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Secteur informel . Le légaliser, c'est un but majeur que le gouvernement poursuit depuis quelques années, usant de la carotte et du bâton. Derrière la volonté de le promouvoir se cache le désir d'engranger plus d'impôts.
La valse à deux temps de l'Etat

Les vendeurs à la sauvette sont une partie importante du décor de la capitale égyptienne. Au centre-ville, pour ne pas parler des quartiers populaires, des centaines de ces vendeurs occupent les trottoirs et y étalent leurs produits, des chaussettes jusqu'aux téléphones portables. De temps en temps, on voit ces vendeurs ramassant leurs marchandises rapidement pour courir se cacher dans les ruelles à chaque descente de police. Mais excepté les moments d'incursion policière, les vendeurs à la sauvette arrivent souvent à atteindre leurs clients qui cherchent des marchandises bon marché. Au grand dam des propriétaires des magasins qui ont du mal à faire face à la concurrence de ces vendeurs qui n'assument ni des frais de registre commercial, ni d'impôts. En effet, les vendeurs à la sauvette arrivent parfois à arracher la complicité des policiers.

Ce spectacle illustre la question du secteur informel dans ce pays. Comme tous les pays du tiers-monde, il y a en Egypte tout un secteur qui travaille hors du cadre légal de l'économie et n’a pas de relations formelles avec les institutions de l'Etat. Certaines estimations évaluent les unités du secteur informel à 40 % des unités économiques privées employant plus de 40 % de la force de travail du pays. C'est un secteur actif et florissant, fournissant emplois aux chômeurs et marchandises bon marché aux petites bourses. Ce qui n'est pas pour plaire aux entreprises formelles qui perdent souvent face à un secteur dont l'existence hors de la légalité offre certains avantages, notamment l'évasion fiscale. Ainsi, l'Etat est souvent accusé de passivité face à ce secteur échappant à tout contrôle. Mais il semble que les autorités ferment les yeux face à un secteur qui présente la seule issue à presque la moitié de la population égyptienne qui ne peut aspirer à des emplois dans le formel et n'a pas les moyens de se payer les marchandises vendues dans les circuits formels.


L'Etat ouvre les yeux

Or, depuis quelques années, l'Etat ouvre les yeux et se tourne vers ce secteur informel. En 2000, le ministère des Finances a commencé le processus de la légalisation du secteur informel par une étape incluant une base de données sur son étendue. Le ministre des Finances, Medhat Hassanein, a eu recours à deux centres de recherches pour mener les études en la matière. Le premier est le Centre égyptien de recherches économiques, une institution privée de tendance libérale. Le deuxième est Instituto Libertad y Democracia (ILD), un centre péruvien dirigé par le célèbre économiste Hernando de Soto qui a élaboré l'idée du « capital mort » qui explique le sous-développement des pays du tiers-monde. Ce capital comprend des avoirs et des actifs de la population non enregistrés dans des documents officiels. Ce genre de capital est mort parce qu'on ne peut pas l'utiliser comme garantie pour obtenir des crédits. Un propriétaire d'une maison enregistrée officiellement peut utiliser cette propriété comme garantie pour obtenir un crédit auprès d'une banque. Ce qui n'est pas le cas des propriétaires des avoirs informels. D'autant plus que les unités informelles ne peuvent pas jouir de l'assistance que fournissent certaines institutions étatiques au secteur privé, comme par exemple l'aide en termes de soutien technique et de crédits accordés aux petites entreprises. La légalisation des unités informelles donne donc de la vie à un capital mort.

La visée pratique de la théorie de De Soto est développementariste : accroître le nombre des entrepreneurs et promouvoir les unités informelles par le biais de leur légalisation. L'effet secondaire de sa théorie réside dans le fait qu'elle aboutit à des gains pour le fisc, puisque la légalisation des unités informelles signifie leur soumission à l'impôt.

