Hebdomadaire égyptien en langue française en ligne chaque mercredi

Société

La Une
L'événement
Le dossier
L'enquête
Nulle part ailleurs
L'invité
L'Egypte
Affaires
Finances
Le monde en bref
Points de vue
Commentaire
d'Ibrahim Nafie

Carrefour
de Mohamed Salmawy

Portrait
Littérature
Arts
Société
Sport
Environnement
Patrimoine
Loisirs
Echangez, écrivez
La vie mondaine

Education Sexuelle . En l’absence de volonté politique du gouvernement, les chaînes satellites et autres sites Internet pornos ne sont souvent que les seules sources d’informations en la matière. Mais des initiatives privées, et en particulier l’Eglise, s’efforcent de remédier aux lacunes des adolescents et des plus âgés. Reportage.

Le remède a la misère

Tamer, 14 ans, ne rate aucune occasion d’effleurer, ne serait-ce que du bout des doigts, l’épaule, la main ou encore le coude de ses cousines, ses voisines, et toutes celles qu’il rencontre. Cela au point d’installer le malaise auprès des amies de sa maman, qui ont pris leurs distances pour éviter que de tels agissements ne prennent de plus grandes proportions. Outrée, sa mère décide alors de l’accompagner chez un sexologue. Questionné par la spécialiste, Tamer répond que parler de sexe est une question taboue et qu’il n’a jamais osé aborder ce sujet avec ses parents. Et donc, pour mieux comprendre la vie, il a dû compter sur sa propre expérience. A travers des films, des revues pornos et Internet, il a découvert ce qu’est le sexe, les schémas reproduits sur son livre de sciences lui paraissant trop compliqués. « J’avais besoin de plus d’informations », explique Tamer, qui ne comprend pas la raison de cette excitation ressentie au moment de la puberté et toutes les fois qu’il navigue sur un site Internet ou zappe entre les chaînes qui montrent des scènes érotiques. Et pour assouvir ce désir, il prend du plaisir à caresser le corps de petites adolescentes. Tamer confie que sa visite chez le sexologue pourrait lui permettre d’avoir une connaissance plus éclairée de la sexualité. « C’est le piège dans lequel tombent beaucoup de familles égyptiennes qui s’enferment dans un mutisme obstiné. Conséquence, les enfants en quête de connaissance risquent de recueillir des informations erronées. Une situation beaucoup plus grave que l’ignorance car cela peut les exposer à des problèmes comme l’homosexualité, le viol ou le harcèlement sexuel. L’adolescent assoiffé d’apprendre essaye par tous les moyens de s’informer et comme les garçons bénéficient d’une marge de liberté beaucoup plus grande que les filles, ils courent plus de risques », explique Héba Qotb, sexologue chevronnée dans le monde arabe.

Il y a déjà quatre ans que Qotb a commencé son travail sur le terrain. Elle affirme que seul 1 % du peuple égyptien a une bonne connaissance de la sexualité et nombreux sont les couples qui se rendent dans sa clinique pour exposer des problèmes qui remontent à l’adolescence. « Pour y remédier, je leur offre une éducation sexuelle normale », avance-t-elle.


Avidité des petits et des plus grands

« Pourquoi mon sexe ne ressemble-t-il pas à celui de ma sœur ? », questionne Mohamad, 6 ans. « Comment naissent les bébés ? », s’interroge Lobna, 8 ans. « Que signifie le mot stérilet ? », demande Salma, 10 ans. « Est-ce un péché de se masturber ? », poursuit Sameh, 14 ans. Des questions ingénues qui se répètent et reflètent l’avidité des petits et des plus grands d’en savoir un peu plus sur le sujet. « On ne peut plus répondre à leurs interrogations par des réponses qui ne correspondent pas à leur intelligence. Autrefois, lorsqu’on demandait d’où on venait, les grands répondaient nous avoir achetés chez Cicurel, un magasin de prêt-à-porter. Des réponses abracadabrantes et pas du tout convaincantes pour les enfants d’aujourd’hui. La société n’est plus fermée comme jadis. Et si on ne dit pas la vérité à un enfant, il ira la chercher ailleurs par l’intermédiaire de réseaux à la portée de tout le monde et auxquels il peut accéder sans difficulté », explique Magda Gamil, pédagogue et directrice d’une école privée. Héba Qotb partage cet avis. Elle est étonnée que les parents continuent à suivre la politique de l’autruche. « Ce n’est pas parce que l’enfant n’aborde pas le sujet qu’il ignore tout ou n’est pas intéressé. Il faut respecter les données de notre époque », dit-elle.

