Des élections pour élaborer la Constitution
Abdel-Azim
Hammad
Politologue
Théoriquement
parlant, un Parlement issu d’une révolution populaire, à
laquelle tout le monde a participé, doit représenter tout le
monde. Si ce Parlement doit assumer une tâche primordiale,
celle d’établir une nouvelle Constitution, il devient
primordial qu’il soit le représentant de tous les courants
et forces politiques. Car si le Parlement ne représente pas
le peuple dans son ensemble, il n’y aura pas de passage à la
démocratie, il n’y aura ni stabilité politique ni progrès
économique.
La majorité des Egyptiens sentent que le prochain Parlement
ne sera pas équilibré et ce, pour plusieurs raisons.
D’abord, la révolution du 25 janvier n’a pas témoigné de
l’émergence d’une force politique capable de se mesurer aux
forces déjà présentes sur la scène, avec l’objectif
d’instaurer un Etat civil démocratique et moderne. C’est une
vérité que tout le monde doit accepter. La réalité sur le
terrain est que ce sont les forces qui étaient déjà
présentes sur la scène politique avant la révolution qui
sont les mieux organisées et qui disposent de tous les
outils nécessaires pour mobiliser les électeurs, établir des
contacts avec eux et financer la campagne électorale. Nous
parlons bien sûr du courant islamiste représenté par la
confrérie des Frères musulmans et son parti Liberté et
justice, ainsi que par les partis
salafistes et celui de la Gamaa
islamiya.
Les porte-parole de ce courant ont affirmé plus d’une fois
qu’ils visaient seulement entre 30 et 45 % des sièges dans
le futur Parlement. Ceci selon les déclarations d’Aboul-Ela
Madi, chef du parti islamiste
d’Al-Wassat, et celles du
candidat à la présidentielle Mohamed
Sélim Al-Awwa. Même les
porte-parole du parti Justice et liberté (l’aile politique
de la confrérie) écartent l’éventualité d’une majorité
islamiste au sein du futur Parlement. En réalité, il s’agit
de déclarations sans grande crédibilité. Tous les indices
semblent indiquer que les islamistes gagneront les élections
législatives et obtiendront un grand nombre de sièges au
sein du futur Parlement.
C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’une entité en
dehors du Parlement où participent toutes les forces
politiques. Cette entité c’est la commission chargée de
rédiger la nouvelle Constitution afin de réaliser les
objectifs de la révolution du 25 janvier. Cette idée a été
posée à la discussion dans les conférences et au sein des
coalitions partisanes. Ensuite, nous avons assisté à
l’émergence d’une autre idée, celle des principes
supraconstitutionnels remplacés
par la charte d’honneur et enfin par la charte d’Al-Selmi,
vice-premier ministre chargé du développement économique et
de la transition démocratique.
Cette charte a provoqué bien des remous. Elle fait toujours
l’objet de négociations entre le gouvernement, représenté
par Ali Al-Selmi, et les
représentants des forces politiques, qui la rejettent.
Malgré les différends, il semble que l’esprit qui prévaut
soit celui de la recherche d’un accord sur les fondements de
la nouvelle Constitution. Un espoir pour le gouvernement qui
appelle à un congrès national réunissant les diverses forces
politiques afin de signer cette charte et la ratifier.
Il va sans dire que nous espérons, comme tous les Egyptiens,
la réussite des efforts dans ce sens. Mais il ne faut pas
oublier qu’il existe un autre front, non moins important,
qu’il faut prendre en considération si on veut assurer le
succès de ces efforts. Ce front peut être la source de
contre-réactions si une seule coalition ou courant politique
remporte une majorité écrasante au Parlement. Ce front est
bien sûr celui de l’électorat. Ce sont les citoyens qui sont
sortis par millions pendant tous les jours de la révolution
dans les quatre coins de l’Egypte pour appeler à la chute de
l’ancien régime. La réalité qu’il ne faut pas omettre est
que ces foules ne seront jamais assujetties à une
organisation quelconque. Elles constituent le tissu national
qui veut mener l’Egypte au progrès et à la démocratie.
La question qui se pose à présent est : comment peut-on
mobiliser ces millions d’Egyptiens qui ont participé à la
révolution du 25 janvier pour transformer à travers les
urnes l’esprit de cette révolution ?
De prime abord, l’électeur doit savoir que les élections
cette fois-ci sont destinées à établir une Constitution et
non pas parvenir à une représentation législative
traditionnelle. Et puisque la plupart des électeurs
appartiennent à des forces politiques, on suppose que
spontanément, ils choisiront un Parlement équilibré.
Si nous voulons avoir une idée correcte du comportement
électoral des Egyptiens, il nous faut revenir un peu en
arrière pour avoir une idée précise et pouvoir anticiper.
L’histoire de la période pré-révolution de 1952 nous révèle
que l’Egyptien a toujours voté avec enthousiasme lorsqu’il a
senti que les élections se déroulaient dans un climat de
liberté et que sa voix était décisive. A contrario,
l’Egyptien a toujours boycotté les élections dont les
résultats étaient arrangés d’avance. Ce comportement s’est
répété lors des élections organisées sous la révolution de
Juillet 1952. Plus l’avenir était porteur d’espoir, plus les
Egyptiens se rendaient massivement aux urnes. Rappelons que
le comportement négatif des citoyens envers le vote a
persisté même lorsque l’Egypte a abandonné le système du
parti unique pour adopter le pluralisme. En 2005, les
élections étaient très disputées car chaque citoyen avait
senti que sa voix serait décisive pour l’avenir du pays.
Quant aux élections de 2010 qui ont précédé la révolution,
elles ont connu un faible taux de participation. Le
référendum sur les amendements constitutionnels du 19 mars a
également vu une participation en masse des Egyptiens.
Cette lecture de l’Histoire nous amène à penser que les
élections législatives prévues la semaine prochaine
connaîtront un large taux de participation. Et puisque nous
parions que la majorité des électeurs appartient au courant
politique du milieu, et qu’elle est parfaitement consciente
que ces élections, loin d’être des législatives
traditionnelles, visent à établir une nouvelle Constitution,
on peut supposer que le résultat serait l’établissement d’un
Parlement équilibré réunissant les forces instigatrices de
la révolution.
Mais il ne s’agit finalement que de suppositions. Pour les
concrétiser, il faut qu’un effort soit déployé par toutes
les forces soucieuses d’établir un Etat civil démocratique
en instaurant des contacts avec l’électeur à travers le
dialogue et la sensibilisation.
Les ONG, les syndicats professionnels et bien sûr les médias
ont un rôle à jouer. Il faut également que les autorités
étatiques, représentées par la Commission suprême des
élections, assurent la transparence des élections. De cette
manière, nous pouvons nourrir l’espoir d’avoir un Parlement
non soumis au monopole d’une force déterminée qui manipule
la Commission constituante chargée de la rédaction de la
Constitution. Ainsi, les efforts en vue d’une entente
nationale aboutiront et les chartes exprimant la conscience
et les espoirs d’une nation ne resteront pas lettre morte.
Enfin, la nation ne sera pas prise dans une nouvelle spirale
de conflits politiques .