener à bon escient.
Un accord
de principe lui a été accordé pour l'entraînement des
cadres de la télévision par des experts des télévisions
étrangères, telles que la BBC ou la RAI. L'importance
du sujet justifie qu'on lui accorde de l'intérêt : il
faut créer des équipes de travail spécialisées et qualifiées
pour que la Télévision soit en constant mouvement. D'après
Suzanne, « le présentateur de la télévision doit avoir
une culture et une conscience de ce qui se passe au monde,
il doit jouer le rôle de médiateur qui intervient pour
combler les attentes des spectateurs, répondre aux questions
qui les préoccupent ».
La conviction
de Susanne est que « les spectateurs veulent des histoires
vraies. Ils sont en quête du modèle, de l'original. Ils
veulent que ce qui est montré soit relié à un fait réel.
Exit l'imaginaire, vive l'image en prise avec le monde.
En se nourrissant du réel, l'image peut contribuer à influer
sur l'ordre des choses ». Changer le monde : voilà bien
ce dont il s'agit chez Susanne. Cette stratégie audiovisuelle
s'inscrit dans un phénomène de société : démocratie et
changement prônés par la présidence de la République et
les néo-réformateurs. Dans cette foulée, le petit écran
a l'ambition de s'ingérer dans l'organisation de la sphère
domestique après la vie publique : amour, nutrition, hygiène,
carrière, éducation culturelle et politique avec des recettes
séduisantes et surprenantes. Un air de liberté s'est imposé
lors des émissions telles que Halet héwar (Situation de
dialogue), Malaff khas (Dossier spécial) et West al-balad
(Au Centre-ville) sur l'amendement de l'article 76 de
la Constitution et les élections présidentielles et législatives.
Lesquelles ont provoqué l'éveil autant de la pensée, de
la sensibilité et de l'interrogation chez le public. Spécialiste
de la vie, Suzanne pense que la poésie doit être souvent
au rendez-vous, à travers les émerveillements des spectateurs.
Pour contourner la déception des téléspectateurs du ridicule
des feuilletons de ce Ramadan, elle a décidé de constituer
un comité de sélection qui accompagnera à longueur d'année
le choix des sujets des feuilletons et leur mise en chantier
par les producteurs. Tout en préservant un équilibre dans
le choix des œuvres des différents producteurs tels le
secteur de la production de la télé, la Cité de production
médiatique et Sawt Al-Qahéra lil sawtiyat wal marïyat.
Il s'agit de varier les problématiques, de raconter des
histoires, en essayant de ne pas trop se répéter. Il faut
briser les codes visuels usuels. Elle concilie comme elle
peut vie publique et vie privée. « Au bout de deux ans
de travail acharné, j'ai enfin passé trois jours de congé
auprès de ma famille, un havre possible au moment de la
fête », nous rassure-t-elle en souriant. Souveraine et
protectrice, armée d'une sobre patience, elle a son feu
d'artifices de mots qui charme et qui éclaire son monde.
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