Bien que les films pornos soient interdits, ils circulent et s’échangent comme des petits pains. Dans les lycées, les salles de gymnastique, les cafés ou ailleurs, il est facile de s’en procurer. « Certains étudiants se sont spécialisés dans le domaine. Lorsqu’on a envie de voir un film X, on s’adresse à eux », confie Hani, 17 ans. Quant aux adultes, ils n’ont pas besoin de faire autant de détours.

Il leur suffit de se présenter dans un club-vidéo et demander tout simplement un film « saqafi » (culturel). « C’est moins fructueux avec les adultes, puisque la location d’un film porno ne coûte que 30 L.E. Par contre, avec les jeunes, je dois doubler le prix car les risques sont plus grands. Si le jeune est pris en flagrant délit par ses parents, alors je dois m’attendre à de graves ennuis. Souvent, nous passons par des intermédiaires. En général, ce sont les femmes ; c’est une bonne astuce. Nous redoublons de vigilance et nous évitons les contacts avec le véritable client », souligne le propriétaire du club qui a requis l’anonymat. Selon Azza Korayem, sociologue et chercheuse au Centre national des études sociales et criminelles, les sites Internet et les chaînes satellites ne cessent de diffuser des images de scènes érotiques ou autres plus osées. Et dans une société où la pratique du sexe est interdite avant le mariage, on a observé au cours de ces dernières années une augmentation du taux de crimes, de viols et de mariages orfi (mariage non officialisé). « Et pour maintenir un certain équilibre entre les valeurs d’une société conservatrice et cette ouverture subite, certains experts intéressés par les problèmes des adolescents ont pris cette initiative. Il fallait créer un dialogue avec les enfants et admettre que le processus éducatif devait s’accomplir dans les deux sens entre parents et enfants et vice-versa. Ce qui se passe dans nos foyers n’est qu’un reflet de ce qui se passe dans la société en manque de démocratie. Et pour avoir une société saine, il faut élargir la marge de liberté d’expression », explique Azza Korayem. Une chose dont semblent se rendre compte quelques institutions. Aujourd’hui, ce tabou semble se briser graduellement.

Certaines écoles, surtout religieuses, ont intégré depuis longtemps un enseignement appelé « cours de vie ». Pour les adolescents, ces écoles accueillent un gynécologue pour mieux initier les élèves et leur donner la chance de poser les questions qui les préoccupent et ce à travers des schémas. Magda Gamil, directrice d’une école privée, pense préparer à son tour un colloque pour les élèves du cycle préparatoire afin de leur expliquer les changements qui s’opèrent sur leur corps au moment de la puberté. Le colloque sera guidé par un expert en sexologie qui prononcera son discours en français, langue utilisée pour l’enseignement de la biologie dans cette école. Le tout suivi d’un débat au cours duquel les enfants poseront leurs questions sans aucune gêne. « Le sexe fait partie de la vie, pourquoi donc imposer un silence incompréhensible autour du sujet alors que c’est une fonction vitale comme manger ou respirer. L’essentiel est d’offrir à nos enfants un enseignement correct et les éduquer de manière à ce qu’ils respectent les valeurs sacrées de la religion au lieu de les priver de connaissance », assure Gamil. Et des écoles à la clinique privée, l’éducation sexuelle semble être de plus en plus accessible.


Appel à des gynécologues

Une première chez Héba Qotb. Elle organise quatre stages pour enseigner l’épanouissement sexuel. La première formation concerne les personnes sur le point de se marier, pour leur donner une idée générale sur la relation sexuelle. La seconde s’adresse aux adolescents pour mieux les éclairer. La troisième concerne les femmes mariées qui souffrent de monotonie au niveau du couple. Et enfin, la quatrième vise à former des spécialistes chargés de répondre aux interrogations des gens via des numéros gratuits. Aujourd’hui, sa clinique dispense 5 cours pour adolescents. Des classes composées uniquement de filles ou de garçons qui se connaissent, pour éviter toute gêne. Durant le cours, elle n’hésite pas à faire appel à des gynécologues pour l’aider dans sa mission. Elle collabore d’aavec d’autres spécialistes pour transmettre une éducation sexuelle adéquate et corriger certaines notions erronées. Elle reçoit chaque jour des centaines d’appels de détresse.

Ses articles dans le magazine mensuel Al-Hayat (La Vie) s’adressent le plus souvent aux jeunes et sont rédigés avec beaucoup de simplicité pour mieux les éclairer. De plus, elle reçoit leurs questions à travers le courrier des lecteurs. « Je tente de me rapprocher de la mentalité des jeunes, car le problème est que la plupart des réseaux qui présentent cette éducation varient entre le tout scientifique et le quasiment érotique. Le défi est de trouver la meilleure manière pour transmettre ce qu’il faut », confie Qotb. Cette spécialiste entre également en contact direct avec les jeunes à travers le premier magazine électronique du genre, Boswtol, afin de corriger les informations. De plus, elle effectue des déplacements dans un bon nombre de pays arabes, ce qui a fait sa renommée dans la région.

