Al-Ahram Hebdo, Livres | Alaa El Aswany,  La révolution égyptienne s’est-elle trompée ?

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 Semaine du 23 au 29 novembre, numéro 897

 

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Essai . Alaa El Aswany regrette que les révolutionnaires ne soient pas restés sur place après l’abdication de Moubarak. A l’occasion de la sortie de son livre, Chroniques de la Révolution égyptienne, voici un extrait tiré d’une cinquantaine d’articles parus dans la presse égyptienne avant, pendant et après le 25 janvier. Un plaidoyer sans compromis.

La révolution égyptienne s’est-elle trompée ?

L’acteur américain George Carlin (1938-2007) est connu pour ses satires à la fois drôles et profondes. Dans un de ses spectacles, on lui avait demandé ce qu’il ferait s’il se trouvait à bord d’un avion sur le point de sombrer en mer. Voici à peu près ce qu’il avait répondu :

— Je me sauverais bien sûr. J’écarterais les femmes de ma route, je donnerais de toutes mes forces des coups de pied aux enfants et je piétinerais les voyageurs handicapés pour pouvoir arriver à la sortie de secours et me tirer de là. Ensuite, j’essaierais de sauver les passagers.

Cette boutade sarcastique montre comment certaines personnes sont prêtes à tout pour sauver leur vie et leurs acquis. Chaque fois que je vois le nouveau ministre des Affaires étrangères, Mohammed El Orabi, je me souviens des mots de George Carlin. Mohammed El Orabi était on ne peut plus proche d’Hosni Moubarak et de sa famille et l’on pourrait faire un recueil complet de ses louanges et de ses flagorneries. Selon le journal du Wafd, il avait  déclaré, alors qu’il était ambassadeur en Allemagne :

— Je suis convaincu qu’Hosni Moubarak est un leader comme il n’y en a jamais eu et comme il n’y en aura jamais plus dans l’histoire de l’Egypte. Il avait dit également :

— Dieu aime l’Egypte, car il lui a fait don d’une personnalité d’une remarquable compétence : Gamal Moubarak.

M. Orabi est maintenant ministre des Affaires étrangères du gouvernement de la révolution qui a renversé ce leader inimitable et qui a jeté en prison, dans l’attente de son procès, Gamal Moubarak, cette personnalité aux compétences si remarquables. El Orabi n’est pas un cas unique dans le pouvoir actuel. De nombreux ministres ont été de grands supporters de Moubarak et ce sont eux maintenant qui prennent les décisions dans le gouvernement de la révolution. L’actuel ministre des Finances, le docteur Samir Radwan, membre de la commission des politiques du parti, était un proche de Gamal Moubarak qui l’avait recommandé au ministre Youssef Boutros-Ghali, et ce dernier en avait fait son conseiller en 2005, avant que Hosni Moubarak ne le nomme à l’assemblée du peuple. Radwan a été associé à la politique économique du régime Moubarak et il veut, maintenant, convaincre l’opinion publique qu’il a adopté les idées de la révolution. Je ne peux pas m’empêcher de me rappeler la manière dont George Carlin s’enfuit de l’avion en péril.

Le problème ici n’est pas seulement dans la capacité stupéfiante de ces ministres à défendre une chose et son contraire avec le même enthousiasme, dans le but de conserver leurs postes. Le problème, c’est que la révolution a fait tomber Hosni Moubarak, mais que le régime de Moubarak, lui, n’est pas tombé. Les généraux du ministère de l’Intérieur qui ont aidé Habib El Adly à bafouer la dignité des Egyptiens, à les torturer et à les tuer, sont toujours en place. Les responsables de l’information qui ont trompé l’opinion publique, qui ont hypocritement servi le tyran et justifié ses crimes occupent toujours les mêmes positions. Les juges qui ont couvert la fraude électorale sont toujours en activité. Les officiers de la sécurité d’Etat qui ont commis des crimes abominables contre leurs concitoyens sont toujours en fonction et certains ont même été nommés gouverneurs, en récompense de leurs efforts au service du régime.