C'est sans doute cet effet « secondaire » de la théorie de De Soto qui intéresse le ministère des Finances et qui l'a poussé à avoir recours à ce centre pour profiter des expériences qu'il a accumulées dans le cas péruvien. Que ce soit le ministère des Finances, et non pas d'autres institutions étatiques, qui s'occupe de la légalisation de l'informel est en soi une preuve que l'enjeu principal de l'Etat est l'extraction de ressources.


Opération séduction

Les résultats des études menées par le ministère des Finances qui montrent que le coût des crédits pour les unités informelles est de 40 % supérieur à celui des unités formelles est un argument encourageant les premiers à devenir comme les deuxièmes. Cela est-il suffisant pour convaincre les informels des bienfaits du formel ?

Non, il faut présenter autre chose aux informels. La carotte de la légalisation implique aussi la réduction des frais d'enregistrement de la propriété immobilière qui ont considérablement baissé durant les années 2000. Jusqu'aux années 1980, ces frais d’enregistrement étaient extrêmement élevés : 12 % de la valeur de la propriété. En 1991, le taux a été réduit à 6 %, une réduction donc de 50 %. Mais cette réduction importante n'a pas réussi à renverser la tendance. En 2003, le taux a été baissé de nouveau à 4,5 %. Le ministre de la Justice a déclaré cette fois-ci que cette baisse a produit une augmentation de 19 millions de L.E. des droits d'enregistrement en 2003, signe d'un effet positif. En 2004, le gouvernement a entrepris la dernière réduction fixant le taux à 3 %. Cette diminution à plusieurs reprises des frais d'enregistrement depuis 1991 montre que le gouvernement est déterminé dans ses tentatives de légaliser le secteur informel, même s’il lui faut pour cela réduire les taxes et les droits de l'enregistrement.

Mais le choix de rester dans l'informel n'est pas seulement motivé par les frais d'inscription, mais aussi à leurs procédures compliquées. C'est ainsi que le ministre de la Justice a récemment déclaré que ces procédures sont en train de subir des simplifications importantes. Selon lui, le temps nécessaire actuellement pour l'enregistrement est réduit de moitié.

La « carotte » des avantages n'a apparemment pas suffi. Il fallait utiliser le bâton. C’est ce que le ministre de l’Approvisionnement et du Commerce intérieur, Hassan Khedr, a fait quand il a déclaré que la loi sur l’enregistrement des biens va être modifiée pour durcir les peines contre les unités qui restent dans l’ombre. Mais certains économistes, dont Heba Handoussa, professeur à l'Université américaine du Caire, préfèrent plutôt mettre l'accent sur la carotte du financement : que les entreprises informelles se soumettent à la loi contre un engagement de l'Etat à leur fournir des crédits bon marché.

Pour finir, à qui profite la légalisation de l'informel ? D'abord, le trésor de l'Etat qui va étendre la fiscalité à un secteur qui produit à peu près la moitié du PIB égyptien. Son potentiel pour le fisc est donc énorme. Ensuite, les employés de ce secteur informel dont les conditions de travail sont très difficiles et qui ne sont pas soumis aux lois du travail qui garantissent un minimum de droits.

Sur la liste des perdants figurent les consommateurs qui subiront des prix plus élevés des marchandises, puisque celles-ci vont être chargées par des frais d'inscription et par des impôts et des taxes. Ahmad Galal, directeur du Centre égyptien des recherches économiques, pense que cette perte va être en partie contrebalancée par le gain d'obtenir des biens de meilleure qualité qui caractérisent les produits du secteur formel par rapport à l'informel. La grande question des pertes/gains concerne les propriétaires des projets informels eux-mêmes. Est-ce que les profits émanant de la légalité (accès au crédit par exemple) vont contrebalancer les pertes engendrées par l'augmentation du coût de production sous l'effet des impôts et des exigences de la loi du travail ? Une question qui restera sûrement en suspens pendant quelques années.

Samer Soliman

 

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