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Coton . En cette période de récolte, les villages de Minya qui, jadis vivaient au rythme des festivités, ruminent désormais leurs angoisses.

Fini le temps des noces !

La culture de l'or blanc a perdu de son éclat et ne fait plus vivre les paysans. Reportage.Dans les villages de Minya, en Haute-Egypte, située à 295 km du Caire, l'heure est au marasme. La récolte du coton de cette année n'est pas au beau fixe. Les habitants des villages de Matay, Abou-Qorqas et Samallout avaient l'habitude d'organiser une fête à l'occasion de la récolte du coton, mais cette fois-ci le cœur n'y est pas. Pourtant, il y a quelques années, à peine arrivé à Minya, ou comme elle est appelée Arous Al-Saïd (La Mariée de la Haute-Egypte), l'on pouvait entendre des youyous et des cris de joie stridents accueillant les passants. L'ambiance était vraiment festive. C'était comme si l'on célébrait une fête de noces. Le marasme de cette année est le résultat de plusieurs années de crise accumulées. Et cette saison, les habitants sont plutôt abattus. Ils ne veulent même plus continuer à cultiver le coton ou l'or blanc comme ils l'ont toujours surnommé. « Pourquoi le planter puisque la récolte ne couvre même pas nos frais : les prix des engrais, la main-d'œuvre, la location des terres agricoles, etc. ? », commente un paysan.

Les cultivateurs font preuve d'incurie et les terres réservées à la culture du coton ont diminué. A Minya, le paysan qui devait garder au moins le tiers de la surface de ses terres pour planter du coton n'en cultive aujourd'hui que quelques feddans. « Cette année, les paysans ont planté 13 860 ha seulement, contre 15 540 ha l'année passée, alors que pendant les années 1980, cette surface s'élevait à 25 200 ha », précise Hassan Hémeida, gouverneur de Minya. Dans tous les gouvernorats, la surface de la culture du coton décroît en moyenne chaque année de 72 ha.

Cette crise a débuté à Minya et les causes sont multiples. La plus grave était la mauvaise qualité des semences.

« Ces graines que nous avons semées cette année ne s'adaptent ni à la nature du sol, ni au climat, et encore moins au procédé de stockage, etc. Cette espèce s'adapte mieux à un climat où le taux d'humidité est élevé comme c'est le cas dans le gouvernorat de Béni-Souef », note un des paysans très affecté par cette crise. Les habitants accusent les responsables du département d'inspection des graines dépendant du ministère de l'Agriculture car ils leur ont fourni des semences sans s'assurer si les graines pouvaient convenir à la nature du sol. Et les responsables s'obstinent à défendre leur ministère, disant : « Il est vrai que ces semences sont utilisées pour la première fois à Minya, mais les paysans n'ont pas su s'en servir correctement ». Les agriculteurs sont outrés par cette réponse, estimant qu'on aurait dû les informer ou leur enseigner comment les utiliser. Au mois de janvier dernier, au moment des semailles, les paysans ont eu quelques soupçons à propos des graines. Et ce n'est qu'en septembre, au moment de la récolte, qu'ils ont réalisé la catastrophe. « Un grand désastre pour tous, car la saison de la récolte constitue un moment de prospérité économique pour tout le village et les familles. Nos espoirs se focalisent sur cette saison de l'année que tout le monde attend avec impatience », dit un autre paysan désespérément.