Ecole, centre de formation sexuelle et médias ne sont pas les seuls maillons de cette chaîne, certaines institutions religieuses sont aussi rentrées dans le jeu. Père Boula, prêtre de l’église Al-Malak Raphaël, et responsable de l’épiscopat chargé des services pendant 10 ans, assure que « presque 80 % des problèmes conjugaux dont on lui fait part lors des confessions sont dus au manque d’éducation sexuelle. Ce qui exige une formation dès l’adolescence », estime père Boula, tout en ajoutant que face à cet enseignement qui fait défaut au sein de l’Eglise, il prépare actuellement un stage à l’adresse des jeunes. « Je suis en train d’observer les bases et les méthodes suivies au Canada et aux Etats-Unis pour enseigner aux adolescents la sexualité à travers des classes parrainées par l’Eglise », poursuit-il. Un rôle qui semble encore quasiment absent dans les mosquées, où l’on se contente d’offrir cette formation sous forme de consultations privées. « On a l’impression que ce type de questions ne doit pas se faire devant tout le monde et surtout dans un endroit aussi sacré », exprime Saïd, 45 ans, résumant ainsi l’avis de beaucoup de pieux coptes ou musulmans. Pourtant, en se penchant sur l’histoire de l’islam, on constate un phénomène contraire. « Lorsque le prophète a émigré à Médine, il discutait avec beaucoup de liberté avec ses fidèles dans la mosquée et en présence même d’adolescents de 14 ans », conclut Qotb qui, à travers ses lectures de la charia, a découvert que le Coran et les hadiths ont abordé les moindres détails de la relation entre homme et femme dans le couple. Les propos du prophète étaient d’ailleurs très explicites à cet égard ... La nouvelle génération serait-elle devenue plus royaliste que le roi ?

Dina Darwich

Héba Qotb, sexologue, se bat depuis plusieurs années, en Egypte et dans le monde arabe, pour une éducation sexuelle correcte et saine. Entretien.
« L’essentiel est de donner une chance au dialogue »

Al-Ahram Hebdo : A quel âge peut-on aborder le sujet du sexe avec nos enfants ?

 

Héba Qotb : L’éducation sexuelle doit commencer dès le plus jeune âge. A partir de deux ans par exemple, on peut commencer à transmettre quelques notions et conseils à ses enfants. Lorsqu’une maman conseille à son fils de prendre soin de ses organes génitaux et de l’avertir en cas d’attouchements, c’est un moyen de créer un dialogue. Et plus l’enfant prend de l’âge et plus il est apte à recevoir des informations plus claires à ce sujet. L’essentiel est de garder un lien avec nos enfants et de donner une chance au dialogue.

— Y a-t-il une méthode d’enseignement particulière à suivre ?

— Il ne faut pas choquer les enfants mais plutôt leur offrir une dose graduelle d’informations qui correspond à leur âge, leurs capacités et leurs connaissances. Cela veut dire ne rentrer dans les détails que lorsque l’enfant est prêt à les assimiler correctement. Il faut alors recourir à des méthodes pédagogiques pour s’adresser aux jeunes selon leur âge.

— Doit-on aborder la question du sexe avec les filles de la même manière qu’avec les garçons ?

— Bien sûr que oui. Par exemple, pour préparer une fille à l’âge de la puberté, on doit l’avertir qu’elle va avoir ses règles pour être prête à la procréation. Cette introduction convient parfaitement à la nature douce et romantique de la fille car elle s’adresse à son instinct maternel. Par contre, le garçon doit être préparé autrement à ces changements. Là, on peut l’avertir que ce ne sont que les prémices pour devenir un homme fort et adulte. Car les garçons apprécient ce sentiment de pouvoir. De plus, la famille à son tour doit se rendre compte que le désir sexuel chez le garçon est plus développé que chez la fille, surtout après la puberté, alors la famille doit tenir compte de ces critères pour guider le garçon vers le sport ou d’autres activités pour absorber son excitation.

— Certaines familles pourraient avoir besoin de votre assistance, comment accéder à un tel service ?

— Je prépare actuellement deux livres qui seront exposés sur le marché durant la prochaine Foire du livre concernant l’éducation sexuelle. De plus, je suis prête à recevoir des emails à travers le magazine électronique www.boswtol.com et aussi le site du magazine Al-Hayat : www.hayahonline.com Mon site privé verra le jour dans un mois .

Dina Darwich
 

Pour les problèmes techniques contactez le webmaster

Adresse postale: Journal Al-Ahram Hebdo
Rue Al-Gaala, Le Caire - Egypte
Tél: (+202) 57 86 100
Fax: (+202) 57 82 631