Gare du caire
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Suite à des travaux de restauration, elle a été entièrement
remise à neuf. Le service reste cependant mauvais et les
passagers se plaignent des retards répétés des trains et du
mauvais état des wagons.
UN LIFTING DE FAÇADE
La
gare du Caire arbore sa nouvelle tenue. Ses murs sont ornés
de magnifiques motifs ornementaux de style ancien. En
entrant dans l’édifice, qui porte aujourd’hui le nom de Gare
des martyrs de la révolution du 25 janvier, on remarque
immédiatement la présence d’immenses écrans électroniques
affichant de façon précise les horaires de départ et
d’arrivée des trains. Dans le hall principal se trouve une
pyramide identique à celle du Musée du Louvre.
D’une superficie de 36 000 m2, la gare ferroviaire du Caire,
située en face de la place Ramsès, accueille chaque jour
près de 3,2 millions de passagers. Rénovée, elle se pose
désormais comme un chef-d’œuvre architectural. Un projet
grandiose qui a coûté à l’Organisme national des chemins de
fer la somme de 170 millions de L.E. Tout cela est bien
beau. Mais les conducteurs, les contrôleurs et même les
voyageurs pensent que la rénovation ne concerne que la
bâtisse. Et comme toujours, les responsables ont négligé les
locomotives, les wagons, les chariots transportant les
générateurs, la voie ferrée et les panneaux de
signalisation. « Une somme colossale a servi à rénover les
locaux de la gare alors que les voyageurs n’y passent qu’une
demi-heure. Les responsables auraient dû penser aux wagons
qui sont dans un état lamentable, aux toilettes qui sont
dépourvues d’eau, aux vitres cassées et surtout à une
meilleure formation des conducteurs qui sont responsables de
la vie de milliers de voyageurs. C’est dans le train que les
passagers passent la plupart de leur temps lorsqu’ils sont
en voyage », note Am Ragaï, conducteur de train depuis 22
ans. Il se plaint tant de l’ancien régime que des
responsables actuels. D’après Am Ragaï, rien n’a changé
depuis la révolution. « C’est toujours le même scénario. On
se contente de décorer les murs et on néglige ce qui est
important », s’indigne ce vieux conducteur.
Cette restauration devrait être à la hauteur de l’histoire
des chemins de fer égyptiens. Une histoire qui remonte à 152
ans. En ce temps-là, le réseau égyptien de chemins de fer
était le plus important en Afrique et au Moyen-Orient.
C’était le deuxième réseau au monde après celui de
l’Angleterre.
La
gare d’origine a été bâtie au terminal de la première ligne
des chemins de fer entre Alexandrie et Le Caire le 16
septembre 1856. Le bâtiment actuel a été érigé en 1892 et
réaménagé en 1955. C’était au temps du khédive Abbass 1er
que l’Egypte a inauguré la première ligne de chemins de fer
en Afrique et en Orient.
La voie ferrée, d’une distance de 209 kilomètres, reliait
Alexandrie au Caire. Ensuite, on a construit une seconde
voie reliant Le Caire à Suez. En 1848, l’Anglais Robert
Stephenson, fils de George Stephenson, l’inventeur de la
locomotive à vapeur, a proposé au khédive Abbass de
construire des voies ferrées en échange de la somme de 56
000 L.E. L’Egypte a été donc pionnière en ce qui a trait à
l’usage des chemins de fer au service du transport des
passagers et des marchandises.
Sur le quai n°8, des hommes d’affaires, des touristes, des
fonctionnaires, des centaines de provinciaux en djellabas,
des militaires et des ouvriers attendent impatiemment
l’heure du départ du train pour rejoindre leurs familles ou
leurs lieux de résidence. Il est 13h et le train n°1077
effectuant la liaison Le Caire-Alexandrie n’est pas encore
arrivé. En principe, il aurait dû être là à 11h20. Ce n’est
qu’à 13h30 que le train, composé de 10 wagons, fait son
entrée dans la gare. Les passagers se précipitent, courent,
se bousculent, certains n’attendent même pas qu’il s’arrête.
« Je suis très en retard. Je dois être à mon travail à 16h à
Alexandrie, mais comme le train est en retard, je vais
perdre une journée de travail », confie tristement un
ouvrier journalier dans une entreprise à Alexandrie. Il a
même peur de perdre son boulot après 4 ans de galère. Le
1077 n’est pas le seul train à arriver en retard. Il y a
aussi le train de Nag Hammadi, qui dessert la Haute-Egypte.
« Je dois être à Nag Hammadi à 17h. Si j’arrive en retard,
je ne trouverai pas de moyens de transport en commun. Et
donc, je vais devoir prendre un taxi et payer le tarif de
nuit, entre 40 et 50 L.E, pour arriver chez moi. Et en ce
moment, tout le monde a peur des baltaguis (hommes de main)
qui barrent les routes pour voler tout ce que l’on porte sur
soi … », confie Abdel-Wahab, originaire de Sohag, en
Haute-Egypte. Il fait ce long trajet de 880 km une fois par
semaine pour passer le week-end avec sa famille et trouve
que c’est un lourd fardeau pour son budget.
Malgré la médiocrité du service et les retards répétés des
trains, le président de l’Organisme égyptien des chemins de
fer, l’ingénieur Hani Hégab, est fier. « La restauration de
Mahattet Misr (la gare du Caire) est un travail magnifique.