La culture ne paie plus

En effet, la récolte de cette année ne répond pas à l'attente des paysans. « C'est la saison où l'on peut offrir à nos enfants des vêtements neufs et rembourser nos dettes. Et tous nos projets sont reportés ou programmés pour les mois d'octobre et au début du mois de novembre. C'est la saison des fiançailles et surtout du mariage », lance Am Gomaa qui confie que grâce à la récolte du coton il y a quelques années, il a pu marier ses filles, l'aînée Azza et la cadette Aziza. Il se permettait même d'inviter tout le village pour faire la fête, car ses récoltes étaient fructueuses et il en avait les moyens. « Un revenu de 5 000 L.E. par récolte et un budget largement suffisant pour nourrir ma famille toute l'année. Aujourd'hui, je gagne à peine 1 000 L.E. par saison », dit Am Gomaa avec beaucoup de tristesse. Il marque un moment de silence comme pour contenir ses larmes, puis poursuit : « Aujourd'hui, je ne parviens pas à marier ma benjamine. Le prix du quintal, estimé à 620 L.E. l'année dernière, coûte aujourd'hui 450 L.E. La meilleure récolte ne peut donner plus de cinq quintaux, alors que jadis, la même récolte pouvait donner plus de treize quintaux par saison », ajoute-t-il. Les paysans sont désemparés, leur vie a été chamboulée car le coton a toujours été la source de leurs revenus. Ils souffrent de l'effondrement de l'empire blanc qui était le roi de l'agriculture depuis de longues années. « La culture du coton a été introduite en Egypte au début du XIXe siècle, à l'époque de Mohamad Ali. Depuis, l'Etat avait le monopole sur le commerce du coton. Il gérait tout ce qui concernait cette industrie. A savoir, le développement des meilleures espèces, la production des semences, l'exportation, en passant par le marketing. En un mot, c'était la poule aux œufs d'or », déclare Mohamad Al-Enani, expert au Centre du coton, habitant à Minya. La preuve, dit-il, en est que la production a été d'une certaine façon stable. Mais en 1991, le gouvernement a opté pour la libéralisation du secteur agricole. « L'Etat ne nous fournit plus de semences ni d'engrais. Ce qui a élevé les coûts de la culture du coton », précise un cultivateur, Hag Mohamad.


Plutôt de la luzerne !

Et la seule solution pour ce modeste paysan était de prendre la décision d'arrêter la culture du coton tout comme beaucoup d'autres et la liste s'allonge d'année en année. Pourtant, le gouvernement a commencé à verser des compensations aux paysans qui cultivent le coton, mais ces derniers ne font plus confiance. Ils considèrent qu'il n'y a plus de rentabilité avec le coton, car il nécessite de la main-d'œuvre (5 L.E. par personne et par jour tout le temps que dure la récolte) sans compter les autres dépenses trop onéreuses pour eux. Ainsi, beaucoup de paysans se sont même mis à cultiver d'autres produits. « Je n'ai pas le choix, je cultive en ce moment les féveroles. Entre les semailles et la récolte, cela ne prend que 4 mois. Pour le coton, je dois attendre entre sept et neuf mois avant la récolte. De plus, la tonne de féveroles est vendue à 1 500 L.E. et le coût de la culture ne dépasse pas les 800 L.E. », précise un paysan de Mallawi, situé à 45 km de Minya. Ce dernier tient à souligner qu'il doit gagner de l'argent pour marier sa fille, fiancée depuis cinq mois. « Chez nous, les Saïdis, la jeune fille ne doit pas rester longtemps fiancée ; le minimum, c'est un an », ajoute-t-il.

Am Farag, habitant à Abou-Qorqas, situé à 22 km au sud de Minya, s'est mis à cultiver de la luzerne. « J'achète les semences à 10 L.E. pour un feddan (0,42 ha) et je vends le carat à 50 L.E. et donc je peux gagner assez d'argent pour nourrir ma famille », dit-il. D'autres ont choisi la canne à sucre ou les fèves dont les semences coûtent 100 L.E. Au moins, ils ont la chance de vendre la récolte d'un feddan à 1 000 L.E. Il y a quelques années, Am Farag n'aurait pas été convaincu de ce qu'il fait aujourd'hui, puisqu'il se demande toujours : « Que vais-je cultiver d'autres ? J'ai du mal à admettre que les terres se transforment en vergers ou en potagers ! ».

Beaucoup de cultivateurs ont été contraints à boycotter l'or blanc malgré eux. « Cette culture a toujours constitué une source de revenus stable et l'une des denrées les plus rentables. C'est la seule chose qui nous procure de la joie non seulement au sein de la famille, mais aussi dans tout le village », note Halawa Imam.

Conséquence : beaucoup de personnes vont se retrouver au chômage, car les autres cultures ne demandent pas autant de main-d'œuvre. Même s'ils ont changé de culture, les agriculteurs gardent malgré tout une lueur d'espoir : le coton autour duquel ils ont depuis des générations tissé leur vie est-il perdu à jamais ?

Manar Attiya
 

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