Que peut-on attendre de tous ces responsables ? Ils sont absolument incapables de comprendre la logique de la révolution et il est à craindre qu’ils ne conspirent contre elle. Les indices d’un complot contre la révolution égyptienne sont devenus évidents. En voici les différentes étapes :

Premièrement : mener avec lenteur les procès de certains dignitaires de l’ancien régime pour pouvoir régulièrement jeter quelque chose à mastiquer au peuple en colère, jusqu’à ce que celui-ci oublie l’affaire et retourne aux préoccupations de sa vie quotidienne. Pourquoi Moubarak n’a-t-il pas été jugé jusqu’à maintenant et qu’est-ce qui se cache derrière cette abondance de communiqués au sujet de sa santé. Pourquoi n’est-il pas traité comme un prisonnier ordinaire ? Où se trouvent Alaa et Gamal Moubarak et pourquoi ne voit-on pas leurs photographies en prison ? Pourquoi accorde-t-on un traitement exceptionnel aux hauts responsables détenus dans la prison de Turah ? Qui a permis à Hussein Salem de s’enfuir et pourquoi cela n’a-t-il pas été signalé immédiatement à Interpol ? Pourquoi a-t-on attendu deux mois avant d’arrêter Zakaria Azmy, Fathi Sourour et Safouat El Chérif, en leur laissant ainsi le temps de dissimuler les preuves de leurs méfaits et de transférer à l’extérieur la plus grande partie des capitaux qu’ils avaient volés au peuple ?

Pourquoi, au cours des six mois qui se sont écoulés, les blessés et les martyrs n’ont été l’objet d’aucune attention de la part de l’Etat ? Comment a-t-on pu abandonner le martyr Mahmoud Qotb pendant un mois sans soin à l’hôpital Nasser, et laisser ses blessures s’envenimer, au point que des insectes sortent de sa bouche, tandis que, pendant ce temps, on évacuait l’hôpital de Charm El Cheikh pour que Suzanne Moubarak puisse soigner ses dents ? Pourquoi le gouvernement s’est-il démené pour inviter un médecin allemand afin de se rassurer sur l’état de la précieuse santé d’Hosni Moubarak ? Les questions sont nombreuses, mais il n’y a qu’une seule réponse, aussi évidente qu’attristante.

Deuxièmement : créer un relâchement durable de la sécurité par une négligence volontaire de la police dans l’exercice de sa mission, de façon à effrayer les Egyptiens et à paralyser le tourisme et les investissements pour faire croire que c’est la révolution qui nous a apporté la ruine. S’efforcer toujours de faire passer les martyrs pour des hommes de main et leurs assassins, officiers de la police, pour des héros défendant leurs commissariats. Retarder pendant des mois les procès de façon à permettre aux officiers accusés (toujours en fonction) de faire pression sur les familles des martyrs afin que ces derniers reviennent sur leurs déclarations, leur permettant ainsi d’échapper au châtiment.

Troisièmement : polariser les forces de la révolution et alimenter l’affrontement entre les libéraux et les islamistes, en donnant l’image d’une Egypte tombée pour toujours, après la révolution, aux mains des fanatiques. Peut-être se souvient-on de la façon dont le journal Al-Ahram, du temps de son précédent rédacteur en chef, avait publié en première page la photographie d’un homme à l’oreille coupée mentionnant, dans le titre en manchette, que les salafistes avaient coupé l’oreille d’un citoyen copte. Peut-être nous souvenons-nous de la façon dont les moyens d’information avaient célébré l’assassin Aboud El Zomor, comme s’il était un héros national. Peut-être comprenons-nous pourquoi il n’y a pas de semaine sans que des coptes ou leurs églises ne soient agressés sous l’œil des policiers, ce qui permet d’accuser les islamistes dans le but de nuire à l’image de la révolution, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.

Quatrièmement : exagérer l’ampleur de la crise économique et répéter sans cesse que l’Egypte, par la faute de la révolution, est au bord de la faillite.

La question est complexe. Le régime d’Hosni Moubarak a laissé l’Egypte dans une situation pitoyable : 40 % des Egyptiens vivent sous le seuil de pauvreté et le taux de chômage atteint des chiffres jamais atteints. N’oublions pas qu’un habitant du Caire sur trois vit dans des zones d’habitat précaire. C’est le régime de Moubarak qui est responsable de la pauvreté des Egyptiens, ce n’est pas la révolution. D’ailleurs la révolution n’est pas au pouvoir, elle ne peut pas être responsable. Les crises qui pourraient intervenir après la révolution sont du ressort du Conseil suprême des forces armées qui occupe les fonctions du président de la République, ou du gouvernement que le conseil a nommé. Ce qui est survenu la semaine dernière sur la place Tahrir est parfaitement révélateur : des hommes de main lâchés pour susciter des troubles ont attaqué le ministère de l’Intérieur, donnant ainsi aux forces de police une justification pour attaquer les manifestants. On a pu mesurer alors le degré de haine contre la révolution dans le cœur de certains cadres de la police .

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Chroniques de la Révolution égyptienne, Alaa El Aswany, Traduction de Gilles Gauthier, © Actes Sud 2011. Disponible à la librairie Oum Al-Dounia.

 




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