La gare est devenue un modèle de beauté. Les autres gares
vont être également restaurées », affirme Hégab. Et
d’ajouter : « Nous avons également rénové 250 wagons en les
dotant de climatiseurs, ce qui a coûté 93,5 millions de L.E.
L’entretien des 345 voies ferrées dans 20 gouvernorats a
coûté 200 millions de L.E. Ceci dans le cadre d’un programme
visant à doter les gares de systèmes de contrôle
électroniques ».
Mais voyager dans les trains révèle une toute autre réalité.
Ici,
le personnel tente de faire de son mieux pour faire
correctement le travail. Les conducteurs des trains qui sont
responsables de la vie de centaines de milliers de passagers
se trouvent obligés de travailler dans des conditions
inhumaines. Et comme toujours, le gouvernement leur fait
porter la responsabilité des accidents ferroviaires de plus
en plus fréquents ces dernières 15 années.
« En principe, le nombre de passagers ne doit pas dépasser
les 110 par wagon. Mais il atteint les 200 et parfois les
300. Je n’ai pourtant le droit ni de protester ni de refuser
de travailler, sinon je risque de perdre mon poste », confie
un conducteur qui exerce ce métier depuis 30 ans déjà et qui
a besoin de son salaire qui ne dépasse pas les 260 L.E. par
mois, mais avec les primes et les bonus il peut gagner 1 700
L.E. Suite aux dernières grèves qui ont eu lieu après la
révolution du 25 janvier, les salaires ont augmenté. Ce
conducteur accuse pourtant les responsables des chemins de
fer d’avoir « épuisé » les conducteurs. « Le système de
travail et de repos pour les conducteurs des chemins de fer
exige un emploi de temps qui permet aux conducteurs de ne
pas dépasser les 12 jours de conduite, soit 9 voyages par
mois. Mais cela n’est jamais le cas », confie un conducteur.
Considéré comme un moyen de transport vital, le train
représentait pour les khédives et les autres souverains de
l’Egypte un transport de luxe. Pour eux, le train avait un
usage différent. Il s’agissait surtout d’un outil de
promenade. Les souverains, qui désiraient posséder leur
propre train, ont créé un organisme dit « des trains royaux
». Plus de 20 trains royaux ont été mis en circulation,
importés pour la plupart du Royaume-Uni, où ils étaient
fabriqués selon des critères précis. Ils se caractérisant
notamment par leur vitesse plus rapide que la moyenne. En
outre, ces trains étaient équipés de meubles luxueux et
ornés aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur de motifs
en or. Un nombre très limité de cette magnifique collection
de trains royaux a survécu au temps. Certes, après la
Révolution de 1952 qui a mis fin à la royauté, ces trains
ont été réquisitionnés et utilisés comme wagons de pullman
et de première classe. Ils ont donc fini par être usés avec
le temps.
Aujourd’hui, il faut voir dans quel état sont devenus ces
wagons. Dans l’un des compartiments de la troisième classe,
le décor est déplorable, malgré les assurances des
responsables que les trains ont été remis à neuf. Il n’y a
aucune information précise sur les horaires ni même sur le
quai de départ, même à la gare principale. « Il n’y a pas de
réservation à l’avance et il faut se présenter à l’avance
pour espérer avoir un siège. Quant au billet, il faut
l’acheter sur place », dit un voyageur.
Les
plus chanceux trouvent un siège, les autres se contentent de
s’asseoir par terre ou restent debout tout le long du
trajet. Certains vont s’installer carrément dans les
toilettes. Elles sont inutilisables, puisqu’il n’y a pas une
seule goutte d’eau. Mais parfois, les voyageurs vont trouver
une meilleure solution. Voyager sur le toit du train. Une
autre possibilité consiste à s’installer en dehors des
wagons près de la porte en faisant attention à ne pas être
éjecté. Et c’est la croix et la bannière pour avoir un
billet de train en troisième classe. Dans ce wagon crasseux,
portes et fenêtres sont bloquées. Une odeur nauséabonde se
propage à l’intérieur du wagon. Le vacarme du train se mêle
au brouhaha des enfants. Sans oublier le va-et-vient des
vendeurs qui parcourent les wagons avec tous genres de
produits. Des chaussettes, du jus de citron, des crêpes, des
friandises, des briquets ...
Les trains sont vétustes. « Ils n’ont pas été rénovés depuis
30 ans. L’état de la voie ferrée est lamentable. Le nombre
de trains est insuffisant. Les équipements sont vieux mais
pourraient encore résister 60 ans s’ils étaient entretenus
», explique un mécanicien qui a passé plus d’une heure à
réparer un moteur en panne dans un village perdu.
Les responsables ne pensent qu’à accroître les bénéfices,
après l’ouverture de boutiques commerciales, de restaurants
et de banques de part et d’autre des quais.
Malgré tout, les chemins de fer demeurent le seul moyen de
transport pour des milliers de personnes qui n’ont pas les
moyens de prendre l’avion. Mais, le droit le plus
élémentaire de ces passagers est de trouver un minimum de
confort dans les trains. Un renouvellement de façade ne va
pas régler les choses. Il faut traiter le mal aux racines et
se pencher sur le côté humain. Car c’est surtout le
personnel et les usagers qui en souffrent .
Manar
Attiya